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Penser les sciences humaines et sociales dans les mondes arabes

8 février 2023 - 9 février 2023

Colloque coorganisé par le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (CAREP Paris) et la Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France.

  • Langues : arabe/ français
  • Date : 8 et 9 février 2023
  • Lieu : Collège de France, Amphithéâtre Maurice Halbwachs
  • Entrée libre : dans la limite des places disponibles

Depuis la fin du XVIIIe siècle, si on prend en compte le voyage en Égypte et en Syrie de Volney, les sciences humaines et sociales (SHS) en Occident s’intéressent au monde arabe. On trouve différentes approches que l’on peut définir soit comme une vérification sur le terrain d’hypothèses théoriques, soit au contraire la formulation d’hypothèses théoriques à partir de l’enquête de terrain. Ces approches comportent chacune des risques : plaquer des réalités autres sur ces sociétés d’une part, adopter sans perspective critique le discours de ces sociétés sur elles-mêmes d’autre part. Ces biais ont notamment pu être contournés par le développement d’approches comparatistes entre plusieurs sociétés, y compris européennes.

Les révolutions arabes de 2011 ont conduit à une réévaluation de ces différentes approches dans la mesure même où elles n’ont pas permis une prédiction de ces mouvements et n’ont pu en donner une intelligibilité immédiate (Bennani-Chraïbi et Fillieule, 2012).

Par ailleurs, peu de chercheurs européens se sont penchés sur l’impact de ces soulèvements pour les SHS arabes (Catusse, Signoles et Siino, 2015). En revanche, du côté des acteurs concernés, les soulèvements de 2011 ont fait émerger des analyses ancrées dans les réalités du terrain et redonné la voix aux chercheurs arabes dans la production de récits sur leurs propres sociétés (Bayat, 2021).

Dans ce contexte, penser les SHS dans les mondes arabes c’est d’abord penser les transferts de compétences entre un savoir né en Occident et sa production sur le terrain. S’y ajoute la difficile question des rapports entre les régimes autoritaires et la production du savoir. D’autant que parallèlement l’Etat est lui-même devenu producteur d’informations statistiques indispensables pour sa gestion et a eu besoin d’interprétations de ces données. Les SHS arabes se sont donc trouvées prises en étau entre les modèles théoriques largement empruntés à l’extérieur (qui diffèrent d’ailleurs selon leurs milieux de provenance) et les contrôles étatiques cherchant à limiter le rôle des SHS à une simple exploitation technique et  apolitique des données statistiques.

Peut-on alors parler de « SHS arabes » comme étant une entité à part entière ? En effet, la production des idées et des savoirs en SHS dans les pays arabes est très variable d’un pays à l’autre. Ainsi, dans les pays du Golfe, l’héritage anglo-saxon est très marqué, tandis qu’il emprunte plutôt à la conception française des SHS dans les pays du Maghreb (El Kenz, 2006). Il en résulte un paysage de recherche fragmenté, non seulement déconnecté des préoccupations sociétales, mais aussi de l’université, lieu emblématique de production du savoir en SHS. D’autres lieux de production des connaissances moins liés aux instances étatiques, tels que des think tanks ou des associations savantes, se sont imposés dans le paysage depuis au moins deux décennies. Ainsi, aujourd’hui les bailleurs de fonds privés jouent un rôle majeur dans le financement des SHS, favorisant l’émergence des consultants-experts plutôt que le développement d’une recherche fondamentale.

Cette tendance au financement privé de la recherche s’est accélérée à la suite des événements du 11 septembre 2001, avec l’idée selon laquelle les sciences sociales devraient être politiquement « utiles ». Après l’échec des tentatives américaines de démocratiser « de l’extérieur » d’abord l’Afghanistan puis l’Irak, on constate une volonté grandissante des bailleurs de fonds et des fondations étrangères de financer des formations en SHS dans les pays arabes visant à former une “société de connaissance” (UNDP, 2003). C’est ainsi qu’il faut entendre l’émergence en 2006 du Conseil Arabe pour les Sciences Sociales (CASS) à Beyrouth, financé par la Fondation Ford, l’International Development Research Center du Canada et l’Agence suédoise de coopération pour le développement (SIDA).

Parallèlement, des initiatives financées et dirigées exclusivement par des acteurs arabes ont également vu le jour, comme en témoigne la création du Centre arabe de recherche et d’études politiques à Doha en 2010, ouvrant la voie à de nouveaux réseaux universitaires. Ces derniers sont de plus en plus structurés autour de  » communautés  » transnationales de chercheurs. Si l’analyse des circuits de financement fragilise une lecture strictement Nord-Sud ; elle met également en exergue la reproduction d’inégalités structurelles voire l’émergence de nouvelles dissymétries entre chercheurs locaux et chercheurs internationaux. Cette redéfinition des conditions de production des SHS implique aussi la nécessité, pour le chercheur, de s’approprier des cadres normatifs et principes « éthiques » uniformisés freinant la créativité et la liberté académique.

Penser les SHS dans les mondes arabes nécessite également de réfléchir à la réception de notions forgées en Occident et transférées en contexte arabe. À cet égard, l’exemple des gender studies donne à voir l’étendue des appropriations-réappropriations de la pensée féministe à l’échelle locale. Certains chercheur-es reprennent ainsi à leur compte ces idées venues d’Occident ; ils/elles s’en font même souvent les porte-voix. D’autres encore privilégient une utilisation située de ces concepts (Mahmood, 2005).

La réception de ces paradigmes en terrain arabe dépend également de la langue dans laquelle le savoir est produit, car derrière le langage se cachent toujours des enjeux de pouvoir et de domination (Bourdieu, 2014). La diversité des langues des SHS dans le monde arabe introduit un questionnement sur les « querelles linguistiques » au sein de la communauté scientifique allant jusqu’à provoquer des divergences terminologiques et conceptuelles. C’est pourquoi l’achèvement de l’arabisation dans l’enseignement supérieur et la recherche demeure au centre des préoccupations pour favoriser l’unité des « SHS arabes » d’une part et leur diffusion à l’international d’autre part. Car, plus l’arabe s’impose comme une langue de recherche, mieux sa traduction et sa diffusion se porteront (Jacquemond, 2007).

À l’heure de la mondialisation et le développement des technologies d’information et de communication, la diffusion des SHS arabes doit, elle aussi, composer avec le tout numérique. L’arrivée des bases de données en ligne est d’autant plus importante à étudier puisqu’elles ont pour vocation de démocratiser l’accès au savoir. Même si de nouvelles bases de données arabes ont vu le jour ces dernières années, les productions en langue arabe restent peu représentées dans celles fréquemment utilisées en Occident.

Mais ces évolutions technologiques de la recherche ne doivent pas nous faire perdre de vue que la circulation des connaissances passe encore et malgré tout par l’accès aux bibliothèques, aux archives, aux lieux de discussions et d’échanges scientifiques qu’il s’agit de développer et d’encourager à travers des mobilités d’étudiants et de chercheurs, mais aussi des coopérations scientifiques entre institutions de recherche.

Au-delà de ces questionnements, l’intérêt de ce colloque est bien évidemment de souligner l’importance des SHS dans la construction et la connaissance des mondes arabes et les rapports complexes qu’ils entretiennent avec l’Autre, en particulier l’Occident.

Programme du colloque

JOURNÉE 1

9h00 I Accueil des participants

9h30 I Mot d’ouverture par Henry LAURENS

9h40 – 10h15 I Discours introductif par Azmi BISHARA (sous réserve)

10h15 – 10h30 I Pause-café

10h30 – 12h30 I PANEL 1 : Production des savoirs en SHS arabes : émergence, lieux, acteurs 
Modérateur et discutant : Henry LAURENS, Collège de France

  • Sari HANAFIUniversité américaine de Beyrouth : Les sciences sociales arabes : acteurs, tendances et paradigmes
  • Mehdi GHOUIRGATE, Université de Bordeaux III : La place du colonial dans la construction des SHS arabes : le cas d’Ibn Khaldûn 
  • Elizabeth KASSAB, Institut des hautes études de Doha : L’impact des sciences sociales sur l’étude de la pensée arabe contemporaine après 2011
  • Abdelwahab EL-AFFENDIInstitut des hautes études de Doha : La pauvreté de la science politique : réflexion sur la crise de la discipline dans et sur le monde arabe

12h30 – 14h00 I Pause déjeuner à la Cafétéria du Collège

14h00 – 16h00 I PANEL 2 : Circulations transnationales des SHS arabes : réseaux et financements
Modérateur et discutant : Eberhard KIENLE, CNRS / SciencesPo-CERI

  • Thomas BRISSON, CNRS : Les intellectuels arabes à Paris, les sciences sociales et l’orientalisme : logiques et stratégies d’un débat scientifique (années 1950-1970)
  • Rigas ARVANITIS, IRD Impact des financements sur la recherche en sciences sociales dans le monde arabe
  • Agnès FAVIER,  Institut universitaire européen: Mettre en réseau les chercheurs : opportunités et limites des circulations transnationales
  • Mohammed BAMYEH, Université de Pittsburgh : Penser le savoir en temps révolutionnaire : l’expérience du Conseil arabe des sciences sociales 

16h00 – 16h15 I Pause-café

16h15 – 18h15 I PANEL 3 : Réceptions des savoirs entre mimétisme, (re)appropriation et contestation : le féminisme en voyage
Modérateur et discutant : Leyla DAKHLI, CNRS

  • Sonia DAYAN-HERZBRUN, Université de Paris 7 : À contre-voie : femmes arabes et musulmanes sujets de leur histoire
  • Hoda ELSADDA, Université de Manchester : Women and Gender Studies in the Arab world: A Geopolitical Approach
  • Zahra ALI, Rutgers University : Des Savoirs Féministes en Irak : Approches Transnationales et Postcoloniales
  • Rola EL HUSSEINI, Université de Lund : Les instrumentalisations du genre par les régimes autoritaires arabes
JOURNÉE 2

9h00 I Accueil des participants avec petit déjeuner

9h30 – 11h00 I PANEL 4 : Traduire les SHS de et vers l’arabe
Modérateur et discutant : Rania SAMARA, professeure de lettres et de traductologie, traductrice littéraire

  • Lamiss AZAB, Sciences Po Paris : D’une langue à l’autre : traduire des concepts, penser le terrain
  • Richard JACQUEMOND, Université Aix-Marseille / IREMAM : Les politiques arabes de soutien à la traduction en sciences humaines et sociales
  • Nibras CHEHAYED, Ifpo Beyrouth : Traduire les intraduisibles : le cas du Vocabulaire européen des  philosophies

11h00 – 12h30 I PANEL 5  : Les SHS arabes à l’ère du numérique
Modérateur et discutant : Mercedes VOLAIT, CNRS

  • David WRISLEY, NYU Abu Dhabi : Place des humanités numériques dans le monde arabe : enjeux, acteurs et  mise en oeuvre
  • Mohamed BEN ROMDHANE, Université de la Manouba : Le libre accès aux ressources scientifiques arabes en SHS
  • Aze-Eddine BOUCHIKHI, Institut des hautes études de Doha : Le numérique au service du savoir local : le cas du dictionnaire historique de la langue arabe

12h30 – 13h00 I CONCLUSIONS par Henry LAURENS

13h00 – 14h30 I Déjeuner

Détails

Début :
8 février 2023
Fin :
9 février 2023

Organisateurs

CAREP
Collège de France
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