Bulletin N°05

février 2017

Armée et religion en Pologne

Barbara Jankowski

Il y a un an, le gouvernement polonais décidait de créer les forces de défense territoriale, une cinquième branche venant s’ajouter à l’armée de terre, à la marine, à l’armée de l’air et aux forces spéciales. A cette occasion, le ministre de la défense polonais, Anton Macierewicz, fit une déclaration devant la commission de la défense de la Diète :
« l'objectif des forces de la défense territoriale devrait être de renforcer les bases patriotiques et chrétiennes de notre système de défense et des forces armées, pour que le patriotisme et la foi des soldats polonais soient les meilleurs garants de notre sécurité et pour permettre la mise en œuvre effective du programme de reconstruction de l'armée polonaise »[1]Gazeta.pl, 10 mars 2016, http://wiadomosci.gazeta.pl/wiadomosci/1,114871,19749560,wiara-polskich-zolnierzy-najlepszym-gwarantem-naszego-bezpieczenstwa.html  ; Newsweek.pl, 10 mars 2016, … Continue reading.
Les élus de l’opposition s’en sont émus, non sans humour. Cette anecdote reflète parfaitement ce qui se joue en Pologne depuis que le parti PiS (Droit et Justice) a repris le pouvoir en novembre 2015 : la volonté de faire renaître une certaine idée de la Pologne dans laquelle le catholicisme a une place non seulement fondatrice mais surtout exclusive.

La Pologne, un pays très homogène sur les plans ethnique et religieux

Aujourd’hui, la Pologne est un pays homogène, plus qu’il ne l’a jamais été dans son histoire multiculturelle. La Shoah y a décimé la quasi totalité des trois millions de Juifs qui y vivaient avant guerre (10% de la population). Le pays comptait alors la plus forte communauté juive d’Europe. Le glissement des frontières d’est en ouest à la fin de la seconde guerre s’est traduit par un autre renforcement de cette homogénéisation, puisque les populations ukrainiennes et biélorusses qui vivaient dans la partie orientale de la Pologne de l’entre deux guerres ont été rattachées à l’URSS, et les Allemands déplacés des territoires de l’ouest de la Pologne.
L'une des manifestations de la liberté retrouvée après 1989 et la chute du communisme a été la liberté d'association et le respect des identités religieuses et ethniques, mais le pays reste très uniforme sur le plan religieux comparé aux autres pays européens. L’institut de la statistique nationale, qui répertorie toutes les confessions religieuses présentes en Pologne, recensait, en 2014, 94,4% de catholiques (contre 95,7% en 2000), 500 000 orthodoxes, 62 000 protestants, environ 5000 musulmans, 8000 bouddhistes et environ 900 Juifs[2]Ces données sont collectées auprès des autorités des églises et des responsables religieux des différentes communautés représentées en Pologne. A noter que les athées et agnostiques ne sont … Continue reading.

La fonction de la religion en Pologne

Non seulement la Pologne est un pays essentiellement catholique, mais la religion y tient un rôle particulier. La conscience nationale y a été intimement associée à la religion catholique, surtout après les partages de la fin du XVIIIe siècle qui ont rayé le pays de la carte de l’Europe jusqu’en 1918. Entre 1918 et l’éclatement de la seconde guerre mondiale, la Pologne a retrouvé son indépendance. Après la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu’à la chute du communisme, la religion et l’Eglise catholique y ont joué un rôle de catalyseur de l’opposition politique. A compter de la fin des années 1950, l’église catholique retrouva une certaine autonomie à l’égard du pouvoir, en comparaison avec les autres pays du bloc de l’Est.
Depuis 1989, La Constitution de la République de Pologne, et notamment son article 53, ainsi que le concordat signé en 1993, instituent le cadre juridique des relations entre l'État et l'Église catholique. Ces deux textes de loi organisent la liberté religieuse et la coopération entre l’Etat et les autorités religieuses pour l'accès à la pratique religieuse dans les lieux où la liberté de mouvement est limitée (l'armée, les hôpitaux, les prisons). Pour les autres Eglises et organisations religieuses, des lois semblables ont été adoptées.

La Pologne est un pays dans lequel la religion occupe encore une place considérable dans l’espace public, même si elle est de plus en plus discutée : les croix placées dans les édifices publics et les écoles ne choquent pas 88% des Polonais interrogés, tout comme 83% d’entre eux considèrent légitime le caractère religieux du serment que prêtent les militaires[3]Sondage CBOS, Boskie i Cesarskie, o stosunkach miedzy Panstwem i kosciolami, nr 48/2015.. Plus significatif encore, ces proportions sont invariables depuis 1995. C’est dans le domaine des choix individuels que l’emprise de l’Eglise est désormais considérée comme moins justifiée.
Depuis 1989, la pratique religieuse connaît en Pologne un recul identique à celui qu’on a observé en Europe occidentale, même s’il est relatif. Dans une étude datant de 2014, l’institut des statistiques de l’église catholique rendait compte de cette baisse : la communauté catholique a perdu deux millions de fidèles en dix ans. A la date de l’étude, 97% des sondés se réclamaient du catholicisme, 39,1% allaient à la messe hebdomadaire, mais seulement 16,3% communiaient[4]Instytut Statystyki Kosciola Katolickiego, Postawy spoleczno-religijne Polakow 1991-2012, http://www.iskk.pl/sondazeniedzieli/196-postawy-spoeczno-religijne-polakow-1991-2012.html .

La religion dans l’armée polonaise

En l’espace de vingt cinq ans, l’armée polonaise a connu deux changements majeurs : la fin du communisme en 1989 et la professionnalisation en 2008. Du temps du communisme, les droits individuels des militaires dans les armées étaient purement formels. Depuis l’accès à la démocratie, les soldats jouissent de la liberté de conscience et de la liberté religieuse conformément à l’article 53 de la Constitution. L’article 16 du Concordat dispose que l’assistance pastorale aux militaires de religion catholique est assurée par l’aumônier en chef de l’armée dans le cadre de l’ordinariat militaire et que, si cela n’est pas incompatible avec leur charge, la possibilité de la libre participation à la messe du dimanche leur est garantie. Il existe des aumôneries catholiques, orthodoxes et protestantes au sein des armées. Les militaires peuvent recourir à l’Ombudsperson auprès du Parlement chargé des armées, qui veille à ce qu’aucun soldat ne soit obligé à participer à des manifestations religieuses ou, au contraire, empêché de pratiquer le culte de son choix.

En 2012, il y avait 92 églises de garnison avec à leur tête des aumôniers ayant rang de colonels, l’armée étant chargée de l’entretien des lieux de culte. En 2013, il a été décidé que les paroisses militaires dans les villes dans lesquelles il n'y a plus d’implantations militaires allaient être supprimées. Sept à huit paroisses étaient concernées dans des villes comme Gdansk ou Lodz. Le nombre de postes d’aumôniers militaires allait également être réduit de 202 à environ 140 dans les ordinariats catholique, orthodoxe et protestant.

Le centre d’études sociétales des armées (Wojskowe Biuro Badan Spolecznych) n’a publié aucune étude sur la question religieuse au sein de l’institution militaire. En revanche, une enquête récente a été conduite sur la conscience historique des militaires et leur sentiment patriotique. Le fait historique majeur de l’histoire de la nation cité par les militaires dans une récente enquête est relatif à la proclamation de l’indépendance de la Pologne après la fin de la première guerre mondiale. 76% d’entre eux le placent en tête. Le second événement marquant est l’élection du pape Jean-Paul II, considéré comme fait marquant du XXe siècle par 48% des militaires interrogés, sans que l’on puisse inférer de ce résultat une religiosité plus forte au sein des armées que dans la population dans son ensemble.

 

Références

MINK, Georges, La Pologne au cœur de l’Europe, de 1914 à nos jours, Buchet-Chastel, 2015.
MICHEL, Patrick, « L’église et le catholicisme polonais à l’épreuve du pluralisme », Pouvoirs, n° 118, 2006/3, pp. 89-100.

 

Notes

Notes
1 Gazeta.pl, 10 mars 2016, http://wiadomosci.gazeta.pl/wiadomosci/1,114871,19749560,wiara-polskich-zolnierzy-najlepszym-gwarantem-naszego-bezpieczenstwa.html  ; Newsweek.pl, 10 mars 2016, http://www.newsweek.pl/polska/wojska-obrony-terytorialnej-sily-zbrojne-rp-mon-wojsko-armia,artykuly,381576,1.html
2 Ces données sont collectées auprès des autorités des églises et des responsables religieux des différentes communautés représentées en Pologne. A noter que les athées et agnostiques ne sont donc pas répertoriés. Wyzwania religijne w Polsce. 2012-2014. Glowny Urzad Statystyczny.
3 Sondage CBOS, Boskie i Cesarskie, o stosunkach miedzy Panstwem i kosciolami, nr 48/2015.
4 Instytut Statystyki Kosciola Katolickiego, Postawy spoleczno-religijne Polakow 1991-2012, http://www.iskk.pl/sondazeniedzieli/196-postawy-spoeczno-religijne-polakow-1991-2012.html
Pour citer ce document :
Barbara Jankowski, "Armée et religion en Pologne". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°05 [en ligne], février 2017. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/armee-et-religion-en-pologne/
Bulletin
Numéro : 05
février 2017

Sommaire du n°05

Voir tous les numéros

Auteur.e.s

Barbara Jankowski, chercheur à l’IRSEM

Mots clés
Thèmes : ,
Pays :
Aires géographiques :
Aller au contenu principal