Bulletin N°48

avril 2024

Blasphème et sacrilège au sein de sociétés sécularisées

Alain Dieckhoff & Philippe Portier

Chères lectrices, Chers lecteurs,

Alors que les Archives Nationales proposent depuis le mois de mars 2024 une exposition intitulée « Sacrilège ! L’État, les religions et le sacré, de l’Antiquité à nos jours », l’Observatoire international du religieux a souhaité approfondir cette thématique en l’associant à celle, proche, du blasphème.

Si blasphème et sacrilège font avant tout référence au religieux, ces deux notions pourraient paraître quelque peu désuètes au sein de sociétés sécularisées. Le délit de blasphème a d’ailleurs été définitivement abrogé en 1881 en France – en 2017 en Alsace Moselle. L’exposition ne s’y trompe pas, sacrilège et blasphème ont tous deux été eux-mêmes sécularisés, leur signification s’élargissant désormais à tout ce qui peut relever du sacré au sein d’une société. Aux côtés de la Mort de Socrate par Jacques de Saint-Quentin figure ainsi l’aspersion des Tournesols de Van Gogh par des militants écologistes.

Ne nous y trompons pas cependant, la sécularisation des sociétés n’a pas entraîné la fin du religieux, simplement la séparation des sphères et la privatisation des pratiques. Si un déclin des croyances s’observe, il n’est pas linéaire et commun à l’ensemble du globe. Même au sein d’un pays laïque tel que la France qui érige la liberté d’expression en droit fondamental, blasphèmes et sacrilèges continuent de heurter les croyants, particulièrement les plus radicaux d’entre eux. L’attentat de Charlie Hebdo et l’assassinat de Samuel Paty nous l’ont montré de la plus effroyable des manières. Ils heurtent même au-delà des frontières. La publication des versets sataniques de Salman Rushdie avait provoqué des manifestations au Pakistan, en Iran, ou encore en Inde au cours de l’année 1989. Plus récemment, ce sont les Coran brûlés en Suède en 2023 qui ont soulevé les condamnations de l’Irak, de l’Arabie Saoudite ou de l’Iran. S’il est inenvisageable pour des États attachés à la liberté d’expression de ré-introduire le délit de blasphème dans leur droit, quelques failles semblent s’ouvrir, par souci de préservation de relations diplomatiques et internationales. C’est ce que nous pouvons observer au Danemark, qui a modifié sa législation en ce sens au début de l’année 2024.

Cette question est d’ailleurs parfaitement analysée dans le dossier thématique de ce numéro par Louis-Léon Christians, qui étudie l’évolution récente du droit européen en matière de blasphème et de sacrilège. Olivier Roy, dans la première contribution du bulletin, s’interroge sur la place et la signification du blasphème au sein d’une société sécularisée, particulièrement pour les non-croyants. Enfin, le troisième article du dossier est rédigé par Jeffrey Haynes, qui propose d’élargir l’analyse aux sociétés africaines. Le chercheur montre comment les lois sur l’apostasie, le blasphème et la propagande haineuse visent généralement à opprimer les minorités.

Nous avons souhaité revenir dans l’Eclairage(S) de cet opus sur les houthis, dont les actes de piraterie en mer Rouge ont été largement médiatisés ces derniers mois. Laurent Bonnefoy rappelle dans son article la guerre menée depuis une dizaine d’années par ce groupe au Yémen, tout en insistant sur les caractéristiques identitaires et religieuses du mouvement.

Enfin, la Ressource(S) nous permet de revenir en Inde, par l’analyse d’une fête qui vient tout juste d’être célébrée : Holi, qui marque la venue du printemps, en hommage au dieu Viṣṇu, à Kṛṣṇa et sa parèdre Rādhā. Raphaël Voix revient sur les particularités de cette célébration.

Bonne lecture à toutes et à tous !

Pour citer ce document :
Alain Dieckhoff & Philippe Portier, "Blasphème et sacrilège au sein de sociétés sécularisées". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°48 [en ligne], avril 2024. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/blaspheme-et-sacrilege-au-sein-de-societes-secularisees/
Bulletin
Numéro : 48
avril 2024

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Auteur.e.s

Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS & directeur du CERI

Philippe Portier, directeur d’études à l’EPHE

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