Bulletin N°48

avril 2024

Blasphèmes et sacrilèges face aux limites du droit en Europe – Anciennes vérités d’Etat et nouvelles politiques non-binaires du vivre-ensemble

Louis-Léon Christians

Le même Parlement danois qui avait abrogé le délit de blasphème en 2017 a édicté, en décembre 2023, une nouvelle infraction pénale, visant à empêcher la pratique publique des autodafés du Coran, devenue endémique. Si l’infraction a bien une portée générale, elle figure non pas dans la partie du code danois où se trouvait précédemment inscrit le délit de blasphème, mais dans une section consacrée à la protection des relations internationales, punissant par exemple le fait de brûler ou de dégrader un drapeau national. L’Article 110 e.2 prévoit désormais que « quiconque, publiquement ou avec l'intention de le diffuser dans un cercle plus large, se rend coupable de traitement inapproprié d'un écrit ayant une signification religieuse particulière pour une communauté religieuse reconnue, ou d'un objet qui semble être un tel écrit (est puni d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 2 ans) ». Ce texte s’articule d’une certaine façon avec l’art. 139 al. 2 du même code qui continue à sanctionner « quiconque se rend coupable d'un traitement indécent envers des objets appartenant à un culte et utilisées à l'usage de ce culte ». La nouvelle infraction danoise vient protéger les livres sacrés de toute dégradation publique quel qu’en soit le propriétaire ou l’usage, pour autant qu’il s’agisse d’un écrit qui relève d’un culte reconnu, alors que l’art. 139 vise tous les objets sacrés de tous les cultes, mais uniquement lorsqu’ils sont en usage pour ce culte. C’est d’ailleurs une telle disposition que vient de confirmer le nouveau code pénal belge adopté en février 2024. En Belgique, brûler un Coran que l’on vient d’acheter chez un libraire ne constituera pas une infraction en soi, mais bien le fait de dégrader un Coran en usage dans une mosquée belge. Au Danemark, toute dégradation publique de tout exemplaire, même privé, du Coran pourra justifier des poursuites. Dans les deux cas, la protection pénale ne se limite nullement à l’islam.

Comment comprendre de telles évolutions du droit apparemment paradoxales ? L’inscription de la nouvelle infraction danoise dans la section des relations internationales constitue certainement un indice pragmatique. La diffusion mondiale des moyens de communications modifie singulièrement la régulation des effets, jadis purement locaux, de la liberté d’expression. Les standards juridiques classiques de la « personne, prudente et diligente », qu’il s’agisse du locuteur qui s’exprime avec responsabilité ou du destinataire qui maîtrise ses émotions avec un certain flegme, cesse d’être mesurables ou anticipables si l’échelle géographique et psychologique varie par trop. Les effets internationaux de la communication (et de la sécurité) viennent manifestement impacter les régulations nationales[1]Louis-Léon Christians, « The Prohibition of Incitement to National, Racial or Religious Hatred in European Comparative Perspective », Journal Religion and Human Rights, vol. 9 (2-3), 2016, pp. 105 … Continue reading.

Réduire les enjeux du droit européen et international à des paradoxes conjoncturels serait toutefois réducteur. Une variété de critères formels sont aussi au cœur de débats juridiques. Ainsi, le vote danois n’a été conduit qu’à une faible majorité parlementaire obtenue précisément par l’engagement du Gouvernement de ne pas réintroduire un délit indirect de blasphème. La formulation de la nouvelle infraction a été restreinte par amendement du Gouvernement afin de ne pas incriminer l’usage de caricatures ou d’autres formes polémiques littéraires. La crise suscitée par les caricatures danoises, en 2005-2006, n’a pas été oubliée, ni au Danemark ni en Europe, ni aux Nations-Unies. Et la réponse qui émerge des instruments du droit international, traversée par d’autres contentieux encore, extra-européens, est claire : une recommandation unanime adressées aux Etats d’abroger tout délit de blasphème[2]Après diverses tensions au sein des Nations-Unies, la recommandation d’abrogation a été étendue à tout type de délits de « diffamation des religions », voir Jeroen Temperman, « … Continue reading. C’est ce que confirme encore la Rapporteuse spéciale ONU sur la liberté de religion ou de conviction dans son rapport thématique annuel déposé en janvier 2024[3]A/HRC/55/47, Haine fondée sur la religion ou la conviction. Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, Nazila Ghanea, 8 janvier 2024, [en ligne] … Continue reading.

Ce rapport vient opportunément rappeler que l’abrogation des délits de blasphème réinscrit toutes formes d’expression dans les balises du droit commun international : à savoir un principe de proportionnalité et de responsabilité, qui restreint l’usage étatique de la voie pénale, mais n’exonère pas pour autant les Etats de leurs obligations positives de pacification sociale, ni les particuliers des leurs. Ce n’est pas les allers-retours de prohibitions binaires que l’on doit retenir de l’évolution circonstancielle des législations nordiques mais surtout la complexité d’un continuum des critériologies juridiques destinées à évaluer limites que les démocraties peuvent et parfois doivent poser à certaines formes d’expressions intolérantes au nom même des droits fondamentaux.

C’est l’ampleur de ce continuum que la Rapporteuse ONU vient rappeler, douze ans après le Plan d’action de Rabat (ONU, 2012)[4]Voir [en ligne] https://www.ohchr.org/fr/freedom-of-expression#:~:text=Le%20Plan%20d'action%20de%20Rabat%20sugg%C3%A8re%20d'utiliser%20un,aux%20droits%20civils%20et%20politiques.  Sur ce plan, voir. … Continue reading, huit ans après le Processus d’Istanbul (ONU, 2016)[5]Voir [en ligne] https://www.istanbulprocess1618.info/impact/., mais aussi 17 ans après les résolutions 1510 (APCE, 2006)[6]Voir [en ligne] https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17457&lang=FR et 1805 (APCE, 2007)[7]Voir [en ligne] https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-EN.asp?fileid=17569. de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de polémiques (anti) religieuses confirme des approches éminemment contextuelles, autour d’une critériologie stable qui ne fonde aucun « droit » absolu au blasphème, mais place chaque liberté de parole face à ses propres responsabilités et limites[8]Voir en ce sens les analyses critiques de Mark Hill, Russell Sandberg, « The right to Blaspheme », dans Jeroen Temperman et Andras Koltay (dir.), Blasphemy and Freedom of Expression: Comparative, … Continue reading. Après avoir retracé l’histoire récente des déplacements conceptuels du droit international et européen en la matière (les nouvelles limites fixées par le droit pénal), on examinera la façon dont sont mis en avant d’autres dispositifs de politique publique (les nouvelles limites du droit lui-même).

Les nouvelles limites fixées par les droits pénaux

En Europe, la répression pénale du blasphème, entendu comme l’outrage fait à certaines divinités ou dogmes, appartient pour l’essentiel au passé[9]Voir le rapport de la Commission de Venise, auquel nous avons contribué, Venice Commission, Report on the relationship between freedom of expression and freedom of religion: The issue of regulation … Continue reading. Les recommandations européennes ont été suivies d’effet. Seuls quelques Etats connaissent encore un délit de ce type, que seule la Grèce et la Russie mettent encore en œuvre assez systématiquement. D’emblée, et comme on l’observait plus haut, d’autres infractions plus ou moins proches par leur résultat potentiel demeurent répandues, comme l’atteinte aux objets de culte, le trouble aux cérémonies du culte, ou plus largement l’atteinte aux sentiments religieux d’une communauté[10]On comparera ainsi l’ampleur géographique de la répression des blasphèmes (8 États) de l’atteinte aux sentiments religieux (25 États), des délits d’atteinte sacrilège aux biens affectés … Continue reading. Ces infractions de second rang semblent elles-aussi frappées progressivement d’obsolescence[11]À la rareté des contentieux judiciaires, on opposera la fréquence des polémiques sociales ou religieuses liées à des représentations artistiques ou publicitaires estimées problématiques..

Les données juridiques changent toutefois massivement avec l’émergence d’une catégorie nouvelle en droit européen et international : celle du délit d’incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence, couvrant entre autres la religion. Ce délit introduit d’abord par le Pacte ONU des droits civils et politiques (1966, art. 20[12]PDCP, Article 19 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre … Continue reading) a été renforcé, à la suite de directives européennes, par diverses législations nationales anti-discrimination. Ce délit d’incitation à la haine visait à l’origine essentiellement la haine dite raciale, ce qui lui a conféré une puissante ressource de légitimité. La lutte contre la discrimination s’est ensuite étendue à d’autres critères protégés. On notera qu’aucune obligation internationale n’enjoint de réprimer les propos simplement haineux, mais seulement ceux qui constituent une incitation à la haine, la discrimination, l’hostilité, ou la violence. Par ailleurs, n’est jamais visée de façon générale l’incitation à une haine quelconque : l’extension des critères protégés a fait, et fait encore dans divers pays européens, l’objet de débats difficiles[13]Pour la France, voir. Lauren Bakir, « Provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion : le curseur fixé par la … Continue reading. Seules « certaines cibles de haine » se voient protégées de toute incitation par le droit commun. Ainsi, furent âprement discutées, dans divers pays, la protection contre l’incitation à la haine en matière d’orientation sexuelle, mais aussi de la conviction religieuse ou philosophique[14]Ce fut le cas en Belgique lors des débats parlementaires ayant conduit au vote de la loi anti-discrimination du 25 février 2003, aujourd’hui remplacée par la loi du 10 mai 2007. Ce fut aussi le … Continue reading.

Dans certains pays, comme la France et la Belgique, d’autres délits nouveaux ont encore émergé de la lutte contre la discrimination, et liés à des faits historiques : les délits de révisionnisme et/ou de négationnisme, consistant à minimiser ou nier la shoah, et parfois d’autres génocides. L’ensemble de ces infractions a pour trait commun d’avoir pour victime non pas des personnes individualisées (déjà protégées par le droit commun de l’injure, de la calomnie et de la diffamation), mais des victimes collectives, des entités morales, voire des contenus abstraits. Dans cette mesure, ils sont en lien étroit avec la catégorie des délits d’opinion. Ces infractions n’ont toutefois pas été validées comme protectrices de nouvelles vérités d’Etat, ou de vérités historiques. C’est dans l’intention sous-jacente d’inciter à la haine ou à la discrimination que la Cour européenne des droits de l’homme a vu le seul justificatif de telles infractions. Cette justification se déploie souvent au prix de raisonnements et de présuppositions complexes, qui ont ainsi conduit la Cour européenne à distinguer le négationnisme de l’holocauste juif et le négationnisme du génocide arménien, en raison des intentions sous-jacentes différentes qui se jouaient dans les faits de chaque espèce[15]CEDH. (Grande chambre), arrêt du 15 octobre 2015 (Perinçek c. Suisse), n° 27510/08, (négation du génocide arménien) ; voir déjà Thomas Hochmann, Le négationnisme face aux limites de la … Continue reading.

Au surplus, et c’est ici une troisième voie importante tant elle s’inscrit sur une période longue, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme admet que les Etats aient la faculté (et parfois l’obligation) d’opposer d’autres limites encore aux abus de liberté d’expression que la seule incitation à la haine, et ce dans la ligne même de l’alinéa 2 de l’art. 10 de la Convention.

Tandis que la jurisprudence européenne rappelle depuis 1976[16]Depuis son arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49 : « ainsi que le confirme le libellé lui-même du second paragraphe de l'article 10 (art. 10-2), … Continue reading protéger non seulement les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi les idées qui « heurtent, choquent ou inquiètent »,  elle a commencé à préciser, dès 1980, que « la liberté de religion ne met pas les confessions à l'abri de toute critique, à moins que celle-ci n'atteigne une telle violence que cette liberté soit réellement mise en danger et que les pouvoirs publics le tolèrent[17]CEDH, décision du 14 juillet 1980 (Église de Scientologie c. Suède), n° 8282/78, D.R., 21, p. 109. ». La Cour admet des niveaux de protection différents selon les types de discours : ainsi, la garantie de protection est-elle très élevée pour les interventions politiques, plus faible pour les propos commerciaux et inexistante pour les discours liberticides ou anti-démocratiques[18]Par référence à l’art. 17 de la Convention européenne des droits de l’homme. Voir Sébastien Van Drooghenbroeck, « L'article 17 de la Convention européenne des droits de l'homme : … Continue reading.

Quant aux « attaques injurieuses contre les objets de vénération religieuse », la Cour européenne des droits de l’homme les soumet à un test particulier de « devoirs et de responsabilités ». Elle abaisse en effet le niveau de protection des expressions qualifiées d’« offenses gratuites », à savoir celles qui « ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain » (sic) et renforce en la matière la marge d’appréciation des Etats « car il n’est possible de discerner à travers l’Europe une conception uniforme de la signification de la religion dans la société ». Quoique contesté par une partie de la littérature, ce test a été maintenu par la Cour de façon constante depuis 1994[19]CEDH, arrêt du 20 Septembre 1994 (Otto-Preminger Institut c. Autriche), R.T.D.H.,1995, pp. 401 et s., obs. F. Rigaux, et pp. 417 et s. obs. G. Haarscher, « Le blasphémateur et le raciste » ; … Continue reading ! Sa mise en œuvre concrète s’est progressivement révélée moins unilatérale[20]L’évaluation demeure toutefois mitigée par exemple pour Ian Leigh, « Damned if they do, Damned if they don’t: the European Court of Human Rights and the Protection of Religion from Attack», … Continue reading dans ses applications que ce que semblaient craindre certains critiques à l’origine. Sur dix arrêts, à quatre reprises en tout cas, c’est bien un discours utile « au progrès des affaires du genre humain » que la Cour a décelé sous des expressions condamnées nationalement pour blasphème ou atteinte aux sentiments religieux[21]Voir par exemple, CEDH (1re instance), arrêt du 31 janvier 2006 (Giniewski c. France), n°64016/00 ; CEDH. (1re instance), arrêt du 2 mai 2006 (Aydin Tatlav c. Turquie), n°50692/99 ; CEDH (1re … Continue reading.

Ce bref parcours laisse entrevoir qu’au-delà des formes classiques de (répression des) blasphèmes, délaissées par un nombre croissant de législations pénales, de multiples facettes nouvelles apparaissent dans les pratiques du droit (européen). Le cœur de la difficulté tient à la tendance lourde en Europe de ne pas se limiter, comme aux États-Unis, à la répression de discours explicites (par référence à la catégorie des « fighting words » et à l’usage d’un test du « clear and present danger[22]Voir par exemple, David G. Barnum, «The Clear and Present Danger Test in Anglo-American and European Law », San Diego International Law Journal, 7 (2), 2006, pp. 263-292. Comme la Cour européenne … Continue reading »), mais d’envisager également les implicites et les sous-entendus des discours, pour y déceler une intention spécifique.  Ainsi, comment investiguer, « derrière » l’invocation d’un référent religieux polémique, la présence ou non d’une incitation à la haine voire à tout le moins d’une « offense gratuite »[23]Eric Barendt, « Religious Hatred Laws: Protecting Groups or Belief? », Res Publica, 2011, pp. 41-53. ?

S’ouvre ainsi une tâche difficile pour les juges européens, et risquée pour la liberté d’expression : celles d’interpréter les discours, non seulement dans l’intention de leur auteur mais aussi dans la perception contextuelle des publics, visés ou fortuits.

Ce champ ouvert de l’interprétation des discours emporte avec lui des risques d’appréhension stéréotypée des réalités sociales, voire des risques de méta-discriminations, par un tri orienté selon les critères protégés. La pratique de tests à géométries variables selon le type de discours, ou selon la distribution des rôles d’agresseurs et de victimes, a déjà été bien analysée[24]Voir notamment, Olivier De Schutter, « Le droit d'être à l'abri du discours d'incitation à la haine ou à la discrimination raciale ou religieuse », in Annabel Backs, Sven Gutwirth, Kat Leus … Continue reading. Ainsi, l’interprétation judiciaire des discours risque de varier selon que les personnes menacées par des incitations à la haine ou à la discrimination appartiennent à l’une ou l’autre minorité[25]Ainsi, la question de l’« ethnicisation » variable des polémiques religieuses, et ses réponses parfois différentes, par exemple entre le traitement des polémiques juives ou des polémiques … Continue reading. D’autres distinctions renforcent le caractère peu contrôlable des jeux argumentatifs et interprétatifs. Ainsi, au cœur même de la thématique de ces lignes, la distinction souvent proposée entre l’attaque choquante (mais protégée) envers des idées et l’incitation (prohibée) envers des personnes peut s’avérer complexe dès lors que n’est pas retenu le test du « clear and present danger ».

La Rapporteuse ONU pour la liberté de religion a rappelé en février 2024 les 6 critères d’évaluation des délits d’incitation à la haine indiqués par le Plan d’action de Rabat, à l’issue d’un vaste processus de consultation et d’expertises :

a) Le contexte : Le contexte a une grande importance lorsqu’il s’agit d’évaluer si des propos sont susceptibles d’inciter à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence contre le groupe visé et il peut également influer directement sur l’appréciation de l’intention et du lien de causalité. L’analyse du contexte consiste à considérer le climat social et politique dans lequel le discours a été formulé ou diffusé ;

b) L’auteur : Il y a lieu de prendre en considération la position ou le statut qu’a dans la société, la personne ou l’organisation qui est à l’origine du discours, et plus particulièrement son influence sur le public auquel le discours s’adresse ;

c) L’intention : L’article 20 du Pacte renvoie à l’idée d’intention. Étant donné qu’il y est question d’« appel » et d’« incitation », et non de la simple distribution ou diffusion de supports, le fait qu’un acte soit marqué de négligence et d’imprudence ne suffit pas à en faire une infraction au regard de cet article. Il faut pour cela qu’existe une relation triangulaire entre l’objet et la source du discours et le public auquel il s’adresse ;

d) Le fond et la forme : Le fond du discours est l’un des éléments essentiels permettant d’en juger le caractère incitatif et doit tenir une place centrale dans les délibérations du tribunal. L’analyse du contenu peut porter sur le niveau de provocation et l’aspect direct des propos, ainsi que sur la forme, le style, la nature des arguments avancés et l’équilibre assuré entre ceux-ci ;

e) La portée des propos : La portée renvoie à des aspects tels que le retentissement des propos, leur caractère public, leur ampleur et le nombre de personnes auxquels ils s’adressent. Sont également à prendre en considération les éléments suivants : le discours est-il public ? Les propos ont-ils été diffusés au moyen d’un simple dépliant, dans des médias grand public, par Internet ou par d’autres moyens ? Quelle était la fréquence, la quantité et la portée des communications ? Le public concerné avait-il les moyens de passer à l’acte ? Les propos (ou les travaux) ont-ils été diffusés dans un milieu restreint ou étaient-ils largement accessibles au grand public ?

f) La probabilité d’un passage à l’acte et son imminence : L’incitation est, par définition, une infraction inchoative. Il n’est pas nécessaire que les actes auxquels un discours incite soient commis pour que ce dernier constitue une infraction. Il faut néanmoins mesurer le risque d’accomplissement d’un acte préjudiciable. Cela signifie que les tribunaux doivent déterminer qu’il y avait une probabilité raisonnable que les propos tenus conduisent de façon relativement directe à ce que des actes soient commis contre le groupe visé.

[…]

En ce qui concerne le fond, la Rapporteuse spéciale est d’avis que les attaques contre les livres saints, ou même les symboles religieux, peuvent être constitutives d’incitation, mais il n’y a qu’un seul cas où elle a établi qu’une telle attaque constituait une infraction selon la grille d’évaluation du Plan d’action de Rabat. La raison en est que cette évaluation ne porte pas seulement sur le contenu, mais aussi sur cinq autres points. On ne peut pas s’appuyer sur des considérations abstraites qui sont soit vides de contenu, soit basées sur des réponses « de principe ». Il faut au contraire examiner dans chaque cas ce qui est en jeu et quels sont les risques et les avantages des différentes mesures possibles[26]« À titre d’exemple, en octobre 2023, le tribunal de district de Linköping (Suède) a déclaré coupable d’incitation à la haine contre un groupe de population un homme de 27 ans qui avait … Continue reading .

On le voit, autant l’abandon des vérités d’Etat, religieuses ou idéologiques, et de leur protection pénale contribue au processus moderne de liberté, autant la pesée des droits et responsabilités dans l’exercice des libertés publiques semble conduire à des analyses particulièrement sensibles, amenant le juge pénal à des tentatives herméneutiques qui brouillent des catégories binaires trop évidentes[27]Voir pour une analyse du test du « clear and present danger » comme réponse à des dérives historiques de la Raison d’État : Mark Kessler, « Legal Discourse and Political Intolerance: The … Continue reading. De ce point de vue, l’abrogation des délits de blasphèmes risque de n’être que la partie visible de l’iceberg, renvoyant l’analyste à d’autres techniques étatiques d’appréhension de discours incitant plus ou moins explicitement à l’hostilité[28]Voir pour une analyse du test du « clear and present danger » comme réponse à des dérives historiques de la Raison d’État : Mark Kessler, « Legal Discourse and Political Intolerance: The … Continue reading.

Les limites du droit lui-même face à la nécessité d’autres dispositifs publics

La bascule qui se joue entre l’abrogation des délits de blasphème et l’extension de la répression de l’incitation à la haine envers des catégories protégées de personnes, ne prend son sens strict en droit européen et international qu’au titre des mutations des normes pénales. Outre les effets contre-productifs d’autres types d’infraction pénale, il s’agit plus largement de ne pas déduire de l’abrogation de certaines normes pénales l’abandon de toute politique publique préventive ou curative. Aussi bien, d’autres formes de politiques publiques sont préconisées par les organisations internationales et européennes, en vue de responsabiliser toute prise de parole publique polémique et de favoriser le vivre-ensemble avec les minorités de tout type, y compris religieuse et convictionnelle.

Les différents instruments déjà mentionnés évoquent ainsi, à tout le moins pour être pris en considération[29]Voir les formules prudentes de la résolution 1510 (2006) de l’APCE : « 6. Les réactions à des images perçues comme négatives, relayées par des livres, des films, des caricatures, des … Continue reading l’intervention possible du droit de la responsabilité civile, ou encore le cas échéant du droit des relations de travail, ou encore des mesures administratives ou de subventionnement conditionnel en vue de pacifier les relations humaines dans des contextes tendus. La liberté d’expression est garantie sans constituer un absolu. Il appartient à chaque droit national, dans la marge d’appréciation qui lui est reconnue, de moduler les conditions de cette responsabilité civile. On n’entre pas ici dans le détail des 46 législations des Etats du Conseil de l’Europe. On se borne à rappeler par exemple la jurisprudence de la Cour de cassation de France qui, par arrêt du 12 juillet 2000, estime inapplicable aux dommages causés par l’exercice de la liberté d’expression la règle générale de responsabilité civile prévue par le code civil dès lors que la loi du 29 juillet 1881 prévoit un régime spécial pour ce type de contentieux[30]Voir par exemple Christophe Bigot, « Blasphème, respect des croyances et liberté d’expression : l’impasse de l’article 1382 du Code civil », LEGICOM, 55(2), 2015, pp. 59 -63..

Au-delà même du droit civil, différentes politiques publiques ont été recommandées. Ainsi, une analyse des recommandations récentes de la Rapporteuse ONU permet de cerner trois grandes catégories d’action publique, dont la caractéristique commune est de prendre en compte certains signes faibles qui, accumulés, peuvent conduire à la création d’une atmosphère hostile, violente ou discriminatoire, envers des minorités religieuses ou convictionnelles. Ces signes faibles, quoique n’atteignant pas de seuil infractionnel, n’en sont dès lors pas négligeables pour autant.

La première catégorie vise le renforcement des politiques de contre-discours. Les outrances d’un discours doivent être déstabilisée par un autre discours, lui-même appuyé par une légitimation la plus large possible. Le recours à des agents publics formés, mais aussi à des leaders religieux est recommandée. La Rapporteuse souligne toutefois des aspects contre-productifs, notamment dus à un risque de polarisation croissante des discours et de leurs locuteurs, voire de leurs destinataires.

La deuxième catégorie vise des approches transformatrices destinées à s’attaquer aux « causes profondes » des tensions : favoriser la compréhension mutuelle et la prévention des conflits et la médiation, assurer la formation des agents de l’État à des stratégies de communication efficaces, promouvoir la représentation et la participation véritable des personnes, quelle que soit leur religion, dans tous les secteurs de la société ; valoriser le débat d’idées ouvert, constructif et respectueux ainsi que le dialogue interconfessionnel et interculturel aux niveaux local, national et international ; s’employer à combattre le profilage religieux, à savoir l’utilisation discriminatoire de la religion par les forces de l’ordre pour justifier des interrogatoires, des fouilles et d’autres procédures d’enquête. Le spectre est aussi large que généreux, mais il atteste du renforcement international des obligations positives de l’Etat. Les résolutions du Conseil de l’Europe vont dans le même sens. Ainsi, la résolution 1510 (2006),

encourage les communautés religieuses en Europe à débattre de la liberté d’expression et du respect des croyances religieuses au sein de chaque communauté, et à entretenir un dialogue avec d’autres communautés religieuses afin de développer un code de conduite et une conception commune de la tolérance religieuse, qui est nécessaire dans une société démocratique. L’Assemblée invite également les professionnels des médias et leurs organisations à débattre de l’éthique des médias à l’égard des croyances et des sensibilités religieuses. Elle encourage la création, le cas échéant, d’organes de réclamation et de médiation ou d’autres organes d’autorégulation dans le secteur des médias, qui seraient chargés d’étudier les moyens de recours applicables en cas d’offense à des croyances religieuses […] L’Assemblée encourage le dialogue interculturel et interreligieux fondé sur les droits de l’homme universels, impliquant – sur la base de l’égalité et du respect mutuel – la société civile ainsi que les médias, et visant à promouvoir la tolérance, la confiance et la compréhension mutuelle, qui sont essentielles à l’édification de sociétés solidaires et à la consolidation de la paix et de la sécurité au niveau international (§§ 14-16).

La troisième catégorie est celle de la coopération multilatérale interétatique, dans la ligne aussi du Protocole d’Istanbul sur l’échange de bonnes pratiques. La Rapporteuse spéciale souligne les effets des nouveaux contextes géopolitiques : « La rapidité avec laquelle les appels à la haine sont diffusés et propagés, reproduits et réutilisés dans différentes situations par divers acteurs ayant des priorités qui leur sont propres peut à première vue constituer une difficulté pour les États et donc exiger une approche plus dissuasive, par prudence ». L’échange de bonnes pratiques et la coopération préventive entre Etats ne dispense pas des responsabilités nationales pour la mise en oeuvre des dispositifs pénaux nationaux, mais elle permet de mieux considérer les nouvelles mobilités communicationnelles par-delà les anciennes frontières culturelles. Le Rapport 2024 souligne que ces mesures de pacification sur les tensions (pro/contra) religieuses ne doivent pas seulement avoir les acteurs sociaux comme objets mais aussi comme sujets : « Les organisations de la société civile, ainsi que les chefs religieux et les acteurs confessionnels, devraient être systématiquement invités à participer aux réunions du Processus d’Istanbul en vue de mettre en commun les bonnes pratiques et les enseignements ». Les enjeux d’expertise partagée, d’expériences communiquées et plus largement de démocratie participative large viendrait contribuer à une pacification plus effective, et peut-être prendre le pas sur les fluctuations pénales qui relèvent de la démocratie représentative.

Conclusions

Face aux mutations législatives en Europe délaissant les anciens délits de blasphème et renforçant la répression de formes de plus en plus implicites d’incitation à la haine, on s’interrogera d’abord sur la multiplication des contentieux liées à des discours polarisants en matière religieuse et sur la nécessité de ne pas rouvrir de biais discriminatoires dans le traitement répressifs d’incitations cryptées à la haine[31]Sur l’émergence de nouvelles vérités d’État, Louis-Léon Christians, « Polémiques religieuses et intentions cachées. Nouvelles sacralités et méta-discrimination en droit … Continue reading. Cet examen se complique au gré de la globalisation des sociétés et des moyens de communications, ainsi que des conditions pragmatiques de sécurité nationale. On rejoint ici les premières analyses du nouveau droit danois prohibant les autodafés de certains livres sacrés. Mais plus largement, c’est la capacité des législations pénales qui est mise en cause dans ce dossier comme dans d’autres. Les organisations internationales et européennes recommandent donc d’autres dispositifs publics, en matière d’éthique des médias, d’éducation à la parole, d’encouragement au dialogue interculturel et au respect mutuel. Il s’agit de croire encore aux potentialités des cercles vertueux.

 

Notes

Notes
1 Louis-Léon Christians, « The Prohibition of Incitement to National, Racial or Religious Hatred in European Comparative Perspective », Journal Religion and Human Rights, vol. 9 (2-3), 2016, pp. 105 –138.
2 Après diverses tensions au sein des Nations-Unies, la recommandation d’abrogation a été étendue à tout type de délits de « diffamation des religions », voir Jeroen Temperman, « Blasphemy, Defamation of Religions and Human Rights Law », Netherlands Quarterly of Human Rights 26, 2008, pp. 517-545 ; Allison G. Belnap, « Defamation of Religions : A Vague and Overbroad Theory That Threatens Basic Human Rights », Brigham Young University Law Review, 2010, 2, pp. 635–686.
3 A/HRC/55/47, Haine fondée sur la religion ou la conviction. Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, Nazila Ghanea, 8 janvier 2024, [en ligne] https://www.ohchr.org/fr/documents/thematic-reports/ahrc5547-hatred-basis-religion-or-belief-special-rapporteur-freedom
4 Voir [en ligne] https://www.ohchr.org/fr/freedom-of-expression#:~:text=Le%20Plan%20d'action%20de%20Rabat%20sugg%C3%A8re%20d'utiliser%20un,aux%20droits%20civils%20et%20politiques.  Sur ce plan, voir. Sejal Parmar, «The Rabat Plan of Action: A global blueprint for combating hate speech », European Human Rights Law Review 2014, 21.
5 Voir [en ligne] https://www.istanbulprocess1618.info/impact/.
6 Voir [en ligne] https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17457&lang=FR
7 Voir [en ligne] https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-EN.asp?fileid=17569.
8 Voir en ce sens les analyses critiques de Mark Hill, Russell Sandberg, « The right to Blaspheme », dans Jeroen Temperman et Andras Koltay (dir.), Blasphemy and Freedom of Expression: Comparative, Theoretical and Historical Reflections after the Charlie Hebdo Massacre, Cambridge University Press, 2017, pp. 114-134.
9 Voir le rapport de la Commission de Venise, auquel nous avons contribué, Venice Commission, Report on the relationship between freedom of expression and freedom of religion: The issue of regulation and prosecution of blasphemy, religious insult and incitement to religious hatred, Study 406/2006, adopté par la Commission de Venise lors de sa 76e Session Plénière, 17-18 octobre 2008, et l’ouvrage Venice Commission, Blasphemy, insult and hatred - Finding answers in a democratic society, Science and Technique of democracy, 47, Council of Europe Publishing, 2011.
10 On comparera ainsi l’ampleur géographique de la répression des blasphèmes (8 États) de l’atteinte aux sentiments religieux (25 États), des délits d’atteinte sacrilège aux biens affectés aux cultes (18 États), des délits troubles à l’exercice de la liberté religieuse (31 États) et de la répression de l’incitation à discrimination ou haine religieuse (39 États) ! On mentionnera encore la protection pénale des bonnes mœurs ou de la pudeur, les régimes d’autorisation ou de classification en matière cinématographique ou médiatique, la réglementation des messages publicitaires le droit commun de l’injure et de la diffamation de groupe.
11 À la rareté des contentieux judiciaires, on opposera la fréquence des polémiques sociales ou religieuses liées à des représentations artistiques ou publicitaires estimées problématiques.
12 PDCP, Article 19 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. 3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ; b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

PDCP, Article 20, 1. Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi. 2. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi.

13 Pour la France, voir. Lauren Bakir, « Provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion : le curseur fixé par la Cour de cassation pour qualifier l’infraction », Europe des Droits & Libertés / Europe of Rights & Liberties, 2 (6), 2022, pp. 310-324.
14 Ce fut le cas en Belgique lors des débats parlementaires ayant conduit au vote de la loi anti-discrimination du 25 février 2003, aujourd’hui remplacée par la loi du 10 mai 2007. Ce fut aussi le cas en Angleterre, lors des débats parlementaires relatifs à ce qui allait devenir le Religious Hatred Act (2006). Voir aussi les débats suscités depuis 2004 en France par les différences de régime juridique (quant aux délais de prescriptions notamment) entre l’injure raciste, antisémite et religieuse d’une part, et d’autre part l’injure à raison de l’orientation sexuelle, du sexe ou du handicap.
15 CEDH. (Grande chambre), arrêt du 15 octobre 2015 (Perinçek c. Suisse), n° 27510/08, (négation du génocide arménien) ; voir déjà Thomas Hochmann, Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression, étude de droit comparé, Paris, Pedone, 2012.
16 Depuis son arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49 : « ainsi que le confirme le libellé lui-même du second paragraphe de l'article 10 (art. 10-2), quiconque exerce les droits et libertés consacrés au premier paragraphe de cet article (art. 10-1) assume "des devoirs et des responsabilités ».  Parmi eux – dans le contexte des opinions et croyances religieuses – peut légitimement être comprise une obligation d'éviter autant que faire se peut des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain.  Il en résulte qu'en principe on peut juger nécessaire, dans certaines sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, des attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse, pourvu toujours que toute « formalité », « condition », « restriction » ou « sanction » imposée soit proportionnée au but légitime poursuivi (voir l'arrêt Handyside mentionné ci-dessus, ibid.).
17 CEDH, décision du 14 juillet 1980 (Église de Scientologie c. Suède), n° 8282/78, D.R., 21, p. 109.
18 Par référence à l’art. 17 de la Convention européenne des droits de l’homme. Voir Sébastien Van Drooghenbroeck, « L'article 17 de la Convention européenne des droits de l'homme : incertain et inutile ? », dans Collectif, Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ? Groupements liberticides et droit, Bruxelles, Bruylant, 2000, 143 et s.
19 CEDH, arrêt du 20 Septembre 1994 (Otto-Preminger Institut c. Autriche), R.T.D.H.,1995, pp. 401 et s., obs. F. Rigaux, et pp. 417 et s. obs. G. Haarscher, « Le blasphémateur et le raciste » ; Riv. dir. int., 1995, pp. 413, obs. F. Margiotta Broglio; R.U.D.H.,1994, pp. 463, obs. P. Wachsmann; CEDH, arrêt du 25 novembre 1996 (Wingrove c. Royaume Uni) , n°19/1995/525/611, R.T.D.H.,1997, p. 713, note Larralde; Comm.eur.D.H., décision du 18 avril 1997 (Dubowska c. Pologne et Skup c. Pologne) , n°CEDH (1re instance), arrêt du 13 Septembre 2005 (I.A. c. Turquie) , n°42571/98; CEDH (1re instance), arrêt du 25 janvier 2007 (Vereinigung Binden der Künstler c. Autriche) , n°68354/01 ; CEDH (1re instance), arrêt du 25 Octobre 2018 (E. S. c. Autriche) , n°38450/12.
20 L’évaluation demeure toutefois mitigée par exemple pour Ian Leigh, « Damned if they do, Damned if they don’t: the European Court of Human Rights and the Protection of Religion from Attack», Res Publica, 2011, pp. 55-74; voir la diversité des analyses dans l’ouvrage de Jeroen Temperman et András Koltay (dir.), Blasphemy and Freedom of Expression: Comparative, Theoretical and Historical Reflections after the Charlie Hebdo Massacre, Cambridge University Press, 2017.
21 Voir par exemple, CEDH (1re instance), arrêt du 31 janvier 2006 (Giniewski c. France), n°64016/00 ; CEDH. (1re instance), arrêt du 2 mai 2006 (Aydin Tatlav c. Turquie), n°50692/99 ; CEDH (1re instance), arrêt du 17 Juillet 2018 (Mariya Alekhina And Others [Pussy Riots] c. Russie), n° 38004/12, CEDH. (1re instance), arrêt du 22 Juillet 2021 (Gachechiladze c. Georgie) , n 2591/19,
22 Voir par exemple, David G. Barnum, «The Clear and Present Danger Test in Anglo-American and European Law », San Diego International Law Journal, 7 (2), 2006, pp. 263-292. Comme la Cour européenne l’indique explicitement, par exemple, dans une décision du 16 juillet 2009 (Feret c. Belgique) : « La Cour estime que l’incitation à la haine ne requiert pas nécessairement l’appel à tel ou tel acte de violence ni à un autre acte délictueux. Les atteintes aux personnes commises en injuriant, en ridiculisant ou en diffamant certaines parties de la population et des groupes spécifiques de celle-ci ou l’incitation à la discrimination, comme cela a été le cas en l’espèce, suffisent pour que les autorités privilégient la lutte contre le discours raciste face à une liberté d’expression irresponsable et portant atteinte à la dignité, voire à la sécurité de ces parties ou de ces groupes de la population. Les discours politiques qui incitent à la haine fondée sur les préjugés religieux, ethniques ou culturels représentent un danger pour la paix sociale et la stabilité politique dans les Etats démocratiques ».
23 Eric Barendt, « Religious Hatred Laws: Protecting Groups or Belief? », Res Publica, 2011, pp. 41-53.
24 Voir notamment, Olivier De Schutter, « Le droit d'être à l'abri du discours d'incitation à la haine ou à la discrimination raciale ou religieuse », in Annabel Backs, Sven Gutwirth, Kat Leus et Serge Baeten (dir.), De Gordiaanse knoop van de antidemocratische partijen. De wet als tweesnijdend zwaard?, Le nœud gordien des partis démocratiques. La loi, une épée à double tranchant?, Gent, Mys & Breesch, 2001, pp. 127-157.
25 Ainsi, la question de l’« ethnicisation » variable des polémiques religieuses, et ses réponses parfois différentes, par exemple entre le traitement des polémiques juives ou des polémiques liées à l’islam.
26 « À titre d’exemple, en octobre 2023, le tribunal de district de Linköping (Suède) a déclaré coupable d’incitation à la haine contre un groupe de population un homme de 27 ans qui avait diffusé une vidéo dans laquelle il brûlait un exemplaire du Coran, se référant dans son jugement aux circonstances de l’espèce, notamment l’utilisation d’une musique de fond lors d’une attaque terroriste » (Voir [en ligne] https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/issues/religion/2023-10-19-EOM-sr-religion.docx. Rapport cité, n°35 et note 64)
27 Voir pour une analyse du test du « clear and present danger » comme réponse à des dérives historiques de la Raison d’État : Mark Kessler, « Legal Discourse and Political Intolerance: The Ideology of Clear and Present Danger », Law & Society Review 1993, 27 (3), pp. 559–598.
28 Voir pour une analyse du test du « clear and present danger » comme réponse à des dérives historiques de la Raison d’État : Mark Kessler, « Legal Discourse and Political Intolerance: The Ideology of Clear and Present Danger », Law & Society Review 1993, 27 (3), pp. 559–598.
29 Voir les formules prudentes de la résolution 1510 (2006) de l’APCE : « 6. Les réactions à des images perçues comme négatives, relayées par des livres, des films, des caricatures, des peintures ou l’internet, ont récemment été à l’origine de vastes débats sur la question de savoir si – et le cas échéant, dans quelle mesure – le respect des croyances religieuses justifie de limiter la liberté d’expression. Les questions relatives à la responsabilité, à l’autorégulation et à l’autocensure des médias ont également fait débat ».
30 Voir par exemple Christophe Bigot, « Blasphème, respect des croyances et liberté d’expression : l’impasse de l’article 1382 du Code civil », LEGICOM, 55(2), 2015, pp. 59 -63.
31 Sur l’émergence de nouvelles vérités d’État, Louis-Léon Christians, « Polémiques religieuses et intentions cachées. Nouvelles sacralités et méta-discrimination en droit contemporain », dans Alain Dierkens, Jean-Philippe Schreiber (dir.), Le blasphème : du péché au crime, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, XXI, Problèmes d’Histoire des religions, 2012, pp. 107-121 ; Jacques de Saint-Victor, « “Le Mal blasphémateur” et le retour de l’éloge de la censure », Cités, 3 (91), pp. 35-46. Ce constat peut être adressé au caractère très variable de la prise en compte juridique des niveaux de sensibilité aux discours et d’émotivité, traités selon des critères eux-mêmes parfois instables ou biaisés. Voir Jeroen Temperman, « “Mother of God, Drive Putin Away” On Blasphemy and Activist Art in the Jurisprudence of the European Court of Human Rights », dans Jeroen Temperman et András Koltay, « Blasphemy laws stake the freeness of speech on the thickness of the skin of religious believers », op. cit., pp. 294-314. Voir aussi les thématiques juridiques du « Heckler’s Veto », selon laquelle le groupe qui siffle le plus fort en vient à exercer un droit de veto : Brett G. Johnson, « The Heckler's Veto: Using First Amendment Theory and Jurisprudence to Understand Current Audience Reactions against Controversial Speech », Communication Law and Policy, 21 (2), 2016, pp. 175-220. Voir enfin les polémiques américaines et anglaises visant à déterminer si un pâtissier peut être protégé au titre d’une liberté d’expression artistique lorsqu’il refuse de créer certaines formes de gâteau au nom de sa liberté de conscience : René Reyes, « Masterpiece Cakeshop and Ashers Baking Company: A Comparative Analysis of Constitutional Confections », Stanford Journal Of Civil Rights & Civil Liberties, XVI, 2020, pp. 113-147.
Pour citer ce document :
Louis-Léon Christians, "Blasphèmes et sacrilèges face aux limites du droit en Europe – Anciennes vérités d’Etat et nouvelles politiques non-binaires du vivre-ensemble". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°48 [en ligne], avril 2024. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/blasphemes-et-sacrileges-face-aux-limites-du-droit-en-europe-anciennes-verites-detat-et-nouvelles-politiques-non-binaires-du-vivre-ensemble/
Bulletin
Numéro : 48
avril 2024

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Louis-Léon Christians, Université catholique de Louvain

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