Bulletin N°45

Chères Lectrices, chers Lecteurs,

Notre imaginaire associe généralement les hommes et femmes d’Église à la paix, paix qu’ils initient, qu’ils garantissent et qu’ils incarnent, ne pouvant ni porter les armes, ni verser le sang d’autrui. Les Évangiles sont porteurs d’un message de non-violence ; les évêques depuis le bas Empire sont defensor civitatis ; ils impulsent, aux côtés de moines et de laïcs, la « paix de Dieu » qui émerge peu avant l’an Mil et qui condamne à l’anathème tout homme qui pille une église, s’en prend à un ecclésiastique ou aux plus pauvres. Ce rôle pacifiste dévolu aux acteurs religieux demeure aujourd’hui. Une délégation de chefs religieux s’est ainsi rendue en août à Niamey peu après le coup d’État afin d’apaiser les tensions et d’éviter toute intervention militaire. Elle s’est également entretenue avec le président de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Quelques jours auparavant, le pape appelait à mettre un terme à la guerre russo-ukrainienne, regrettant « le manque de courageux itinéraires de paix » et ayant préalablement tenté diverses médiations pour résoudre ce conflit.

Pourtant, ce descriptif ne saurait à lui seul rendre compte du rapport entre religieux et conflits. Une toute autre analyse peut être proposée, en insistant cette fois sur le bellicisme des Dieux antiques, en rappelant la théorisation de la « guerre sainte » au Moyen Âge et les croisades lancées au nom de Dieu contre les hérétiques à la même époque. Les religieux ont pu appeler à la guerre ou même directement porter les armes.

L’objectif de ce nouvel opus est de dépasser une grille de lecture quelque peu simpliste qui associe trop facilement acteurs religieux et paix, en s’intéressant plus particulièrement aux religieux et religieuses en guerre. Il s’inscrit dans la continuité des réflexions particulièrement stimulantes menées lors d’un colloque organisé en juin 2023 sur la thématique par l’université de Louvain La Neuve. Trois articles composent le dossier de ce Bulletin. Le premier, rédigé par Pascal Boniface (Université de Picardie-Jules Verne), permet une inscription historique de cette relation, par une analyse qui s’étend du XIX^e siècle au XXI^e siècle. L’historien décline les diverses facettes du rapport entre religieux et conflits, exposant le soutien à l’effort de guerre comme la défense de la paix et la protection des victimes. Le deuxième article est proposé par Marcin Jewdokimow de l’Université de Varsovie. Le chercheur s’intéresse cette fois au rôle des religieux et religieuses en Pologne sous le communisme. Le dernier article du dossier thématique porte sur la Birmanie. Julie Lavialle-Prélois (EHESS) explore à la fois l’implication des moines dans les violences commises contre les musulmans et le contre-pouvoir que joue parallèlement le clergé face à la junte militaire.

L’Éclairage(s) est rédigé par Bayram Balci (Sciences po). Le chercheur revient sur les élections présidentielles turques qui ont permis à Recep Tayyip Erdogan de mener un troisième mandat consécutif. Plus précisément, il éclaire le poids respectif de l’islam et du nationalisme dans ce scrutin.

Enfin, nous avons souhaité profiter de la thématique de ce Bulletin pour proposer Décryptage(S) sur le monastère de la Laure de Kiev. Denis Brylov (Centre européen d’analyse stratégique) nous explique les enjeux et conséquences de la résiliation du bail de la Laure supérieure et de la Laure inférieure et s’interroge sur le maintien à long terme de l’Église orthodoxe ukrainienne-patriarcat de Moscou en Ukraine.

Bonne lecture à toutes et à tous !