De quelle séparation la restitution des biens de l’Eglise en République tchèque et en Slovaquie est-elle le nom ?
Barbora SpalovaA des degrés divers, mais partout en Europe centrale, la gestion des biens de l’Eglise a toujours été une source de tensions politiques et l’objet de régulation de la part de l’Etat. Par exemple, afin de réduire son influence sur la société autrichienne, l’Eglise catholique romaine a été expropriée de façon substantielle lors du règne de Joseph II (1765-1790). De la même façon, la première République tchécoslovaque (1918-1938) réforme les droits fonciers afin de réduire le volume de biens détenus par l’Eglise (loi No. 215/1919 Coll.). Cette nouvelle disposition légale réduit d’environ 16% les biens immobiliers détenus par l’Eglise catholique romaine. Mais l’intervention la plus marquante en la matière survient après le coup d’Etat communiste de 1948, lorsque la loi No. 218/1949 Coll. relative aux aides publiques apportées aux églises et aux groupes religieux s’apparente à une expropriation déguisée de l’Eglise sur la totalité des biens qu’elle détient, car elle met en place la dépendance totale de celle-ci vis-à-vis du budget public. Après la chute du Mur de Berlin en 1989, le régime démocratique nouvellement arrivé au pouvoir s’attache à restituer ses biens à l’Eglise via l’adoption, en 1990 et 1991, par l’Assemblée fédérale, d’une liste répertoriant ces biens (loi No. 298/1990 Coll.). Dans ce cadre, certains biens sont rétrocédés aux différentes entités légales liées à l’Eglise catholique romaine. C’est notamment le cas des monastères, mais pas des terres agricoles qui leur étaient adjointes. A cette période, une loi plus générale de restitution était en cours d’élaboration, mais elle a été bloquée par la fraction slovaque de la Chambre des Nations – l’une des deux Chambres, avec celle du Peuple, composant le Parlement fédéral de feu la Tchécoslovaquie.
République tchèque. La Basilique baroque construite en 1806 sur la tombe de sainte Zdislava appartient à l’Ordre des prêcheurs qui, comme l’Ordre mendiant, n’a presque pas restitué les terrains à l’Etat.
Copyrights : Karel Šimon Hlavatý – Ordo Preadicatorum, photo gracieusement transmise par K.S. Hlavatý
Après la dissolution de la République fédérale tchèque et slovaque en 1992, la République slovaque s’attaque rapidement à la restitution des biens de l’Eglise. La loi No. 282/1993 Coll. permet ainsi la rétrocession des infrastructures confisquées entre le 8 mai 1945 et le 1er janvier 1990 – le début de la période étant fixé au 2 novembre 1938 pour ce qui concerne les biens appartenant à la minorité juive.
Au cours des vingt années qui suivent, les églises slovaques sont donc en mesure de réclamer les propriétés dont elles ont été expropriées par le décret Beneš, ainsi que les domaines qui appartenaient autrefois à des diocèses hongrois. Bien que le processus de restitution soit désormais considéré comme achevé, l’Etat continue d’assurer la charge des coûts de personnel et de gestion de toutes les églises enregistrées. En effet, le débat sur une séparation plus poussée des finances de l’Eglise et de l’Etat est bloqué par l’Eglise catholique qui considère que l’ensemble de ses biens ne lui a pas été remis. Partant, il semble que la volonté politique manque pour parachever ce processus.
Lors de recensement de 2011, les individus se déclarant croyants étaient en peu plus que 20 %, et les pratiquants environ 5 %. Propriétaire de nombreux monuments historiques, l’Eglise ne peut donc pas se financer uniquement avec les dons des fidèles.
Copyrights : Karel Šimon Hlavatý – Ordo Preadicatorum, photo gracieusement transmise par K.S. Hlavatý
Dans le cas de la République tchèque, l’adoption de la loi de restitution a pris plus de vingt ans. Adoptée en 2012, la loi No. 428/2012 Coll relative au règlement de la propriété des églises et des groupes religieux encadre la rétrocession des biens confisqués après le 28 février 1948, et garantit le versement de compensations financières au cours des 30 prochaines années – la valeur des propriétés devant être restituées étant estimée à 75 milliards de couronnes tchèques, les compensations doivent être d’au moins 59 milliards, ce qui fait monter les enjeux. Dès lors, bien que le calendrier de restitution soit clairement établi, le processus de séparation de l’Eglise et de l’Etat fait, pour sa part, toujours débat.
Parfois la société sécularisée demande un service religieux comme ici lors du commencement de l’Avent. La figure d’un homme d’Eglise apporte la caution de la tradition et sacralise une fête qui tend à se laïciser au fil des siècles.
Copyrights : Karel Šimon Hlavatý – Ordo Preadicatorum, photo gracieusement transmise par K.S. Hlavatý
En conclusion, en Slovaquie le manque de volonté politique pour mener à bien la séparation effective de l’Eglise et de l’Etat est justifiée par l’affirmation du caractère chrétien de l'Etat et de la société slovaque, même si la loyauté des citoyens envers l'Eglise paraît de plus en plus hésitante. En République tchèque en revanche, la séparation des deux institutions est l'argument mis en avant pour faire accepter la restitution des biens de l’Eglise, alors que celle-ci ne jouissait pas d’un soutien populaire. Au début de l’année 2019 le Parlement tchèque a d’ailleurs voté une loi qui impose la taxation sur les restitutions, ce qui est clairement en contradiction avec la Constitution de la République tchèque.
Barbora Spalova, "De quelle séparation la restitution des biens de l’Eglise en République tchèque et en Slovaquie est-elle le nom ?". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°26 [en ligne], février 2019. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/de-quelle-separation-la-restitution-des-biens-de-leglise-en-republique-tcheque-et-en-slovaquie-est-elle-le-nom/
Barbora Spalova, anthropologue – université Charles, Prague