Bulletin N°24

décembre 2018

Deuxième table-ronde : L’alimentation du populisme par le religieux

Denis Lacorne, Frédéric Zalewski, Hamit Bozarslan

Problématique :

Certaines variantes du populisme sont directement alimentées par le religieux, que ce soit par des références directes à une tradition religieuse, à des textes sacrés, à des valeurs religieuses, ou encore, par le rôle éventuel de responsables religieux dans certains mouvements populistes. Ces dynamiques sont examinées à travers les cas américain, turc et polonais.

La religiosité d'un immoraliste : Trump et le vote des conservateurs chrétiens

Denis Lacorne – Sciences Po Ceri

Déjouant analyses et sondages, Donald Trump a été élu Président des Etats-Unis en novembre 2016, fonction pour laquelle il a prêté serment le 20 janvier 2017. L’élection de D. Trump, personnage dont la vie personnelle est pourtant sulfureuse, a été pour partie liée au soutien que lui ont apporté les électeurs évangéliques ainsi que les protestants et les catholiques les plus conservateurs. Dans sa communication, Denis Lacorne s’attache à décrypter les raisons de ce soutien qui pourrait paraître, à première vue, contre-nature. Tout d’abord, il précise qu’aux yeux des évangéliques, D. Trump est certes un pauvre pêcheur, mais il est aussi perçu comme " l’instrument de Dieu" qui leur permettra de mettre en œuvre leur conception de l'ordre moral. Pour cette raison, il est possible de s’accommoder des mœurs dissolues du Président. Puis, D. Lacorne identifie quatre facteurs ayant motivé le vote évangélique et conservateur à destination de D. Trump : (a) le programme politique du candidat Trump, séduisant pour l'électorat sudiste; (b) des raisons proprement religieuses liées à la possibilité de mettre en œuvre les valeurs évangéliques ; (c) la politique étrangère où la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël est cruciale pour les évangéliques pour des raisons eschatologiques, et (d) des raisons culturelles plus strictement liées au style et au programme populiste du candidat républicain. Après avoir développé ces quatre dimensions, D. Lacorne conclut en soulignant que le pari des conservateurs, catholiques comme protestants, risque de se retourner contre eux puisque les politiques menées par D. Trump, notamment en ce qui concerne l’immigration, bafouent les valeurs cardinales des chrétiens (compassion, solidarité, dignité humaine, conception chrétienne des droits de l'homme, etc.).

La révolution du PiS est-elle une révolution religieuse ?

Frédéric Zalewski – université Paris Nanterre

Fondé en 2001 par les frères Lech et Jaroslaw Kaczynski, le parti Prawo i Sprawiedliwość, « Droit et justice » (PiS) dirige la Pologne de 2005 à 2007, puis de nouveau depuis 2015. Cette année-là, le PiS remporte les élections présidentielles puis législatives, annonçant ainsi le retour de la formation conservatrice et hostile à l’Union européenne à la tête du pays. Malgré des difficultés à accroître son assise électorale urbaine lors de dernières élections municipales de novembre 2018, le PiS demeure la première force politique polonaise. Frédéric Zalewski entame sa présentation par une mise en garde quant à l’équation trop fréquente de « Pologne = pratique du catholicisme » afin d’expliquer le succès du PiS. Pour battre en brèche cette prénotion, il mentionne les enquêtes d’opinion faisant état de la sécularisation croissante de la société polonaise. Il rappelle d’ailleurs qu’en 2015, le PiS avait axé sa campagne sur les enjeux sociaux, et non pas moraux. Puis, F. Zalewski questionne l’applicabilité de la notion de « populisme » au PiS. Pour différentes raisons qu’il expose, il lui préfère la notion de « révolution conservatrice » que le chercheur définit notamment comme la remise en cause du libéralisme. F. Zalewski analyse ensuite la façon dont le PiS a agrégé différents conservatismes, ce qui lui a permis d’éclipser les autres formations de droite et de devenir la force politique majeure de ce segment électoral. F. Zalewski achève donc sa présentation en se demandant comment le religieux a pu nourrir le populisme en Pologne. Pour cela, il prend le cas de la Liga Polskich Rodzin, « Ligue des familles polonaises » (LPR) et montre quels éléments et/ou segments singulier du religieux ont appuyé cette formation, dans une rhétorique populiste.

Nation, religion et « mission historique » dans la Turquie d'Erdogan

Hamit Bozarslan, CETOBac, Ehess

Cofondateur du Adalet ve Kalkınma Partisi, « Parti de la justice et du développement » (AKP), parti que l’on peut qualifier d’islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan dirige la Turquie depuis 2003, soit comme Premier ministre (2003-2014) soit comme Président (depuis 2014). Afin d’expliciter l’articulation entre la nation et la religion contenue dans le projet politique de R. T. Erdogan, Hamit Bozarslan revient sur la vision du monde que propose celui-ci qui induit notamment la fusion entre la Nation et son chef, le second étant l’incarnation même de la première. Puis H. Bozarslan distingue quatre dynamiques permettant d’éclairer cette articulation singulière. Tout d’abord, il n’y a pas de distinction véritable entre la nation comme entité abstraite et le peuple comme entité incarnée en différents moments de son histoire. Cette confusion va de pair avec l’idée de la double mission messianique qui incombe à la nation turque, à savoir civiliser le monde et protéger l’islam. De plus, la nation turque est conçue autour d’un bloc hégémonique turco-sunnite, excluant de facto tout groupe qui ne relève pas de cette catégorie (Alévites ou Kurdes par exemple). En outre cette nation turco-sunnite s’exalte dans la guerre permanente contre les ennemis, qu’ils soient extérieurs ou intérieurs. Mais ces derniers ne sont jamais fixés de façon constante, entraînant ainsi la destruction systématique des capacités cognitives des Turcs. Enfin, cette société ré-islamisée est résolument moderne au sens non normatif de la notion. De fait, elle s’accommode de moins en moins du rapport valorisé à l’état de guerre permanente.

Pour citer ce document :
Denis Lacorne, Frédéric Zalewski, Hamit Bozarslan, "Deuxième table-ronde : L’alimentation du populisme par le religieux". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°24 [en ligne], décembre 2018. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/deuxieme-table-ronde-lalimentation-du-populisme-par-le-religieux/
Bulletin
Numéro : 24
décembre 2018

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