Bulletin N°06

mars 2017

La richesse des pasteurs nigérians

Observatoire International du Religieux

Le classement des pasteurs les plus riches au monde 2017 fait figurer trois Nigérians dans les cinq premières places. Comment expliquer ce fait ? Il vient illustrer, au plan religieux, une reconfiguration des équilibres globaux, qui donne la prééminence aux pays émergents, et ce au détriment des Occidentaux. En effet, la situation des Pasteurs nigérians, à l’échelle  mondiale, va à l’encontre de la perception selon laquelle les Pasteurs les plus opulents sont aux Etats-Unis, berceau de la « saga des télévangélistes » et de l’évangile de la prospérité.

Bien entendu, il y a la perception de la dîme, dans ce géant démographique qu’est le Nigéria, où les congrégations des « megachurches » atteignent une taille considérable.
Ainsi de Winners Chapel, l’Église du premier du classement, le pasteur David Oyedepo, qui détient le plus grand lieu de culte, avec 50 000 personnes pouvant se réunir chaque dimanche au même endroit,
Chris Oyakhilome de Christ Embassy, a plusieurs millions de « followers » sur les réseaux sociaux,
Et l’Église du Pasteur Enoch Adeboye, Redeemed Christian Church of God, est implantée dans 178 pays.

Mais au delà de cette évidence, trois facteurs peuvent rendre compte de ce fait. En effet, au Nigéria, la doctrine de la prospérité, qui façonne la perception de la richesse, est en affinité avec la culture africaine. Il existe là, spécialement chez les Yoruba, une grande continuité entre la notion traditionnelle d’Alaafia et sa version contemporaine promue par les pentecôtistes. La pratique religieuse est ainsi fortement liée à la santé, économique ou spirituelle.

De plus, la capacité à transmettre cette prospérité, en se faisant l’instrument des forces surnaturelles, est manifestée par le miracle, largement associé à la guérison, mais également à l’exorcisme, l’expulsion des forces négatives qui éloignent du succès. C’est surtout vrai de la part des Chrétiens, rassemblés dans les Églises indépendantes, à présent dans ces Églises néo-pentecôtistes.

Cet alignement de la prospérité et du miracle est largement dynamisé à partir des années 70 grâce aux médias, friands de spectaculaire, et spécialement en raison du rôle précurseur de l’ « Archevêque » Benson Idahosa, Nigérian et premier des télévangélistes africain. La synergie de ces trois éléments est encore accrue par l’Internet. Ainsi, les pasteurs les plus riches sont aussi ceux qui donnent le plus à voir leur succès « miraculeux », et la maîtrise de la technologie de pointe est à la fois un élément de la démonstration, et son moyen.

Cette dynamique religieuse contemporaine au Nigéria à l’âge digital est reconfigurée : avec Internet, elle avait déjà atteint une échelle théoriquement globale mais l’outil médiatique restait largement l’instrument d’une autorité pyramidale.
En revanche, grâce aux réseaux sociaux dont l’expansion est d’abord favorisée par le SMS (Taiwo, 2015) puis le WEB 2.0, et notamment FaceBook (FB), les TIC modifient la pratique et l’autonomie des individus au niveau des paroisses. Par exemple, les communautés religieuses étudiées dans le cadre d’une enquête ethnographique sur l’activité religieuse sur la route Lagos-Ibadan  sont toutes dotés d’une page FB : qu’elle soit « ancienne » (DLCC), grande (Reedemed Camp), tournée vers l’exorcisme (MFM) ou représentante d’un Islam « charismatique » (Nasfat décrite par Obadare, 2016).

Finalement, les modèles américains sont dépassés, qu’il s’agisse du « pape » Billy Graham ou des époux Copeland. Clairement, il s’agit de  « mission inversée » (Fancello, 2010) à dimension afrocentrique : de fait, quatre des cinq leaders de ce classement ont la peau noire (trois proviennent d’Afrique et un est Afro-Américain) et le seul « Caucasien » est Benny Hinn, d’origine israélienne (cf. la contribution de Sébastien Fath dans le bulletin de janvier).

Ici, le Nigéria devient dominant et cela s’inscrit bien dans l’imaginaire politique d’un pentecôtisme à la conquête d’un continent souvent perçu, en France, à l’aune de l’ancien « pré-carré ». Afin de réaliser combien l’utilisation d’Internet est devenu spécifique au Nigéria, considérons deux données: le taux d’utilisation du téléphone mobile et celui de la diffusion d’Internet au Nigéria et chez son voisin immédiat du Nord, le Niger (source CIA World Factbook, onglet communication, chiffres 2015 arrondis).

 

Nigéria Niger
Mobiles 150 millions d’utilisateurs
83% de la population
9 millions
50% de la population
Internet 87 millions
47% de la population
0,4 million
2 % de la population

 

Remarque : une très large part des téléphones mobiles achetés dans la conurbation de Lagos étant des « smartphones » qui permettent la navigation sur Internet, il faudrait connaître leur  répartition sur le territoire. Par ailleurs, on apprend grâce aux chiffres ci-dessus que la population au Nigéria est vingt fois plus connectée à Internet que celle de son voisin du Nord.

Finalement, la richesse de ces pasteurs est lourde de sens au plan symbolique, dans un pays connu pour être, au sein du Sud globalisé, un centre de la fabrique de l’imaginaire fondamentaliste (évangélique ou salafiste). En résumé, on peut avancer que les entrepreneurs religieux nigérians engrangent les dividendes de la globalisation grâce à la révolution digitale contemporaine, qui donne à voir leur aptitude au syncrétisme entre culture traditionnelle, christianisme indépendant et évangile de la prospérité.

Références

FANCELLO, Sandra & MARY, André (dir.), 2010, Chrétiens africains en Europe, Prophétisme, pentecôtisme et politique des nations, Paris, Karthala, coll. « Religions contemporaines ».
FATH, Sébastien, 2008, Dieu XXL. La révolution des megachurches, Paris, Éditions Autrement.
OBADARE, Ebenezer, 2016, « The Muslim response to the Pentecostal surge in Nigeria: Prayer and the rise of charismatic Islam », Journal of Religious and Political Practice, 2:1, pp.75-91.
TAIWO, Rotimi, 2015, Religious Discourse in the New Media: A Case Study of Pentecostal Discourse Communities of SMS Users in South-western Nigeria, in COLEMAN, Simon & HACKETT, Rosalind (eds.), The Anthropology of Global Pentecostalism and Evangelicalism, New York, University Press, pp.190-206.

 

Pour citer ce document :
Observatoire International du Religieux, "La richesse des pasteurs nigérians". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°06 [en ligne], mars 2017. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/la-richesse-des-pasteurs-nigerians/
Bulletin
Numéro : 06
mars 2017

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