Bulletin N°40

Depuis le 28 février 2022, en réponse à l'agression militaire russe en Ukraine, la France a déployé la mission AIGLE en Roumanie. Sous sa direction, les forces armées engagées regroupent des contingents français, belges et néerlandais. L'Observatoire international du religieux s'est entretenu avec Hans de Ceuster, conseiller moral en chef de l'armée belge, afin de comprendre les spécificités de l'action d'aumôniers humanistes dans le cadre d'une telle mission. 

Observatoire international du religieux (OIR) : La France ne dispose pas d’aumônerie humaniste au sein de son armée. Pourriez-vous présenter les caractéristiques d’une telle aumônerie ?

Hans de Ceuster : Le service d’assistance morale auprès des forces armées belges existe depuis 1991, année de sa création ; depuis 1999 nous avons des conseiller moraux sur le terrain. L’humanisme laïque est une philosophie de vie basée sur la libre pensée, la quête de sens et la dignité humaine. La communauté humaniste laïque met l’humain au centre des préoccupations, elle croit à la perfectibilité de chaque personne, à l’autodétermination, à l’égalité, à l’Humanité et aux droits fondamentaux de l’Homme. La communauté humaniste laïque aspire à la connaissance et base son opinion sur le libre examen, la pensée rationnelle et l’argumentation critique.

Actuellement, le service d’assistance morale compte 8 conseillers moraux dont un conseiller en Chef ainsi que 2 officiers réservistes expert. Ceux-ci sont répartis sur l’ensemble du territoire belge. Les conseillers moraux sont au service de tous les militaires, de tout le personnel civil de la Défense, des membres de leur famille et des anciens membres du personnel. Ils font partie de la vie de tous les jours à la Défense, et ils sont présents dans les quartiers et pendant les missions à l’étranger. Ils ont également la possibilité d’effectuer des visites à domicile ainsi que des visites aux malades. Ils aident les personnes, sans porter de jugement, en toute confiance et confidentialité, et ont une appréciation libre et objective des situations, sur base de l’analyse critique excluant tout préjugé. Ils respectent les spécificités de chaque individu et travaillent sous le couvert du secret professionnel. Ce sont également des conseillers au commandement que ce soit sur le territoire belge ou en mission.

Les conseillers moraux organisent également des cérémonies humanistes à la demande des militaires, de leurs familles, ou des unités dans le respect de leurs convictions philosophiques ou religieuses.

Ils ont une place spéciale au sein de l’armée. En effet, ces derniers portent l’uniforme militaire mais ne sont pas soumis à la hiérarchie militaire pour autant. Cela leur offre une certaine liberté d’action sans soumission à l’autorité présente. Cela facilite grandement les échanges avec aussi bien les soldats, sous-officiers et officiers de la Défense, ainsi que le personnel civil. Leur expertise peut ainsi être appliquée de la même manière à chaque membre du personnel de la Défense.

OIR : Comment les aumôniers humanistes sont-ils recrutés au sein de l'armée ? Ont-ils une formation spécifique en tant qu'aumôniers ? En tant que membres des forces armées ?

Hans de Ceuster : Les conseillers moraux sont recrutés sur la base de leur diplôme universitaire et de la réussite d’un examen de la deuxième langue nationale (français ou néerlandais) à l’École Royale Militaire. Des formations complémentaires au sein du milieu militaire et civil sont ensuite suivies par ceux-ci afin d’acquérir certaines connaissances et compétences nécessaires à l’exercice de leur fonction. Parmi celles-ci, nous comptons notamment le Certificat d’Université en Société et Laïcité à l’Université Libre de Bruxelles et/ou la formation « humanisme pratique » du Vrije Universiteit Brussel, une instruction militaire de base de deux fois deux semaines en milieu militaire et le suivi de la formation d’officier d’état-major subalterne au sein de l’École Royale Militaire (formation continue pour officiers). Les conseillers moraux se forment tout au long de leur carrière et ce en fonction des besoins du service et des problématiques rencontrées ainsi que de l’actualité.

OIR : Nous souhaiterions également évoquer avec vous la place de l'aumônerie humaniste au sein de la mission AIGLE, actuellement déployée en Roumanie. Des aumôniers humanistes belges ou néerlandais sont-ils présents dans le cadre de cette mission ?

Hans de Ceuster : Une conseillère morale de notre service et un aumônier catholique, belge également, ont passé successivement plusieurs semaines sur place. Le but était de couvrir au maximum la période de mission des Belges. Actuellement, les conseillers et aumôniers ne sont pas envoyés d’office en mission à l’étranger pour accompagner les différentes unités, même si cela serait notre souhait pour les prochaines années. L’envoi dépend des besoins sur place, de la durée de la mission et des disponibilités des conseillers et aumôniers.

OIR : La mission AIGLE se déroule sous commandement français. Cela complique-t-il le travail des aumôniers humanistes qu'une armée qui ne comprend pas de tels aumôniers dirige les opérations militaires ? Quels sont vos rapports avec les aumôniers de l'armée française ?

Hans de Ceuster : Le fait qu’une autre nation que la nôtre ait le lead sur la mission ne complique en rien notre travail. Le but est de tous travailler en collaboration, conseillers et aumôniers compris. Dans notre travail, la nationalité n’est pas un frein, bien au contraire, nous sommes au service de tous sur place, unis dans un même but. Un être humain est un être humain, peu importe sa nationalité. Et tout être humain peut rencontrer des soucis ou des réflexions autour d’un sujet qui le préoccupe. Nous sommes présents dans ce cadre, pour l’accompagner et pour qu’il puisse ouvrir ses pistes de réflexion et de solutions. Le but n’est pas d’influencer qui que ce soit mais bel et bien d’ouvrir son esprit à l’autre, d’avoir de l’empathie pour lui et de pouvoir l’aider au mieux en respectant sa pensée, sa philosophie, sa logique, sa personnalité etc. Avec nous, il n’y a pas de tabou. Tout peut être dit et réfléchi. Nous voulons offrir une réelle bulle d’oxygène aux personnes qui viennent nous voir. Lorsqu’ils entrent dans notre bureau, par exemple, nous souhaitons les rencontrer d’égal à égal, peu importe le grade que nous avons ou qu’ils ont. Nous revenons à l’essence même de la personne, à ce qui fait de lui la personne qu’il est à cet instant.

L’intérêt d’avoir des conseillers moraux au sein de la Défense nous paraît évident, de par l’expérience que nous en avons et l’expertise que nous pouvons y apporter. Nous ne pouvons que conseiller à l’armée française de se pencher sur le sujet et de s’y intéresser car il s’agit là bel et bien d’un sujet très actuel, qui touche bon nombre de personnes et qui représente un réel atout pour la Défense.

OIR : Les aumôniers ne peuvent-ils accompagner que les militaires de leur propre contingent ou des militaires d’autres nationalités peuvent-ils vous solliciter dans le cadre de missions communes ?

Hans de Ceuster : Notre conseillère morale sur place a été contactée par l’armée française pour un soutien à la personne. Cela ne pose aucun problème car nous sommes présents pour tout le monde, peu importe la nationalité. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que certaines nations étrangères font appel à nos services en mission, faute de personnel aidant sur place et remarquant l’avantage de nos services et de notre travail. Notre service, par le biais de notre Chef de service et de nos conseillers, est en lien avec de nombreux pays. Plusieurs réunions et groupes de travail s’organisent tout au long de l’année autour de projets communs. Nous sommes notamment représentés dans des groupes de travail OTAN au sujet de la santé mentale, la lutte contre la radicalisation et les défis moraux.