Bulletin N°09

juin 2017

Le religieux à la Réunion

Jacqueline Andoche, Valérie Aubourg, Thierry Malbert

La situation historique : hégémonie catholique et pluralisation

La configuration multiconfessionnelle de la Réunion résulte des migrations européennes, africaines, malgaches et asiatiques qui l’ont peuplée depuis 350 ans. A l’origine déserte, cette île de l’Océan indien devient officiellement colonie française en 1665. Jusqu’à la fin du 19ème siècle se constituent les fondements de la société et l’identité de sa population, marquée par l’esclavage. Le catholicisme romain, officialisé dès le départ par la déclaration du Roy de France, est la religion dominante. De 1712 à 1850, l’île est Préfecture Apostolique. Le clergé qui y est envoyé doit œuvrer à la catéchisation des Africains et des Malgaches faits esclaves. La religion de ces derniers, fondée sur le culte des ancêtres, est interdite. Il faudra néanmoins attendre l’abolition de l’esclavage, en 1848, pour que les Noirs se convertissent en masse au catholicisme.
En 1850 la Réunion devient Diocèse. Parallèlement, l’arrivée massive de travailleurs contractuels, en provenance de l’Inde du Sud, venus remplacer les esclaves affranchis, amène diverses branches de l’hindouisme. Sujets de la Couronne britannique, les Indiens sont protégés par sa législation. La colonie est contrainte de respecter leurs coutumes religieuses. Ils seront néanmoins soumis à l’évangélisation et pratiqueront leur religion dans l’opposition et la clandestinité. Leur rencontre avec les Affranchis des plantations favorisera une mise en commun de rites et de croyances, mâtinées de catholicisme, qui donnera naissance à des synthèses spécifiques à la religiosité réunionnaise.

Le passage du 19ème au 20ème siècle voit la migration libre de familles chinoises. Rapidement évangélisées, elles continueront à vénérer leurs ancêtres et à pratiquer des rites d’inspiration taoïste et confucianiste. Il faudra attendre les années 80 pour voir apparaître des courants bouddhistes, importés par des adeptes européens.
L’année 1901 consacre le caractère multiconfessionnel de l’île avec la construction de la première mosquée de France par des Musulmans venus du Gujerat. L’islam réunionnais est alors sunnite hanafite. Ce n’est qu’après 1970 que s’installeront ses branches chiite et sunnite chaféite, respectivement importées par les Karanes de Madagascar d’un côté, les Comoriens et les Mahorais de l’autre. L’islam local n’interfère pas avec les autres religions. En outre, la fin de la période coloniale est marquée par l’arrivée des premiers protestants.
En 1946, la Réunion devient département français ; puis en 1992, région européenne. Ces changements lui ouvrent les portes de la mondialisation, des affirmations identitaires multiples et favorisent l’émergence de religions hors institutions. Reconnaissance des cultes ancestraux africains et malgaches, mouvement rastafari, néo-hindouismes, ésotérismes transnationaux viennent, au fil des années, complexifier son paysage religieux.
Depuis 1970 une petite communauté juive existe t discrètement, cependant que s’affirment  des courants mystiques au sein d’autres religions : soufisme en islam,  mouvements charismatiques chrétiens. Si le catholicisme semble garder le monopole confessionnel, il doit compter avec ces formes inédites de religiosité.
En 2000, dans un esprit d’adaptation et d’ouverture au vivre ensemble, se crée le Groupe de Dialogue Interreligieux, sous l’impulsion de l’Evêque de la Réunion et de l’Imam de Saint Denis. Il rassemble des représentants des grandes religions, mais ne reconnaît pas les cultes ancestraux ou certains courants mystiques, car il les soupçonne de dérives sectaires.

La situation actuelle : un fait religieux visible et unificateur

Le catholicisme demeure la religion majoritaire : 80 % des enfants nés dans l’île sont baptisés et 75% parmi eux reçoivent le sacrement de confirmation. Si le catholicisme, durant la période coloniale, a joué un rôle de ciment social entre les populations d’origines diverses (Asie, Afrique, Europe) et favorisait leur intégration, il n’a cessé pour autant de se modifier. Sous une acceptation apparente de ses formes, on assiste à des créations inédites qui apparaissent à travers les pratiques dites « populaires ».
De plus, le catholicisme se conjugue avec d’autres pratiques religieuses. On assiste à des cumuls religieux : tout en se considérant comme catholiques, des Réunionnais rendent un culte aux divinités hindoues ou à leurs ancêtres africains, malgaches ou chinois selon leur appartenance ethnoculturelle. La double pratique n’est pas perçue négativement par les habitants de l’île. Au contraire, comme l’exprime l’adage créole « Bonpé priyèr, un sél bon Dié », l’observance religieuse plurielle relève de la normalité.
Entre les différentes religions présentes dans l’île on note des relations d’opposition (entre les religions malgache et hindoue, les Réunionnais ont érigé des interdits qui n’existent pas dans les terres d’où sont venues leurs ancêtres, par exemple), de déni, et des emprunts réciproques. Plusieurs spécialistes constatent, au-delà des différences, un fond religieux commun, une sorte de « continuum religieux créole ». Un indice de cette unification religieuse s’observe à travers le lien particulier entretenu avec les défunts.
Le fait religieux à la Réunion est visible. Il n’est pas relégué dans l’espace privé. Il est enraciné dans le quotidien relationnel de ses habitants. C’est un point commun entre les différentes populations en présence. Après avoir été, durant de longues années, un refuge pour les populations déracinées, au-delà de son rôle patrimonial, il demeure une ressource identitaire importante pour de nombreux insulaires.
Simultanément, la situation religieuse réunionnaise comporte ses fragilités, ses incertitudes et ses questions. A l’heure de la globalisation, la diffusion d’idéologies radicales atteint aussi les côtes de l’île. Leurs promoteurs refusent le cumul religieux. Face à ces idéologies, la porosité réunionnaise au fait religieux sera-t-elle une force ou une faiblesse ? Au sein des différentes confessions (islam et protestantisme notamment), des tensions s’observent entre des groupes religieux de tendance, de sensibilité et de provenances géographiques différentes.

Références

Andoche Jacqueline, « La fabrication créole des saints », in Religions populaires et nouveaux  syncrétismes, publication des Actes du colloque international de mai 2009, Département d’ethnologie, Université de la Réunion-Surya Editions, 2010, pp. 119-126.
Aubourg Valérie, Christianismes charismatiques à l’île de La Réunion,  Karthala, coll. Tropiques, 2014.
Bernard Boutter, Le pentecôtisme à l’île de La Réunion. Refuge de la religiosité populaire ou vecteur de modernité ?, L’Harmattan, 2002.
Dumas-Champion Françoise, le mariage des cultures à la Réunion, Karthala, 2008.
Malbert Thierry, Rafidinarivo Christiane, « Dialogue interreligieux et cohésion sociale à La Réunion », in Liberté religieuse et cohésion sociale, (S.dir) Laurence Faberon. PUAM, 2015.
Mourrégot Marie France, L'islam à l'île de la Réunion, L’Harmattan, 2010.
Prudhomme Claude, Histoire religieuse de La Réunion, Karthala, 1984.

Pour citer ce document :
Jacqueline Andoche, Valérie Aubourg, Thierry Malbert, "Le religieux à la Réunion". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°09 [en ligne], juin 2017. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/le-religieux-a-la-reunion/
Bulletin
Numéro : 09
juin 2017

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Auteur.e.s

Jacqueline Andoche, maîtresse de conférence, Université de la Réunion – DIRE
Valérie Aubourg, post-doctorante au GSRL, enseignante à l’Université Catholique de Lyon
Thierry Malbert, maître de conférence, Université de la Réunion – ICARE

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