Bulletin N°06

mars 2017

Les chaussures du pape : un symbole politique ?

Philippe Perchoc

Au mois de décembre 2016, une information a fait la une de la presse italienne : le Pape François est apparu, sans s’annoncer, dans un magasin pour acheter une paire de chaussures orthopédiques. En quoi cette affaire est intéressante, sinon qu’un chef d’Etat achète lui-même ses chaussures ? Tout simplement parce qu’elle a ravivé une controverse impliquant un parchemin du IXème siècle, faisant référence à la « donation de Constantin », supposée avoir eu lieu au IVème siècle.

En s’intéressant à cette histoire de chaussures, on pénètre à la fois l’histoire antique de l’Eglise d’Occident, mais aussi la politique contemporaine de l'Église et du Vatican. Pour un pouvoir, comme celui du souverain pontife, qui relève des interprétations du monde et de la transcendance, les symboles matériels sont un attribut essentiel, que les diplomates ne manquent pas de scruter.

En effet, le Pape aurait déclaré, lors d’une conversation téléphonique avec sa sœur, qu’il refusait de porter les chaussures rouges, à la différence de son prédécesseur, parce qu’il s’agissait là d’un « attribut de royauté ».

D’où viennent les mules papales ?

Les mules d’origine portaient une croix qui permettaient aux fidèles d’embrasser les pieds du Pape, pratique impériale maintenue jusqu’à Jean XXIII (1958-1962), mais abolie par Paul VI qui abandonna aussi la tiare ceinte de trois couronnes.

Mais d’où vient cette « pratique impériale » ? Tout simplement de la prétention des papes d’être empereurs en Occident et détenteurs d’un pouvoir terrestre. Au IXème siècle est attesté pour la première fois un document appelé « la donation de Constantin » par lequel l’empereur romain Constantin (310-337) - le même empereur qui fit du Christianisme sa religion personnelle et la rendit légale - confiait l’Occident au successeur de Saint Pierre, Sylvestre 1er.
Par cette donation, Constantin aurait permis au Pape de primer sur les Églises d’Orient, de posséder les églises du Latran, de Saint-Pierre et de Saint-Paul-hors-les-Murs à Rome, et de porter les insignes impériaux. C’est à partir de là que s'enracinent plusieurs pratiques symboliques :  la coutume de baiser les pieds de l’empereur (la « proskynèse » rapportée de Perse) et l’usage de la couleur impériale pourpre (utilisée à Rome et Byzance).

Même s’il fut démontré en 1440 par l'humaniste Lorenzo Valla - qui avait eu maille à partir avec l’Inquisition pour avoir affirmé que les Actes des Apôtres leurs étaient postérieurs - que le document de la « donation » était un faux, la pratique perdura tout comme la prétention à gouverner l’Occident, et les « mules papales » avec. Elles condensent cet enjeu politique.

Qui les porte ?

Notons que tous les papes modernes n’ont pas porté les « mules papales » originelles. C’était le cas de Benoit XV (1914-1922), mais elles furent remplacées après lui par des chaussures rouges en cuir. Mais si les mules initiales furent abandonnées dans les années 1920, les chaussures restèrent un attribut impérial jusqu’à Jean Paul II. En effet, celui-ci choisit une teinte moins éclatante qui pouvait laisser penser qu’il avait opté pour des chaussures de ville. Mais Benoit XVI démontra son attachement à la tradition en revenant à des chaussures écarlates, celles-là mêmes que François vient d’abandonner pour des chaussures orthopédiques.

En définitive, comme le fait remarquer un ancien diplomate français près le Saint-Siège, ces symboles matériels sont scrutés par les observateurs. Il possèdent une portée politique, notamment dans le message qu’ils envoient vers l’intérieur d’une Eglise, aujourd’hui secouée par les tensions entre conservateurs et progressistes.

Pour citer ce document :
Philippe Perchoc, "Les chaussures du pape : un symbole politique ?". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°06 [en ligne], mars 2017. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/les-chaussures-du-pape-un-symbole-politique/
Bulletin
Numéro : 06
mars 2017

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Auteur.e.s

Philippe Perchoc, analyste EPRS, chargé du dialogue inter-religieux

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