Bulletin N°27

mars 2019

Les Eglises protestantes face aux violences faites aux femmes

Laure Salamon, Nathalie Leenhardt

Après avoir examiné les échos de « MeToo » au sein du monde catholique dans un précédent numéro (Bulletin n°25), la Ressource(S) de ce mois-ci fait désormais entendre les voix des femmes protestantes. A travers des témoignages, deux journalistes, Laure Salamon et Nathalie Leenhardt, relaient ci-après, dans un article de novembre 2018 actualisé pour ce bulletin, les initiatives mises en place pour traiter la question du harcèlement et les limites de ces dernières. Au-delà des récits de vie brisées, ces échos révèlent les défis structurels et idéologiques qui restent encore à relever par l’Eglise protestante pour mettre un terme à ces abus.

Il y aura un avant et un après. Le mouvement #Metoo lancé aux Etats-Unis en octobre 2017 est un phénomène qui a eu des conséquences dans un grand nombre de pays et de milieux. Les Eglises chrétiennes et notamment protestantes n’y ont pas échappé. Certes le très direct #Balancetonporc en France n’a pas eu l’effet équivalent et le #Churchtoo non plus. Il n’empêche. On peut dire avec une quasi certitude que de très nombreuses révélations sont aujourd’hui le fruit de ce mouvement et on peut espérer que les portes ouvertes ne se refermeront pas. Car les paroisses et les communautés religieuses ne sont pas exemptes de violences faites aux femmes et aux enfants. C’est notamment le cas dans certaines Eglises protestantes où la parole commence à se libérer.

Cosette Fébrissy est psychologue clinicienne, psychopédagogue et présidente d’Empreinte Formation. Lors d’une consultation, elle a rencontré une femme qui se faisait du souci pour son enfant atteint d’une déficience cognitive. Lors de la discussion, la jeune mère raconte les violences conjugales qu’elle subit. La relation est à un stade où les menaces portent sur sa vie et la thérapeute lui conseille de fuir. A-t-elle un lieu sécurisé pour se réfugier avec ses trois enfants ? Elle répond qu’elle peut aller chez sa mère. Quatre mois plus tard, Cosette Fébrissy apprend que cette femme a été tuée par son mari. Plusieurs années après, elle découvrira que la victime s’était bien mise à l’abri chez sa mère. Mais son Église avait fait pression pour qu’elle rentre dans son foyer. La psychologue ne décolère pas.

Autre exemple : Christel Chappatte est issue d’un milieu évangélique et a personnellement vécu cette violence. Elle est aujourd’hui présidente d’une association d’aide en Suisse. Son ex-mari était un pervers narcissique. Elle-même est longtemps demeurée prisonnière de ses propres préjugés, convaincue que cette situation ne survient que dans certaines classes sociales, lorsque le mari boit et est au chômage. Elle ne parvient pas à se rendre à l’évidence.

Colette Martinez est, elle, assistante sociale. A la sortie du temple, elle demande à une femme si elle va bien. Celle-ci répond par la négative et raconte les violences qu’elle subit devant ses deux enfants et le fils de son mari. Elle en avait un peu parlé au pasteur. Mais son époux se présentait sous un autre visage rayonnant, qui avait rassuré celui-ci. Colette Martinez propose donc d’en rendre compte au comité de l’Eglise. Ses membres, ébranlés, décident alors de créer une commission pour venir en aide à cette femme. Soutenue au niveau administratif, elle est suivie par un psychologue et trouve un emploi. Aujourd’hui divorcée, elle va mieux, même si ce passé reste douloureux. Elle a quitté cette Eglise et fréquente une autre communauté.

Guillaume de Clermont est pasteur de l’Eglise protestante unie de France, l’Eglise luthéro-réformée. Au cours de son ministère pastoral, il a par deux fois accompagné des femmes qui subissaient des violences conjugales. Il reconnaît avoir été démuni, car peu outillé sur le sujet. Il explique s’être comporté comme pasteur quant à l’écoute et comme un citoyen pour les démarches à suivre. Dans son ministère de pasteur, il est en lien avec les autorités civiles et judiciaires, ce qui a facilité la mise en relation entre les victimes et les personnes ad hoc.

Toutes ces histoires ont un dénominateur commun : les Eglises. Et la volonté de quelques personnalités de faire enfin bouger les choses. Tel est le cas de Christel Chapatte qui, après avoir suivi une formation d’aide avec le pasteur et thérapeute Jacques Poujol[1]Jacques Poujol est l’auteur de Les abus sexuels (2011), Abus spirituels (2015), éd. Empreinte Temps présent. a fondé l’association « Au-delà des masques ». Pour contourner les tabous en vigueur dans les Églises, elle a choisi de ne pas poser d’étiquette religieuse ou politique sur cette association indépendante. N’importe qui peut avoir accès à cet accompagnement, surtout celles qui sont dans l’Eglise et qui n’arrivent pas à partager leur situation avec d’autres.

Depuis 2016, plus de 300 personnes sont suivies. Entre 4 et 5 nouvelles femmes contactent le site chaque semaine depuis janvier 2018. L’équipe identifie toutes formes de violences : psychologiques, économiques, spirituelles, sexuelles, physiques, qu’elles proviennent d’un pasteur violent avec son épouse ou d’hommes victimes de femmes manipulatrices.

Dans l’Eglise adventiste d’Annemasse, une commission intégrée à l’Eglise et composée de quatre personnes a été mise en place il y a douze ans, ce qui a beaucoup surpris au démarrage. Mais les mentalités ont évolué et la porte reste ouverte pour accueillir les victimes. L’intervention directe ne se produit que lorsque des enfants sont mis en cause.

L’Eglise d’Annemasse a développé son action. Chaque mois, des tracts sont distribués, une prédication annuelle a lieu sur le sujet, les membres de la commission interviennent ailleurs et répondent aux sollicitations d’autres groupes. Dans le cadre de la campagne mondiale contre les violences Enditnow (« Mettez-y un terme maintenant »), l’Eglise adventiste a publié un livret contre les abus, qui en présente les différents types (maltraitance, abus sexuels, violences, harcèlement) et les signaux qui doivent alerter comme le repli sur soi, le rejet de son corps.

Des pasteurs peu formés

Cosette Fébrissy organise et intervient régulièrement lors des formations, auprès de particuliers, parfois avec Jacques Poujol. Hélas, les thérapeutes spécialisées sur ces violences ayant un ancrage chrétien ne sont pas nombreux, et les membres des Eglises ou les pasteurs n’ont pas toujours, eux, les bons réflexes ou les bonnes attitudes.

La thérapeute témoigne que certains pasteurs essayent de résoudre la violence en l’abordant comme un problème de couple. Or la question n’est pas là : il s’agit bien de la relation entre une personne violente, perverse qui a un problème individuel, et qui fait croire qu’il est partagé par l’autre. Certains pasteurs évangéliques sont également très frileux à l’idée que les couples se séparent.

Vincent Miéville, président de l’Union des Eglises évangéliques libres, admet aussi que c’est un sujet peu évoqué dans les Eglises. Pourtant, le responsable reconnaît qu’il y a une exhortation biblique à prendre soin des faibles, des rejetés. Ces femmes qui subissent des violences sont les victimes oubliées d’aujourd’hui. Et de rappeler que l’Armée du Salut accompagne les personnes et notamment les femmes depuis bien longtemps sur ce sujet.

Au-delà des initiatives personnelles, d’autres expériences émergent dans les Eglises. Le Consistoire supérieur de l’Eglise protestante de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (EPCAAL), branche luthérienne de l’Eglise protestante d’Alsace-Lorraine, a publié une résolution en avril 2018 dans laquelle elle condamne fermement tout comportement harcelant sur le plan sexuel et psychologique et tout abus de pouvoir. Elle invite les paroisses à s’associer à la campagne « Jeudi en noir » contre les violences faites aux femmes du Conseil œcuménique des Eglises, et demande l’organisation d’un programme de formation sur ce sujet.

Le dernier congrès de la Fédération baptiste en mai 2018 a voté un vœu qui engage à lutter contre ce fléau de la violence faite aux femmes, à libérer la parole et à accompagner. Une formation pour les pasteurs est prévue au printemps 2019. Peu à peu, dans les Eglises protestantes comme ailleurs, les prises de conscience et de moyens pour faire face à l’insupportable émergent. Mais sortir du déni demeure un combat.

Notes

Notes
1 Jacques Poujol est l’auteur de Les abus sexuels (2011), Abus spirituels (2015), éd. Empreinte Temps présent.
Pour citer ce document :
Laure Salamon, Nathalie Leenhardt , "Les Eglises protestantes face aux violences faites aux femmes". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°27 [en ligne], mars 2019. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/les-eglises-protestantes-face-aux-violences-faites-aux-femmes/
Bulletin
Numéro : 27
mars 2019

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Auteur.e.s

Laure Salamon, Nathalie Leenhardt – journalistes à Réforme, hebdomadaire protestant

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