Bulletin N°06

mars 2017

Les ONG à l’ONU font-elles de la diplomatie confessionnelle ?

Sophie-Hélène Trigeaud

La question des Organisations Non-Gouvernementales (ONG) religieuses ou confessionnelles à l’Organisation des Nations Unies (ONU) est à la fois d’actualité et mal connue. Elle est d’actualité, car ces ONG sont très actives sur les terrains de l’accueil des réfugiés, du changement climatique ou des “Millenium Development Goals”. Et elle est mal connue, car il est difficile d’avoir une vision précise de ce que sont ces ONG, de leur rapport aux diverses religions ou confessions existantes et surtout, de leur fonction exacte dans le champ diplomatique. Ce sont justement ces questions que se sont posées les membres d’un programme de recherche international, en s’attachant à l’observation des ONG et des religions à l’ONU. Dans cette courte synthèse, nous reviendrons sur les conditions et résultats de cette initiative, et nous tenterons d’ouvrir quelques pistes de réflexion sur les enjeux des phénomènes observés.

Le projet de recherche de l’University of Kent : cadres et méthodes

De 2009 à 2012, un projet de recherche scientifique a été porté par l’University of Kent en Grande Bretagne. Il était financé par l’Arts and Humanities Research Council et l’Economic and Social Research Council, au sein du programme Religion and Society. Il rassembla cinq chercheurs d’horizons interdisciplinaires :

  • Jeremy Carrette, professeur de philosophie et science des religions ;
  • Hugh Miall, professeur de science politique ;
  • Evelyn Bush, professeur de sociologie et science politique ;
  • Verena Beittinger-Lee, docteur en science politique ;
  • Sophie-Hélène Trigeaud, docteur en sociologie et ethno-anthropologue.

J. Carrette et H. Miall dirigèrent cette équipe, tandis qu’une enquête par questionnaire était conduite par E. Bush. Deux ans d’enquête par observationet une année de recherche sociologique étaient confiées à V. Beittinger-Lee pour la partie sur l’ONU de New York et à S-H. Trigeaud pour Genève. L’objet était de confronter la question de la religion et des ONG à l’ONU aux regards de cinq disciplines, avec des méthodes rarement associées sur un tel sujet. En effet, alors que la question de la religion dans les organisations internationales a souvent été considérée par le droit et les relations internationales, notre méthodologie a eu pour ambition d’aller, au-delà des connaissances théoriques sur la question, à la rencontre du terrain.

Données préalables

Précisons ce que l’on entend par ONG à l’ONU : ne peuvent être actives à l’ONU que les ONG déjà enregistrées sous ce statut dans leur pays et bénéficiant d’arrangements légaux des Nations Unies autorisant leur participation dans des cadres précis. Cette autorisation est accordée sous la forme d’un « statut consultatif », dont il existe trois catégories (général, spécial et roster) fixant des degrés variables de participation. Elle est délivrée par le comité ECOSOC mais détermine la participation de l’ONG au-delà de cet organe, dans le système onusien. L’un des lieux clefs de cette participation est à Genève : il s’agit du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) et plus particulièrement du Conseil des Droits de l’Homme. C’est pourquoi notre enquête a spécialement visé ce terrain.

Principaux résultats

Nos résultats précisent d’abord l’ampleur d’un phénomène. En 2010, nous avons vu que parmi les 3275 ONG dotées d’un statut consultatif à l’ONU, 239 (donc 7 %) pouvaient être comptées comme religieuses ou confessionnelles. Comme l’explique E. Bush, évaluer ce qui relève ici du religieux ou du confessionnel est complexe : si pour certaines ONG, le lien à une religion est évident, pour d’autres, ce n’est pas le cas. De nombreuses ONG entretiennent des relations plus ou moins directes avec des sources religieuses ou spirituelles de nature très variées. Ne pas en tenir compte introduirait un biais important d’exclusion des formes plus discrètes ou moins connues de la représentation du religieux au sens large. C’est pourquoi nous avons travaillé à partir de trois catégories d’ONG : religieuses ou confessionnelles (ONG-R), ne l’étant pas (ONG-N) et à caractère ambiguë (ONG-A).

Le cas du HCDH à Genève

Partant de ces considérations, que peut-on dire de l’activité des ONG à l’ONU ? Force est de constater que les sessions du Conseil des Droits de l’Homme du HCDH sont des moments privilégiés pour les échanges diplomatiques. Ces sessions s’accompagnent de conférences (ou évènements parallèles) liées à l’ordre du jour et pouvant être organisées par les ONG sous statut consultatif. Notre analyse des 965 événements organisés sur une période de cinq ans (depuis la création du CDH jusqu’à notre étude en 2011), montre que 22% de ces événements furent (co-)organisés par des ONG-R, soit 33% en ajoutant les ONG-A. On remarque donc que 7 % des ONG sous statut consultatif, ont été à l’origine d’un tiers des événements, ce qui révèle un fort taux d’activité. Nous constatons des taux approchant dans les autres lieux de participation des ONG à l’ONU.

Mais ils ne sont pas équivalent selon la religion. En comparant deux échantillons aléatoires équivalents - catholiques et musulmans (108 ONG chacun) -, on voit que 34 ONG musulmanes bénéficient d’un statut consultatif pour 50 ONG catholiques, et qu’une ONG musulmane a organisé un événement pour 10 ONG catholiques. Enfin, une série de 16 ONG-R se distinguent par l’intensité de leur activité. On compte parmi elles des représentants des trois monothéismes, du bouddhisme, des Baha’is, avec une prédominance des groupes chrétiens.

De quelle diplomatie est-il ici question ?

Dans l’ouvrage qui vient de paraître chez Bloomsbury[1]Jeremy Carrett & Hugh Miall (eds): Religion, NGOs and the United Nations. Visible and Invisible Actors in Power, Londres, Bloomsbury, 2017 nous avons voulu poser la question du type de diplomatie ici en jeu, via des angles spécifiques :

  • Carrette et Miall ont traité de la relation aux États et Bush de l’influence sur l’ONU ;
  • Carrette et Trigeaud ont tenté de savoir s’il ne s’agissait que de soft power ;
  • Miall et Beittinger se sont intéressé à la controverse sur la diffamation des religions et l’islam.

 

L’enquête à Genève, révèle quant à elle le sentiment d’impuissance, vécu par les représentants des ONG-R, face à des tâches sans fin : mettre un terme à la guerre, l’injustice, la faim, la torture, etc. Mais les multiples facettes de leurs activités ont des effets certains. Les archives onusiennes comme les témoignages des personnels onusiens permettent d’insister sur l’effectivité de leur collaboration, notamment sur des terrains sensibles ou relevant d’expertise spécifique (l’aide aux réfugiés ou la lutte contre la torture par exemple).

Conclusion

À l’échelle de l’ONU, on observe une reconnaissance accrue de l’implication de la société civile et de ses diverses représentations, y compris religieuses, dans la vie de la cité. Du point de vue français, la situation est plus complexe, avec une volonté grandissante d’intégration des diversités, et par ailleurs, une représentation de la laïcité laissant quasiment à l’état de terra incognita le domaine des ONG confessionnelles. Or les résultats de notre enquête montrent à quel point les ONG religieuses et confessionnelles représentent une partie importante du paysage diplomatique international au niveau onusien. On peut donc se demander si, à l’heure de la mondialisation et de l’évolution du pluralisme culturel et religieux, le modèle onusien de collaboration entre institution et société civile religieuse représente une source d’inspiration pour l’intégration démocratique des diverses composantes de la société contemporaine.

Références

BUKHARI de PONTUAL, S., « ONG et évolutions du droit international », Revue Projet, 6/313, 2009, p. 61-69.
BUSH, E., “Measuring religion in global civil society,” Social Forces 85/4, 2007, p. 1645-65.
CARRETTE J., TRIGEAUD S-H. “The Religion-Secular in International Politics”. A. Day et al., Social Identities between the Sacred and the Secular. Aldershot, Ashgate, 2013, p. 7-22.
DECAUX, E., “La Contribution des organisations non-gouvernementales à l’élaboration des règles du droit international des droits de l’homme ». Cohen-Jonathan, G. et al. International Human Rights Law and NGOs. Brussels, Bruylant, 2005, p.23-39.
HAUPAIS, N., CHAUMETTE, A-L., et al., Colloque religion et droit international. CRPJ/ CEDIN. Nanterre, oct. 2016 [actes à paraître].
HAYNES, Jeffrey, Faith-based organizations at the United Nations, New York, Etats-Unis d’Amérique, Palgrave Macmillan, 2014.
LEROUX, N., La Condition Juridique des O.N.G. Internationales. Bruxelles : Bruylant, 2009.
MARIE, J-B., « Les ONG confessionnelles aux Nations Unies et la défense des droits de l’homme », in B. DURIEZ et al., Les ONG confessionnelles. Paris, L’Harmattan, 2007, p. 41-52.
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RUGENDYKE, B., “Lilliputians or leviathans?”. Rugendyke B. ed., NGOs as Advocates for Development in a Globalising World, London, Routledge, 2007, p. 1-14.
SZUREK, S., “La Societé civile internationale et l’élaboration du droit international”. Gherari, H. et al.L'émergence de la société civile internationale. Paris, Pédone, 2003, p. 49-75.

Notes

Notes
1 Jeremy Carrett & Hugh Miall (eds): Religion, NGOs and the United Nations. Visible and Invisible Actors in Power, Londres, Bloomsbury, 2017
Pour citer ce document :
Sophie-Hélène Trigeaud, "Les ONG à l’ONU font-elles de la diplomatie confessionnelle ?". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°06 [en ligne], mars 2017. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/les-ong-a-lonu-font-elles-de-la-diplomatie-confessionnelle/
Bulletin
Numéro : 06
mars 2017

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Auteur.e.s

Sophie-Hélène Trigeaud, post-doctorante, université de Strasbourg – laboratoire Droit, Religion, Entreprise et Société

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