Les religieux sous le communisme en Pologne – Version française
Marcin JewdokimowIntroduction
En comparaison avec d'autres pays d'Europe, la Pologne se caractérise par un nombre élevé de religieux – frères, moines et prêtres réguliers, et de religieuses catholiques. Pendant la dure période du régime communiste, le nombre de prêtres régulier s'est stabilisé, mais il y a eu une baisse du nombre de sœurs et de frères et moines.
Selon l'Annuarium Statisticum Ecclesiae, entre les années 1970 et 2015, le nombre de religieuses et de religieux a diminué à l’échelle internationale En 1974, il y avait plus de 982 500 religieuses, alors qu’en 2015 elles sont presque 32 % de moins (670 000). Le nombre de frères et moines a chuté de 23,2 %. Sur la même période, les prêtres réguliers ont diminué plus faiblement – 8,7 % (de près de 147 000 à 134 000). Si l'on se concentre uniquement sur l'Europe, le nombre de religieuses a chuté de 55 % entre 1974 et 2015 (de près de 552 000 à près de 248 000), celui des prêtres réguliers de 26 % (de 71 000 à 52 500) et celui des autres religieux de 53 % (de 34 000 à 16 000). Dans ce contexte, la Pologne constitue un cas particulier : dans tous les pays occidentaux, à l'exception du Portugal, les trois catégories ont diminué, tandis qu'en Pologne, le nombre de prêtres réguliers a augmenté de 72 % (de 2 800 à 6 700). Toutefois, le nombre de religieuses et des autres religieux a également chuté de 22 % (ils sont 20 000 en 2015), et de 15 %, (plus de 1 000, également en 2015). L'augmentation du nombre de prêtres réguliers contraste également avec les pays d'Europe centrale et orientale.
Dans cet article, je me concentre essentiellement sur la période historique de 1945 à 1989, lorsque la Pologne était sous régime communiste. Cette situation a affecté l'Église catholique et les religieux en Pologne ; elle peut également être comprise comme l'un des facteurs qui ont contribué au taux de vocations élevé par rapport aux autres pays européens. Alors que les pays occidentaux ont connu des processus de sécularisation accélérés, les religieux des pays de l'Est, dont la Pologne, ont dû se battre et s'adapter à ce nouveau contexte éprouvant. La particularité de la Pologne est que, contrairement à d'autres démocraties populaires, les communautés religieuses n'ont pas été entièrement dissoutes, même si elles « n'ont pas été épargnées par les tourments et le harcèlement[1]Agata Mirek, ”Female religious congregations in Poland in the face of changes from Communism to the transformation period (1945–2000)”, In Stefania Palmisano, Isabelle Jonveaux, Marcin … Continue reading ». En Pologne, l'adversaire concret – l'État communiste – a consolidé l'Église et la vie religieuse. Il a également créé des conditions spécifiques favorables à son développement – comme me l'a dit une religieuse, en discutant avec moi de la réception de Vatican II dans les congrégations féminines polonaises, « pendant qu'elles [les religieuses en dehors de Pologne] discutaient des vêtements à porter, nous nous opposions au communisme[2]Bien entendu, le Concile Vatican II a eu un impact sur la vie religieuse en Pologne à bien des égards. La citation ci-dessus ne met en évidence qu'un seul point de vue sur les différences … Continue reading ».
Bien entendu, de nombreux facteurs ont contribué à l'évolution mondiale et locale du nombre de religieux – sociétaux, culturels et économiques. Nous n'avons pas la place d'aborder ce phénomène sous tous les angles pour l'étudier de manière exhaustive[3]Voir une analyse plus approfondie dans Marcin Jewdokimow, A Monastery in a Sociological Perspective: Seeking for a New Approach, Warszawa, Wydawnictwa UKSW, 2020.. Je me concentrerai surtout dans cet article sur le rôle du communisme dans l’organisation de la vie religieuse polonaise – on peut affirmer que ce contexte difficile a été l’un des facteurs du développement de celle-ci (avec l'augmentation spectaculaire du nombre de prêtres réguliers), parmi d'autres facteurs pertinents tels que : la place du catholicisme dans l'histoire polonaise et son lien avec l'identité polonaise, la particularité du communisme polonais et, bien sûr, le pontificat de Jean-Paul II qui a incité de nombreuses personnes à interroger leur vocation religieuse.
Les dissolutions, le renouveau et la seconde guerre mondiale
Pour comprendre la situation des religieux sous le communisme, il faut remonter au XIXe siècle et à la Seconde Guerre mondiale. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, la vie religieuse en Europe a connu des dissolutions à caractère politique. Dans le cas de la Pologne, entre 1772 (début de la partition) et 1914 (reconquête de l'indépendance), le nombre de monastères masculins a chuté de 80 %, passant d'environ 990 monastères avec 14 540 religieux (plus 73 monastères masculins avec 1 334 religieux en Silésie, gouvernée par la Prusse et une petite partie gouvernée par l'Empire autrichien) à 188 monastères masculins comprenant 2 252 religieux (il n'y a pas de données correspondantes sur les monastères féminins)[4]Marek Derwich, « Główne założenia projektu Dziedzictwo kulturowe po klasztorach skasowanych na ziemiach dawnej Rzeczypospolitej oraz na Śląsku w XVIII i XIX w.: losy, znaczenie, … Continue reading. Bien entendu, cette chute vertigineuse a déclenché une crise de la vie religieuse en Pologne. Cependant, la situation a changé dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec un renouveau qui s’observe partout en Europe. Une autre impulsion positive correspond à la reconquête de l'indépendance – alors qu'en 1914, il y avait 2 000 à 2 500 religieux, en 1937, il y avait déjà 7 100 religieux et 22 000 religieuses. En 1939, il y avait 44 congrégations masculines et 84 congrégations féminines (y compris de nouvelles congrégations : sept masculines et treize féminines, créées après la reconquête de l'indépendance). Pendant cette période, l'État a laissé les ordres religieux agir sans contraintes, ce qui a permis de (re)créer de nombreuses institutions (écoles, hôpitaux, presse) gérées par les religieux. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les religieux ont subi de grandes pertes personnelles et matérielles. Jerzy Kłoczowski indique que plus de 500 religieux et 250 religieuses ont été tués. D'autres religieux se sont engagés dans des activités sociales et religieuses multidimensionnelles (par exemple, le père Maksymilian Kolbe[5]Il s’agit d’un frère franciscain polonais. Il est surtout connu pour s’être porté volontaire pour mourir à la place d'un homme nommé Franciszek Gajowniczke dans le camp de la mort allemand … Continue reading), ce qui s'est traduit – comme l'affirme Kłoczowski – par l'augmentation de leur prestige durant l'après-guerre[6]Jerzy Kłoczowski, Od pustelni do wspólnoty. Warszawa, Czytelnik, 1987..
La Seconde Guerre mondiale a donc eu un impact négatif sur le renouveau de la vie religieuse en Pologne. La période communiste va constituer un nouveau contexte avec des contraintes et des défis qui, parmi d'autres facteurs, ont donné à la vie religieuse une nouvelle énergie qui s'est traduite par l'augmentation du nombre de prêtres réguliers en Pologne. Toutefois, avant d'aborder ce point, je décrirai la situation des religieux dans d'autres pays communistes entre 1945 et 1989. La comparaison montre que même si le régime communiste polonais a restreint et s’est opposé à la vie des religieux, il n'a pas été aussi dur que dans d'autres pays au contexte politique similaire. En Hongrie, par exemple, la vie religieuse a été anéantie en 1950 avec la dissolution de 23 ordres religieux masculins et de 40 ordres féminins, soit 3 000 religieux et trois fois plus de religieuses. Sous le régime communiste, seuls quatre ordres fonctionnaient légalement. D’autres se maintenaient secrètement[7]Edit Révay, Újrainduló szerzetesrendek egy megújuló társadalomban [Reviving Monastic Orders in a Reviving Society], Budapest-Csíkszereda: Magyar, 2003. Également Zsuzsanny Börge, „”We … Continue reading. En se basant sur cinquante récits de vie de religieuses entrées dans la clandestinité, l'universitaire hongroise Zsuzsanna Börge démontre que la période communiste a transformé l'identité des religieuses hongroises, qui est passée d'une identité collective à une identité individualisée, ce qui est lié à la perte du principal groupe de référence – l'ordre religieux. Emmerich András[8]Emmerich András, “Situation of Revived Religious Orders in Hungary”, Occasional Papers on Religion in Eastern Europe, 14 (2), 1994. [En ligne]http://digitalcommons.georgefox.edu/ree/ … Continue reading montre à son tour que le processus de revitalisation de la vie religieuse a commencé dans ce pays en 1989, lorsque les autorités ont décidé de la réorganiser et de restituer certains des biens saisis (dans les années 1990, il a été possible de récupérer des biens, ce qui a permis aux ordres religieux de fonctionner correctement).
La vie religieuse en Pologne sous le régime communiste
La situation de l'Église catholique en Pologne entre 1945 et 1989 a varié, caractérisée par des tensions croissantes et des périodes de détente dans les relations entre elle et le régime communiste. Ce qui était constant, c'était la reconnaissance des deux côtés du conflit : pour les communistes, l'Église catholique était un opposant qui menaçait l'installation du nouveau système social et politique ; pour les représentants de l'Église, les communistes menaçaient la nation polonaise. En 1975, le primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszyński, lors d'une réunion publique à Cracovie, a résumé cela dans le propos suivant : « L'Église... dans notre patrie... défend, pour ainsi dire, la raison d'État nationale, ce qui signifie quelque chose de plus qu'une raison d'État politique, parce que la raison d'État politique change ses dimensions, et la nation perdure, elle a sa propre culture religieuse, nationale, votre tradition nationale... [9]Jan Żaryn, Kościół a władza w Polsce (1945-1950), Warszawa, 1997, p. 378.».
Le régime a pris différentes mesures pour lutter contre un opposant disposant d’un solide ancrage social et pour développer son plan d'athéisation : suppression de la religion dans les écoles, fermeture des dortoirs et des écoles gérés par les religieux, expulsion des prêtres et des religieuses de leurs résidences, nationalisation des biens de l'Église et répressions personnelles et politiques, y compris par les services secrets, pour ne mentionner que quelques-unes d’entre elles.
En ce qui concerne les ordres religieux, des mesures concrètes ont été prises pour en limiter l'impact social. La loi du 20 mars 1950 sur la reprise des « biens de mainmorte » a conduit à une situation juridique dans laquelle les congrégations religieuses perdaient leurs propriétés. Comme le montre Czesław Stryjewski, jusqu'en 1950, les ordres religieux subvenaient à leurs besoins principalement par le biais de l'activité économique[10]Stryjewski Czesław, Zakony, Warszawa, Książka i Wiedza, 1961.. Il estime que les ordres religieux possédaient environ 75 000 hectares de terres. L'acte juridique de 1950 annexant les "terres mortes", c'est-à-dire celles qui ne seraient pas vendues, leur laissait 2 000 hectares pour 458 maisons conventuelles masculines et 7 500 hectares pour 2 321 maisons féminines, ce qui s'explique par le fait que « les maisons se retrouvaient avec une moyenne de 5 hectares de terres et d’édifices religieux[11]Ibid., p. 155. ».
D'autres attaques de l'État visaient spécifiquement les religieuses. En 1954, l'action au nom de code « X-2 » a commencé sur ordre des autorités de l'État, conduisant à la « création de huit camps de travail dans les régions de Cracovie et de Poznań pour les religieuses de Basse et de Haute-Silésie[12]Agata Mirek, « Wysiedlenia sióstr zakonnych w 1954 roku na Śląsku. Obozy pracy dla zakonnic w Polsce w latach 1954-1956”, w. Marek Derwich (ed.), Kasaty klasztorów na obszarze dawnej … Continue reading ». Ces camps de travail ont été créés dans des monastères dont les religieuses avaient été retirées. Au total, plus d'un millier de religieuses se sont retrouvées enfermées. En 1956, l'Église et le gouvernement sont parvenus à un accord, permettant à celles-ci de revenir.
Toutefois, après la Seconde Guerre mondiale, on a pu constater un certain nombre de situations qui ne visaient pas à limiter la vie religieuse. Elles s'expliquent par la complexité des relations avec l'État. Le régime communiste n'avait pas décidé de liquider complètement les ordres religieux et, dans les périodes où les tensions avec son adversaire étaient moins fortes, il approuvait même certaines de ses initiatives.
Après 1945, 43 ordres masculins sont présents, dont les bénédictins et les cisterciens[13]Dominik Zamiatała, Zakony męskie w polityce władz komunistycznych w Polsce w latach 1945-1989, t. II, Warszawa, Instytut Pamięci Narodowej, 2012, p. 18.. Dans l'après-guerre, ils « se renforcent sur le plan organisationnel [...]. La vie religieuse se rétablit rapidement, tant sur le plan personnel que matériel [...]. De nouvelles institutions furent ouvertes : centres tutélaires, écoles, hôpitaux, maisons d'édition[14]Ibid., p. 19. ». La situation des monastères post-1945 diffère de celle des autres pays sous influence de l'URSS, au sein desquels les activités religieuses sont réduites. En Pologne, au contraire, l'État va même les soutenir, par exemple en restituant à son ordre le monastère cistercien de Jędrzejow, en septembre 1945, alors qu'il avait été dissout en 1819. Cependant, la restauration n'incluait pas tous les biens antérieurs à la dissolution, y compris 15 manoirs, les dîmes des régions fondatrices, etc.[15]Piotr Pawel Gach, “Opactwo jędrzejowskie w latach kasat zakonnych (koniec XVIII i XIX w.)”, w. ks. Daniel Olszewski (ed.), Cystersi w Polsce. W 850-lecie fundacji opactwa jędrzejowskiego, … Continue reading. Alors que tous les monastères ont été dissouts en 1950 en Tchécoslovaquie et en Hongrie (bien que seuls trois monastères aient fonctionné légalement dans ce dernier pays, de nombreux autres se maintenaient en secret[16]Edit Révay, op. cit. ; Zsuzsanny Börge, op.cit.), en Pologne, certains monastères ont été reconstruits. Comme le note Dominik Zamiatała[17]Dominik Zamiatala, op. cit., après 1945, pour des raisons politiques, les autorités polonaises ont fermé des sites de culte religieux et des institutions gérées par des ordres religieux, y compris des écoles, des foyers pour enfants, des hôpitaux et des organisations caritatives[18]Ibid., pp. 338-339.. Zamiatała affirme que cela a entraîné des modifications dans l'activité pastorale. L'impossibilité de réaliser certains des objectifs initiaux (apostolats, c'est-à-dire soins pastoraux, éducation, publication, activités missionnaires) a entraîné le passage au travail dans les paroisses[19]Ibid.. Ce changement concerna également les religieuses :
Les autorités de l'État communiste ont pris le contrôle des organisations et des institutions dirigées par des religieuses depuis 1949, ce qui a contraint leurs membres à modifier radicalement leurs fonctions habituelles, à travailler dans les paroisses et à assurer la catéchisation des enfants et des jeunes [...]. Malgré les restrictions imposées par l'État, elles ont pu développer et mettre en œuvre des tâches apostoliques. Cette particularité de l'État communiste polonais s'explique en grande partie par l'importance de l'Église dans la société polonaise[20]Agata Mirek, 2021, op. cit., p. 56..
En outre,
les religieuses étaient systématiquement privées d'activité apostolique et de toute activité professionnelle [...] Elles n'avaient pas non plus la possibilité d'accéder à l'éducation [...] Elles n'avaient pas non plus accès aux avantages sociaux tels que les soins de santé, l'assurance sociale ou les régimes de retraite. La discrimination à leur égard était largement visible sous la forme de dispositions légales qui excluaient la possibilité d'être assurées en raison de leur appartenance à l'Église et de l'activité pastorale associée[21]Ibid., pp. 57-58..
La limitation de leurs activités sociales a amené les sœurs à se recentrer sur le travail paroissial. Alors qu'en 1949, elles géraient 680 jardins d'enfants, 73 crèches et 46 maisons de retraite, en 1967, elles n'en géraient plus aucun. Au cours de cette période, le nombre d'écoles avec pensionnats (de 87 à 7), de dortoirs divers (de 95 à 2) et de maisons d'enfants (de 263 à 20) a également radicalement diminué[22]Jerzy Kłoczowski, op. cit. ..
Les ordres religieux qui ont perdu leurs possessions dans les régions frontalières orientales se verront en accorder certaines dans les régions occidentales et septentrionales nouvellement conquises :
A titre de compensation pour la réinstallation, [ils se verraient accorder] [...] des églises, des bâtiments, des propriétés fixes et des monastères [...] souvent post-évangéliques, en tant que biens abandonnés. Cela était dû, entre autres, à la pression exercée par les personnes réinstallées depuis les régions orientales, qui ne voulaient pas s'installer dans des endroits dépourvus de prêtres catholiques[23]Dominik Zamiatała, op. cit. p. 20..
Les autorités finançaient également les ordres religieux, par exemple pour reconstruire le monastère de Tyniec en 1948 (3 millions de złotys)[24]Ibid., p.23.. En 1947, il y avait 295 monastères masculins en Pologne, cinq cisterciens et deux bénédictins. Après 1949, les autorités « ont toléré la création de nouvelles maisons[25]Ibid. p. 25. », aidant à en construire 250 jusqu'en 1962, malgré les diverses restrictions et répressions évoquées par Zamiatała[26] Ibid.. En 1949, il y avait déjà 431 maisons. Dans les années 1970, leur nombre est passé de 504 (1971) à 547 (1976)[27]Ibid, p. 26., et au tournant des années 1970 et 1980, à 626. Le nombre d'ordres et de congrégations masculines s'élève ainsi à 45[28]Ibid., p. 29.. En 1955, la Pologne comptait 7 958 religieux (prêtres réguliers, frères et moines religieux, clercs, novices et postulants[29]Ibid, p. 32.), et 8 044 en 1963[30]Ibid., contre 6 562 en 1936. Après la guerre, le nombre de prêtres réguliers a augmenté, tandis que celui des frères et moines a diminué, ce qui témoigne de la réorganisation interne des ordres religieux, qui se sont recentrés sur le travail pastoral. Au tournant des années 1960 et 1970, on observe une légère baisse du nombre de religieux (7.707 en 1977, dont 4.242 prêtres réguliers[31]Ibid., p. 36.). Dans les années 1970 et 1980, l'augmentation du nombre de prêtres réguliers s'est poursuivie, avec 9 277 en 1981 et 12 117 en 1988[32]Ibid., p. 40..
Les ordres religieux ont œuvré à contrecarrer les restrictions imposées par l'État, de sorte que cette situation difficile a également créé les conditions d'un développement particulier. Dans les années 1950, le primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszyński,
a élaboré un plan en cas d'attaque massive contre la vie religieuse en Pologne. Les règles générales des maisons religieuses ont été précisées selon trois points. Premièrement, résister aussi longtemps que possible, deuxièmement, démissionner des institutions de l'État si nécessaire, mais défendre les maisons religieuses. La dernière règle stipulait que chaque congrégation devait décider quelle maison elle pouvait abandonner et quelle maison elle pouvait conserver et louer, en totalité ou en partie[33]Agata Mirek, 2021, op. cit., p. 62..
Ainsi, même si les communistes se sont attaqués à la vie religieuse, la situation complexe et exigeante a déclenché un besoin d'adaptation et de résistance face aux autorités hostiles de l'État. Cela s'est traduit par l'augmentation du nombre de prêtres réguliers – une croissance unique par rapport à la baisse du nombre de prêtres dans d'autres pays européens – et par l'augmentation des vocations : au cours de la période de trente ans allant de 1964 à 1994, ce « boom des vocations » a concerné principalement les ordres contemplatifs, tant masculins que féminins[34]Józef Baniak, „Powołania kapłańskie i zakonne w Kościele katolickim w Polsce”, w. Józef Baniak (ed.), W poszukiwaniu sensu. O religii, moralności i społeczeństwie, Kraków, Zakład … Continue reading. La période marquée par des hausses particulières a été la première décennie du pontificat de Jean-Paul II (1978-2005), c'est-à-dire les années 1978-1986[35]Ibid..
Ordres religieux en Pologne après le communisme - nombre et étendue de l'activité
L'effondrement du communisme et la transition vers un système démocratique ont été associés à une augmentation des droits civils, économiques, politiques et religieux, ce qui a créé les conditions nécessaires à l'épanouissement de l'Église catholique en Pologne. Ce changement a été cimenté par le Concordat de 1993 – un accord entre la Pologne et le Saint-Siège de l'Église catholique romaine – et s'est concrétisé, par exemple, par une présence croissante dans la sphère publique sous la forme de médias catholiques et par le nombre d'organisations religieuses.
Toutefois, les nouvelles conditions démocratiques ont modifié l'attitude des Polonais à l'égard de l'Église, ce qui est clairement visible, entre autres, dans la baisse des vocations. Cette tendance à la hausse du nombre de prêtres réguliers ne durera probablement pas en raison du vieillissement de la population masculine au sein des ordres religieux[36]Rafal Lange, „Instytuty życia konsekrowanego i stowarzyszenia życia apostolskiego”, w. Paweł Ciecieląg, Piotr Łysoń, Wojciech Sadłoń, Witold Zdaniewicz (eds), Kościół Katolicki … Continue reading et de la baisse du nombre de vocations dans les ordres. Dans les années 1992-2012, le nombre de séminaristes a diminué de près de 68 % (de 2 745 à 882), tandis que celui des aspirants et des novices a diminué dans les années 1992-2010 de 60 % (de 541 à 205, c'est-à-dire de 62 %, et de 745 à 306, c'est-à-dire de près de 59 %, respectivement[37]Mateusz JacobTutak, „Powołania do kapłaństwa i życia konsekrowanego”, w. Paweł Ciecieląg, Piotr Łysoń, Wojciech Sadłoń, Witold Zdaniewicz, op. cit., pp. 141-154.). La diminution du nombre de religieuses en Pologne a commencé au milieu des années 1970. Entre 1992 et 2010, le nombre de religieuses en formation a chuté de deux tiers[38]Ibid.. Le nombre de femmes entrant dans les ordres religieux diminue régulièrement : alors qu'en 2000 elles étaient 723, en 2005 elles étaient 484 et 209 en 2011. Cela se traduit par une augmentation de l'âge moyen des religieuses. Toutefois, en 2010, cette tendance ne concernait que les ordres apostoliques, et non les ordres cloîtrés – parmi ces derniers, la tendance à la hausse s'est poursuivie jusqu'en 2012 (il y a vingt fois moins de moniales dans les ordres cloîtrés que dans les ordres apostoliques). En 2012, le nombre de moniales dans les ordres cloîtrés a aussi lentement commencé à diminuer. En 2012, il y avait au total 1 355 moniales dans 84 maisons (y compris les moniales après les vœux perpétuels et temporaires, les novices et les postulantes) et, en 2016, 52 de moins.
Conclusion
La dure période du régime communiste en Pologne a également été l'occasion d'un développement particulier des religieux. En luttant contre les restrictions et en s'adaptant aux nouvelles conditions de leur vie religieuse, ils ont réussi à se consolider et à s'opposer efficacement en considérant leurs actions comme un moyen de préserver la nation polonaise. Ces conditions, associées à des impulsions extérieures telles que le pontificat de Jean-Paul II, se sont traduites par un boom des vocations et une augmentation du nombre de prêtres réguliers – une situation unique en Europe entre les années 1970 et 2010. Cependant, l'augmentation de la liberté après l'effondrement du communisme a entraîné de nouvelles tendances sociales qui se matérialisent par une baisse des vocations, ce qui aura un impact sur le nombre de religieux en Pologne dans les années à venir[39]Certaines parties de l'article sont des extraits révisés de Marcin Jewdokimow, A Monastery in a Sociological Perspective : Seeking for a New Approach, Warszawa, Wydawnictwa UKSW, 2010..
Notes
↑1 | Agata Mirek, ”Female religious congregations in Poland in the face of changes from Communism to the transformation period (1945–2000)”, In Stefania Palmisano, Isabelle Jonveaux, Marcin Jewdokimow (eds.), The Transformation of Religious Orders in Central and Eastern Europe-Sociological Insights, London, Routledge, 2021, p. 57. |
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↑2 | Bien entendu, le Concile Vatican II a eu un impact sur la vie religieuse en Pologne à bien des égards. La citation ci-dessus ne met en évidence qu'un seul point de vue sur les différences d'impact entre les divers pays européens. |
↑3 | Voir une analyse plus approfondie dans Marcin Jewdokimow, A Monastery in a Sociological Perspective: Seeking for a New Approach, Warszawa, Wydawnictwa UKSW, 2020. |
↑4 | Marek Derwich, « Główne założenia projektu Dziedzictwo kulturowe po klasztorach skasowanych na ziemiach dawnej Rzeczypospolitej oraz na Śląsku w XVIII i XIX w.: losy, znaczenie, inwentaryzacja », Program Ministra Nauki i Szkolnictwa Wyższego pod nazwą „Narodowy Program Rozwoju Humanistyki” w latach 2012-2016; nr 11H 11 021280. „Hereditas Monasteriorum” t. 1, p. 357. |
↑5 | Il s’agit d’un frère franciscain polonais. Il est surtout connu pour s’être porté volontaire pour mourir à la place d'un homme nommé Franciszek Gajowniczke dans le camp de la mort allemand d'Auschwitz, pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1982, le pape Jean-Paul II l'a canonisé. |
↑6 | Jerzy Kłoczowski, Od pustelni do wspólnoty. Warszawa, Czytelnik, 1987. |
↑7 | Edit Révay, Újrainduló szerzetesrendek egy megújuló társadalomban [Reviving Monastic Orders in a Reviving Society], Budapest-Csíkszereda: Magyar, 2003. Également Zsuzsanny Börge, „”We changed our clothes, but we did not change inside…” Hungarian nuns and sisters before and after 1950”, Religion and Society in Central and Eastern Europe. vol. III, 2010. [En ligne] http://www.rascee.net/index.php/rascee/article/view/34/21. |
↑8 | Emmerich András, “Situation of Revived Religious Orders in Hungary”, Occasional Papers on Religion in Eastern Europe, 14 (2), 1994. [En ligne]http://digitalcommons.georgefox.edu/ree/ vol14/iss2/2. |
↑9 | Jan Żaryn, Kościół a władza w Polsce (1945-1950), Warszawa, 1997, p. 378. |
↑10 | Stryjewski Czesław, Zakony, Warszawa, Książka i Wiedza, 1961. |
↑11 | Ibid., p. 155. |
↑12 | Agata Mirek, « Wysiedlenia sióstr zakonnych w 1954 roku na Śląsku. Obozy pracy dla zakonnic w Polsce w latach 1954-1956”, w. Marek Derwich (ed.), Kasaty klasztorów na obszarze dawnej Rzeczypospolitej Obojga Narodów i na Śląsku na tle procesów sekularyzacyjnych w Europie, Wrocław, Wrocławskie Towarzystwo Miłośników Historii, 2014, p. 424. |
↑13 | Dominik Zamiatała, Zakony męskie w polityce władz komunistycznych w Polsce w latach 1945-1989, t. II, Warszawa, Instytut Pamięci Narodowej, 2012, p. 18. |
↑14 | Ibid., p. 19. |
↑15 | Piotr Pawel Gach, “Opactwo jędrzejowskie w latach kasat zakonnych (koniec XVIII i XIX w.)”, w. ks. Daniel Olszewski (ed.), Cystersi w Polsce. W 850-lecie fundacji opactwa jędrzejowskiego, Kielce, Wydawnictwo „Jedność”, 1990, p. 103. |
↑16 | Edit Révay, op. cit. ; Zsuzsanny Börge, op.cit. |
↑17 | Dominik Zamiatala, op. cit. |
↑18 | Ibid., pp. 338-339. |
↑19 | Ibid. |
↑20 | Agata Mirek, 2021, op. cit., p. 56. |
↑21 | Ibid., pp. 57-58. |
↑22 | Jerzy Kłoczowski, op. cit. . |
↑23 | Dominik Zamiatała, op. cit. p. 20. |
↑24 | Ibid., p.23. |
↑25 | Ibid. p. 25. |
↑26 | Ibid. |
↑27 | Ibid, p. 26. |
↑28 | Ibid., p. 29. |
↑29 | Ibid, p. 32. |
↑30 | Ibid. |
↑31 | Ibid., p. 36. |
↑32 | Ibid., p. 40. |
↑33 | Agata Mirek, 2021, op. cit., p. 62. |
↑34 | Józef Baniak, „Powołania kapłańskie i zakonne w Kościele katolickim w Polsce”, w. Józef Baniak (ed.), W poszukiwaniu sensu. O religii, moralności i społeczeństwie, Kraków, Zakład Wydawniczy „Nomos”, 2010, p. 322. |
↑35 | Ibid. |
↑36 | Rafal Lange, „Instytuty życia konsekrowanego i stowarzyszenia życia apostolskiego”, w. Paweł Ciecieląg, Piotr Łysoń, Wojciech Sadłoń, Witold Zdaniewicz (eds), Kościół Katolicki w Polsce 1991-2011. Rocznik Statystyczn, Warszawa, Główny Urząd Statystyczny, Instytut Statystyki Kościoła Katolickiego SAC, 2014, pp. 101-140. |
↑37 | Mateusz JacobTutak, „Powołania do kapłaństwa i życia konsekrowanego”, w. Paweł Ciecieląg, Piotr Łysoń, Wojciech Sadłoń, Witold Zdaniewicz, op. cit., pp. 141-154. |
↑38 | Ibid. |
↑39 | Certaines parties de l'article sont des extraits révisés de Marcin Jewdokimow, A Monastery in a Sociological Perspective : Seeking for a New Approach, Warszawa, Wydawnictwa UKSW, 2010. |
Marcin Jewdokimow, "Les religieux sous le communisme en Pologne – Version française". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°45 [en ligne], septembre 2023. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/les-religieux-sous-le-communisme-en-pologne/
Marcin Jewdokimow, Université du Cardinal Stefan Wyszyński, Varsovie
Texte traduit par Anne Lancien