Bulletin N°02

novembre 2016

Make America great again? Les chrétiens conservateurs : entre attrait pour Trump et rejet de Clinton

Henri landès

Au premier abord, on pourrait croire que la religion a peu compté dans l’élection américaine.  Les deux candidats ne l’ont que très timidement célébrée. Hillary Clinton vient d’une famille très protestante (dans sa variante méthodiste), mais ne l’a guère claironné pendant sa campagne. De son côté, Donald Trump n’affichait pas non plus le profil d’un croyant dévoué. Il serait a priori un protestant presbytérien, membre de l’église Marble Collegiate Church à Manhattan. Mais il a manifesté fort peu de preuves de piété depuis son entrée en politique en juin 2015. Les représentants de son église ont d’ailleurs indiqué que Donald Trump ne la fréquentait jamais.

L’impact électoral d’une religiosité en déclin

Les Etats-Unis connaissent en effet un mouvement de sécularisation depuis une décennie. Selon le Pew Research Center, la part des Américains non affiliés à une religion est en hausse de 7%, contrairement au nombre des protestants et des catholiques, en baisse de 4% et de 3% respectivement. Le protestantisme reste la religion dominante aujourd’hui, bien que les autres religions – l’hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme et l’islam - connaissent une légère hausse de 1,2%.

La victoire de Donald Trump ce 8 novembre dernier est fortement attribuée à sa capacité à obtenir des voix d’ouvriers, d’Américains des classes moyennes et populaires dans les États de la « ceinture de la rouille ». Le Wisconsin, l’Ohio, l’Iowa, le Michigan, la Pennsylvanie font partie des États qui ont subi la crise économique et les effets pervers de la mondialisation. Traversant une désindustrialisation très appauvrissante,  ces États clés ont tous voté pour le candidat milliardaire alors qu’ils avaient soutenu le démocrate Obama à deux reprises. Ce n’est certainement pas la religiosité de Donald Trump qui a changé la donne, mais plutôt son discours sur la création d’emplois, la relance de l’industrie par la construction d’infrastructures et le protectionnisme.

Pourtant, le facteur religieux ne doit pas être entièrement écarté dans l’explication de cette élection historique. Le vote des chrétiens évangéliques, habitant surtout les États sudistes de la Bible belt, a en effet joué un rôle déterminant dans l’ascension de Donald Trump au pouvoir.

Protestants et catholiques : une alliance conservatrice

Les chrétiens évangéliques votent en bloc depuis les années 80, principalement pour les candidats du Parti républicain. Depuis lors, ce sont bien les responsables politiques du Grand Old Party (GOP) qui incarnent les valeurs chrétiennes traditionnelles.

Au fur et à mesure que le Parti démocrate menait ses batailles pour le droit à l’avortement, les droits des LGBT, le changement du rôle de la femme dans la famille et au travail, ou encore contre la peine de mort, les chrétiens évangéliques répondaient par une intensification de leur mobilisation dans les territoires ruraux,  les  États  du sud et du centre ouest. Identifiant une menace commune, les protestants et les catholiques ont dépassé leur confrontation de longue date et se sont alliés dans leur lutte contre le mouvement progressiste qui se concentrait dans les universités libérales et dans les villes - surtout du nord-est et dans une moindre mesure sur la côte ouest du pays. Les catholiques ont pu bénéficier du soutien du très grand nombre de protestants dans le pays lors d'élections présidentielles, législatives et locales. Les élections présidentielles et législatives de 2012 en témoigne. L'ancien membre du congrès catholique du Pennsylvanie Rick Santorum avait obtenu la forte adhésion des Protestants évangéliques en début de campagne, notamment en raison de ses positions plus extrêmes contre le mariage homosexuel. De leur côté, les protestants ont tiré parti de la tradition intellectuelle des catholiques. La collaboration avec les nombreuses universités jésuites établies depuis deux siècles - telles que les universités de Georgetown (Washington D.C.), Loyola (Baltimore, Nouvelle Orléans et Chicago), Saint Joseph (Philadelphie) ou San Francisco - a favorisé la production de nouvelles idées et l'émergence de think tanks conservateurs et influents comme le Heritage Foundation.

Les figures politiques du conservatisme religieux

En vue de défendre leur vision du monde, les conservateurs se sont ralliés derrière des porte-paroles d’une nouvelle droite chrétienne émergente à partir des années 80. Le Président Ronald Reagan a inauguré ce nouveau conservatisme religieux qui a calmé les esprits après les mouvements civiques des années 60 et 70. Le porte-parole de la chambre des représentants, Newt Gingrich, puis George W. Bush ont successivement contré l’action libéralo-progressiste de Bill Clinton. Le premier réussit à bloquer la plupart des initiatives du président Clinton, grâce à sa majorité parlementaire à partir de 1994. Le second fut reconnu pour son évangélisation de la Maison Blanche, à l’image de ses prières en début de réunions de cabinet et de son langage biblique pour dénoncer l’Axe du Mal de Saddam Hussein jusqu’à Bachar Al Assad.

Depuis Barack Obama, le Tea Party est la nouvelle arme des chrétiens évangéliques. En effet, ses électeurs se demandent à voix haute - notamment à travers Sarah Palin - si après la légalisation du mariage homosexuel, l’extension de la pratique de l’avortement et un discours offensif des démocrates contre la libre circulation des armes à feu, les Pères fondateurs reconnaîtraient encore leur pays aujourd’hui. A leurs yeux, la période Obama se caractérise par des réformes sociales néfastes et une volonté de nuire au second amendement de la constitution. Le président Obama a en effet tenté de mettre en place un système universel de santé publique et d’instaurer une véritable politique de lutte contre le changement climatique. Or, les responsables politiques les plus conservateurs ont alimenté une défiance face à l’élargissement de l’action du gouvernement fédéral, couplée à un scepticisme envers  les sciences climatiques. En 2011, seulement un tiers des Républicains et un cinquième des membres du Tea Party acceptaient que le changement climatique était dû aux activités humaines.

L'avènement de Trump

Il est certain que Donald Trump n’était pas Ted Cruz, ni Marco Rubio, deux candidats qui côtoyaient les chrétiens évangéliques des plus conservateurs avec ferveur, exprimant des positions très fermes sur le mariage gay et sur l’avortement – en fait l’interdire quelles que soient les conditions de la grossesse. Par ailleurs, il est faux de dire que les chrétiens ont tous les mêmes positions sur le droit des femmes, des LGBT et sur la lutte contre le changement climatique. Au contraire, nombre d’entre eux y sont de plus en plus favorables et plusieurs leaders religieux se sont exprimés en ce sens.

Mais le magnat de l’immobilier a compris que démontrer une autorité de businessman accompli, dont la richesse pourrait le protéger d’une influence des lobbys financiers et surtout de la corruption de Washington, lui gagnerait une adhésion des Chrétiens de plus en plus nostalgiques des années 80. C’est d’ailleurs Ronald Reagan qu’évoquait régulièrement Donald Trump comme exemple à suivre, en martelant un message consistant à dire « Rendre à l’Amérique sa grandeur » (Make America Great Again). Ce slogan pouvait justement être interprété de plusieurs façons, dont « Rendre à l’Amérique sa religion », et/ou « Rendre l’Amérique plus blanche de nouveau ». En effet, la montée de l’immigration et la baisse de la majorité des Blancs, inéluctable d’ici 2050 de par la trajectoire démographique actuelle, sont synonymes statistiquement d’une baisse du protestantisme.

Vers une définition du “trumpisme” ?

Par ailleurs, Donald Trump a bien choisi le Gouverneur Mike Pence comme Vice-président, un conservateur religieux des plus affirmés, célèbre pour la promulgation dans son États de l’Indiana d’une loi controversée sur la protection de la liberté religieuse. Celle-ci est dénoncée par nombreuses associations et personnalités publiques pour sa stigmatisation des LGBT en ce qu’elle permet aux entreprises de refuser des clients au nom de leur croyance. Le “trumpisme” serait dès lors une sorte de cocktail d’idées conservatrices voire réactionnaires typiques de la décennie 2010 : un déni du changement climatique, un rejet catégorique de l’Obamacare, des paroles affectueuses envers le lobby des armes à feu (la National Rifle Association) et une accusation selon laquelle Barack Obama serait un musulman caché.

Somme toute, les chrétiens évangéliques étaient rassurés par Donald Trump et repoussés par Hillary Clinton. A leurs yeux, elle cumulait plusieurs défauts idéologiques : épouse d’un ex-président volage, discrète sur son éducation protestante, militante pour le droit à l’avortement etc.

Malgré un parti républicain divisé,  cette droite chrétienne sort victorieuse de la course électorale. Le Congrés, le Vice-président et potentiellement la cour suprême seront sous l’égide de Donald Trump. Ses positions floues sur la religion pendant la campagne n’ont pas fait obstacle à son élection.

Pour citer ce document :
Henri landès, "Make America great again? Les chrétiens conservateurs : entre attrait pour Trump et rejet de Clinton". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°02 [en ligne], novembre 2016. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/make-america-great-again-les-chretiens-conservateurs-entre-attrait-pour-trump-et-rejet-de-clinton/
Bulletin
Numéro : 02
novembre 2016

Sommaire du n°02

Voir tous les numéros

Auteur.e.s

Henri landès, Enseignant à Sciences Po Paris

Mots clés
Aires géographiques :
Aller au contenu principal