Bulletin N°24

décembre 2018

Première table-ronde : La culturalisation du religieux par le politique

Christophe Bouillaud, Patrick Moreau, Kathy Rousselet

Problématique :

Dans nombre de cas, le religieux est moins l’objet d’une référence directe que d’une culturalisation. Ainsi en est-il de l’invocation de l’identité chrétienne de l’Europe par nombre de populismes : elle est moins affaire de croyance que d’appartenance. C’est cette utilisation « stratégique » du religieux qui est analysée avec attention en mobilisant les expériences autrichienne, italienne et russe.

La Ligue du Nord (1991-2018), peu catholique et jamais chrétienne ?

Christophe Bouillaud – Sciences Po Grenoble

Depuis juin 2018, l’Italie est gouvernée par le Premier ministre Giuseppe Conte. Celui-ci a pris la tête d’une coalition inattendue rassemblant le parti anti-système, Mouvement 5 Etoiles, en la personne de Luigi Di Maio, ministre du Développement économique, du Travail et des Politiques sociales, et le parti d’extrême droite, la Ligue, avec Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur. Christophe Bouillaud présente le cas spécifique de la Ligue et les évolutions du parti. Créée en 1991 sous la houlette d’Umberto Bossi comme un parti ethno-régionaliste dont les bastions se trouvent au nord de l’Italie, la Ligue est désormais devenue une formation nationaliste, notamment depuis qu’il a été repris en main par M. Salvini en 2013 qui a porté la Ligue à la victoire. Parallèlement aux stratégies électorales changeantes de la Ligue, C. Bouillaud présente les thématiques structurelles du parti. A cet égard, la Ligue a été la première formation à politiser la question migratoire qui est désormais au cœur de l’identité du parti, de pair avec l’euroscepticisme et la perception de la supériorité du nord par rapport au sud du pays. Outre ces deux référents identitaires, la présentation se consacre plus spécifiquement au rapport de la Ligue avec le catholicisme. C. Bouillaud démontre ainsi que la Ligue a toujours cherché à instrumentaliser le catholicisme, en le vidant de sa religiosité et de son sens chrétien – c’est-à-dire universaliste et charitable. Partant, le catholicisme semble réduit à un pur instrument de démarcation identitaire au regard de l’islam d’une part, et de promotion de valeurs « morales » d’autre part (au regard de la famille notamment). De fait, les discours actuels du Pape reflètent l’opposition de ce dernier aux politiques adoptées par M. Salvini sur l’immigration.

Liste Kurz et FPÖ en Autriche : une identité nationale-populiste commune bâtie sur le rejet de l’immigration et la religion ?

Patrick Moreau – université de Strasbourg

Depuis 2017, l’Autriche a pour chancelier le très jeune et très conservateur Sebastian Kurz issu du Österreichische Volkspartei (ÖVP), le Parti populaire autrichien, mais ayant mené campagne sur le modèle d’En marche ! prenant ainsi ses distances vis-à-vis de son parti. Pour former son gouvernement, S. Kurz a choisi de s’allier avec le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ), le Parti de la liberté, un parti national-populiste et nativiste. Patrick Moreau revient sur cette coalition au pouvoir et sur le rapport à la religion des deux formations, tout en contextualisant l’élection ayant porté S. Kurz au pouvoir. P. Moreau rappelle à cet égard que l’Autriche a été soumise aux mêmes évolutions structurelles que l’ensemble des pays de l’Union européenne (affaiblissement des partis traditionnels, crise économique, crise de l’accueil des migrants). Puis le chercheur précise les programmes proposés par S. Kurz et par le FPÖ lors de la campagne électorale afin d’en montrer les nombreux points de contact, notamment pour ce qui concerne le rejet conjoint de la tutelle européenne et de l’immigration, de pair avec la lutte contre l’islamisation et pour une « sécurisation » renforcée de l’Europe. Concernant le religieux, la défense de l’identité judéo-chrétienne de l’Autriche à laquelle se livrent les deux formations a plus vocation à protéger « l’identité autrichienne » (telle qu’ils l’imaginent) face à la menace que ferait peser sur elle les migrations et l’islam, qu’à défendre la religion catholique ou protestante per se. De fait, S. Kurz est décrit comme un catholique traditionaliste, mais pas un réactionnaire, tandis que le FPÖ, initialement anti-clérical, a progressivement paré son discours d’accents religieux catholiques afin de courtiser les électeurs pratiquants et d’en faire la base de son discours identitaire.

Le religieux dans la rhétorique populiste du pouvoir russe

Kathy Rousselet – Sciences Po Ceri

Depuis 1999, Vladimir Poutine dirige la Fédération de Russie, que ce soit comme Président ou comme Premier ministre. La présentation de Kathy Rousselet aborde donc les modalités et la finalité de l’utilisation du référent religieux à laquelle se livre V. Poutine. K. Rousselet précise que le populisme est, en Russie, d’une part, lié au nationalisme et d’autre part, une stratégie de stabilisation du régime. V. Poutine use donc du registre populiste, mais lui donne un contenu différent au gré de ses mandats. Partant, le « peuple » n’a pas toujours été au cœur des discours, comme c’est en revanche le cas depuis les années 2010. En effet, suite à la crise économique de 2008 et afin de contrer les protestations, le dirigeant russe promeut l’idée d’un « peuple russe » qui serait une entité homogène et dépolitisée. Partant, le caractère multinational et multireligieux du peuple russe est bien reconnu, mais cette diversité est néanmoins porteuse d’une unité véhiculée par la « civilisation russe » qui serait commune aux différents groupes constituant le peuple russe. Dans la formulation de ce récit national, V. Poutine apparaît comme le garant et le protecteur de cette civilisation, face aux menaces internes (les valeurs occidentales véhiculées par l’intelligentsia) et externes (la croissance démographique des pays musulmans) qu’elle subit. V. Poutine fait donc de la défense de la civilisation russe le cœur de son discours politique et se place au-dessus de la mêlée en s’en attribuant le rôle de gardien via la promotion de valeurs conservatrices. Dans cette optique, il en appelle aux institutions orthodoxes pour appuyer la défense de la civilisation russe. Là encore, les valeurs spirituelles et morales véhiculées par la religion sont moins défendues pour elles-mêmes que pour leur valeur identitaire à l’échelle nationale. Elles revêtent également une dimension messianique, puisque la Russie de V. Poutine a vocation à préserver ce qu’il présente comme les valeurs européennes authentiques.

Pour citer ce document :
Christophe Bouillaud, Patrick Moreau, Kathy Rousselet, "Première table-ronde : La culturalisation du religieux par le politique". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°24 [en ligne], décembre 2018. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/premiere-table-ronde-la-culturalisation-du-religieux-par-le-politique/
Bulletin
Numéro : 24
décembre 2018

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