Bulletin N°17

mars 2018

Prière pour Vladimir

Kathy Rousselet

Réélu sans surprise le 18 mars dernier avec 76,7% des suffrages exprimés, Vladimir Poutine a rempilé pour un mandat de six ans à la tête de la Fédération de Russie, le jour même de l’anniversaire de l’annexion de la Crimée, quatre ans auparavant. Malgré ce plébiscite de façade, le taux de participation de 67,5% s’est révélé en-deça des espérances du pouvoir (70%), traduisant le relatif intérêt des votants pour une élection jouée d’avance. Pourtant, en amont des suffrages des « prières pour le Président » avaient fleuri dans certaines églises orthodoxes, incitant la population à renouveler le mandat de V. Poutine. Kathy Rousselet, spécialiste de la Russie, décrypte les raisons du soutien politique qu’affichent ouvertement certains prêtres orthodoxes au maître du Kremin.

En février 2018, à l’approche de l’élection présidentielle en Russie, on a vu apparaître dans certaines éparchies de Russie, comme celles de Krasnoïarsk ou de Saint-Pétersbourg, des brochures reprenant une prière pour le Président [« Molitva za prezidenta »], ou même pour Vladimir Poutine [« Molitva o Vladimire V. Poutine »]. Telle prière invoque la Vierge Marie : « Très Sainte Mère de Dieu, sauve et protège le chef de nos armées, Vladimir ». Telle autre invoque pour le Président, dont le prénom Vladimir est précisé, la protection de l’archange saint Michel. Prière de combat, elle appelle à repousser le diable et les ennemis.

En réalité, cette prière pour le Président existe depuis plus d’une décennie. Elle figure depuis 2005 sur le site du Club des mécènes orthodoxes, club d’hommes d’affaires fondé en 2003. Peut-être est-elle plus ancienne encore, puisqu’elle trouverait son origine dans la rencontre de moines venus de Kiev, juste après la Révolution orange ukrainienne (2004), avec un moine ascète [skhimnik] du mont Athos, situé en Grèce. Interrogé par trois fois sur l’avenir de Kiev et de l’Ukraine, l’homme, coupé du monde et ignorant jusqu’au nom des hommes d’Etat, aurait dit aux voyageurs : « Il y a à Moscou un gouvernant. C’est un vrai chrétien parmi les autres gouvernants de ce monde. Il faut le protéger, il faut prier pour lui[1][URL : http://rkpm.ru/molitva-za-prezidenta-rossii] ». C’est une prière principalement diffusée au sein de groupes de discussion sur les réseaux sociaux, unissant dans une même communauté de prière des croyants qui la récitent au même moment, quel que soit le lieu où ils se trouvent [molitva po soglacheniou]. Il semble qu’elle soit tout particulièrement pratiquée parmi les patriotes russes qui se sont opposés à la Révolution orange, puis au mouvement proeuropéen de Maïdan (2013-2014). Le Mouvement international AntiMaïdan, présenté par ses membres comme une « milice sur Internet », diffuse ainsi sur le réseau social Odnoklassniki la supplique du hiéromoine[2]Un hiéromoine est un moine ayant été ordonné prêtre à la demande de son supérieur. Ilia du monastère Optina Poustyn, un des lieux les plus vénérés de Russie et le refuge spirituel de plusieurs écrivains russes, dont Dostoïevsky et Tolstoï, dans l’éparchie de Kalouga. Le hiéromoine appelle à prier pour Vladimir Poutine et à le soutenir dans les « moments difficiles » qu’il traverse[3][URL : https://ok.ru/group57323728011300/topic/67884482052132].

Un des chefs de file de ces patriotes est Andréï Tkatchev, prêtre né en 1969 et ayant quitté l’Ukraine en 2014. Actuellement clerc à Zaïtsevo dans la région de Moscou, il intervient fréquemment à la télévision : il est particulièrement critique à l’égard de l’Eglise ukrainienne dépendant du patriarcat de Moscou dont il considère très ambiguë la position à l’égard du pouvoir ukrainien. Si le peuple russe pouvait avoir honte de Mikhail Gorbatchev et de Boris Eltsine, Vladimir Poutine, gouvernant digne et conforme à la position qu’il occupe [« adekvatny »], serait, pour Tkatchev, un don de Dieu pour lequel il faudrait rendre grâce : il serait « la bonne personne à la bonne place ». Il fait partie de ces vénérateurs du tsar qu’on a vus se mobiliser récemment contre la sortie du film Matilda, relatant la romance entre le dernier tsar et une danseuse étoile. Il estime en particulier que Nicolas II, mort en martyr, a souffert pour expier, à l’image du Christ, les fautes de tout son peuple – cette position étant considérée comme hérétique par le patriarche de Moscou. Pour Tkatchev, Vladimir Poutine ne serait pas un oint de Dieu[4]Un oint de Dieu est une personne ayant reçu la consécration d’une huile sainte. comme le tsar, mais il en remplirait les fonctions, et son prénom, celui du Grand Prince Vladimir qui baptisa la Rus en 988, ne lui aurait pas été donné par hasard[5]"Tchelovek, kotory ne myslit sebia vne svoeï strany. Potchemou nado molitsia za Prezidenta Vladimira Poutina ?" [Un homme qui ne se pense pas en dehors de son pays. Pourquoi faut-il prier pour le … Continue reading. Cette prière au Président est ainsi profondément liée à l’idée de la Sainte Russie. Défendue par tous ces patriotes, celle-ci qui dépasse largement les frontières de la seule Russie actuelle et recouvre les territoires de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Moldavie. Dès lors, la prière au Président poursuit un objectif plus vaste en en appelant à un Etat fort, et à la reconquête de la puissance russe.

Notes

Notes
1 [URL : http://rkpm.ru/molitva-za-prezidenta-rossii]
2 Un hiéromoine est un moine ayant été ordonné prêtre à la demande de son supérieur.
3 [URL : https://ok.ru/group57323728011300/topic/67884482052132]
4 Un oint de Dieu est une personne ayant reçu la consécration d’une huile sainte.
5 "Tchelovek, kotory ne myslit sebia vne svoeï strany. Potchemou nado molitsia za Prezidenta Vladimira Poutina ?" [Un homme qui ne se pense pas en dehors de son pays. Pourquoi faut-il prier pour le Président Vladimir Poutine ?)], 11 mars 2016, [URL : http://www.pravoslavie.ru/91384.html]
Pour citer ce document :
Kathy Rousselet, "Prière pour Vladimir". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°17 [en ligne], mars 2018. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/priere-pour-vladimir/
Bulletin
Numéro : 17
mars 2018

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Auteur.e.s

Kathy Rousselet, directrice de recherche au CERI – Sciences Po, Paris

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