Bulletin N°24

décembre 2018

Troisième table-ronde : Les oppositions religieuses au populisme

Nadia Marzouki, Valentin Behr, Rolf Schieder

Problématique:

Les rapports qu’entretiennent les acteurs religieux (Eglises, fidèles) avec les populistes sont loin d’être systématiquement cordiaux. Au contraire certaines mobilisations antipopulistes sont menées par des acteurs religieux ou au nom de la religion, ce qui est traité avec les cas américain, polonais et allemand.

Les mouvements civiques œcuméniques contre le nationalisme chrétien aux Etats-Unis

Nadia Marzouki, Sciences Po Ceri

En novembre 2016, le candidat Donald Trump a bénéficié du vote unanime de l’électorat nationaliste chrétien. De fait, Nadia Marzouki débute son intervention en rappelant l’influence du « nationalisme chrétien » dans l’administration américaine actuelle, notion qu’elle définit à la fois comme une idéologie considérant que les Etats-Unis sont une nation chrétienne qui doit être régie par des principes chrétiens, ainsi qu’un aréopage d’organisations prêchant cette idéologie. Ainsi, l’une des plus patentes illustrations de l’influence des nationalistes chrétiens au sein de l’administration Trump est l’adoption du Muslim Ban. N. Marzouki poursuit en expliquant que la résistance la plus forte à ce courant vient du champ religieux lui-même, principalement de la part de courants et d’organisations d’inspiration religieuse qui à ce titre, prêchent la justice sociale et luttent contre les discriminations raciales. Ces mouvements civiques œcuméniques, comme les qualifie N. Marzouki, considèrent que l’engagement civique est un devoir religieux pour lequel l’altruisme et l’ouverture sur autrui sont fondamentaux. Alors que les nationalistes chrétiens font du christianisme un marqueur identitaire distinctif et excluant « l’Autre », à l’inverse, les mouvements civiques œcuméniques mettent en avant la solidarité, l’amour du prochain, la foi, etc. Ils s’opposent donc aux premiers afin de promouvoir une autre place de la religion dans l’espace public et dans le rapport au politique comme en témoignent les différentes mobilisations présentées par N. Marouzki. Pour cette raison, ces courants œcuméniques pourraient représenter une opportunité pour la gauche américaine et un électorat potentiel pour les démocrates. Toutefois, N. Marzouki estime que cet espoir semble limité,ces mouvements civiques n’ayant pas une dynamique suffisante pour devenir le pendant « de gauche » des nationalistes chrétiens.

Critiquer le gouvernement polonais au nom de la religion : des prises de position révélatrices des fractures de l'Eglise catholique

Valentin Behr – Centre de civilisation française et d’études francophones, Université de Varsovie

A la tête de la Pologne depuis 2015, le gouvernement issu du parti Prawo i Sprawiedliwość, « Droit et justice » (PiS) s’appuie sur des valeurs et des acteurs religieux pour mettre en œuvre son programme politique [cf. supra]. De fait, comme le précise Valentin Behr, le PiS incarne une synthèse de nationalisme ethno-culturel et de catholicisme conservateur et propose une vision communautaire du politique selon laquelle la nation est sacralisée et constitue la source de toute autorité politique. Telles que les conçoit le PiS, les racines de l’identité nationale sont catholiques. Pour autant, l’ensemble de l’Eglise catholique ne soutient pas le gouvernement de Mateusz Morawiecki. V. Behr débute donc son intervention en mentionnant un certain nombre de publications et d’organisations qu’il qualifie de « catholiques séculiers » qui ont pris position face au gouvernement et, en raison de ce positionnement critique, se sont vues retirer des aides publiques. V. Behr souligne que cette opposition se fait sur la place que doit occuper la religion dans la vie publique : si pour les catholiques conservateurs elle doit être centrale, pour les catholiques séculiers, elle doit néanmoins s’autonomiser au regard du pouvoir politique. De plus, les seconds se reconnaissent dans les positions prises par le Pape François, alors que les conservateurs les récusent, notamment en ce qui concerne l’accueil des migrants qu’ils pensent être une menace sur l’identité de la Pologne et de l’Europe. Ainsi outre une opposition religieuse au PiS, on observe également des fracturation interne à l’Eglise polonaise. Au-delà de la sphère strictement catholique, V. Behr estime que les débats relatifs à la place de l’Eglise sont désormais centraux au sein de l’ensemble du champ politique polonais et révélateurs de la recomposition de ce dernier.

Apocalyticism and Romanticism of the German New Right

Rolf Schieder– Humboldt Universität, Berlin

Rolf Schieder ne partage pas entièrement l’analyse largement répandue selon laquelle le séculier et le religieux constituent deux sphères strictement distinctes en Europe. A ses yeux, contrairement aux idées répandues dès lors qu’on évoque le populisme de droite, c’est une erreur de voir dans le rejet de l’islam un reflet de la sécularisation en cours en Europe. Plus précisément, il pense que le populisme peut inciter le chercheur à repenser ce clivage puisqu’en Autriche et en Allemagne les populistes de la « Nouvelle droite » appellent de leurs vœux à la « remoralisation » de la vie politique, en raison de la foi réelle qui anime certains d’entre eux. Ceci étant posé, R. Schieder poursuit en identifiant les différentes traditions religieuses allemandes ainsi que les registres auxquels se réfère la Nouvelle droite allemande. Au cours de sa présentation, R. Schieder présente donc les protestantismes évangélique et luthérien, ainsi que les catholiques romains et les néo-païens. Pour chacun de ces courants, il détaille la position du clergé et les oppositions éventuelles que suscite celle-ci de la part de la Nouvelle droite, ainsi que le fondement de ces points d’achoppement. Puis, il analyse les répertoires apocalyptique, romantique et anti-libéral mobilisés par la Nouvelle droite. En conclusion, R. Schieder estime donc que le véritable ennemi de la Nouvelle droite n’est pas l’islam, qu’il analyse plutôt comme le « fantasme » de celle-ci, mais bien plus les élites libérales dont la critique peut prendre plusieurs visages.

Pour citer ce document :
Nadia Marzouki, Valentin Behr, Rolf Schieder, "Troisième table-ronde : Les oppositions religieuses au populisme". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°24 [en ligne], décembre 2018. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/troisieme-table-ronde-les-oppositions-religieuses-au-populisme/
Bulletin
Numéro : 24
décembre 2018

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