Chargement Évènements

« Tous les Évènements

La cruauté et le djihadisme

18 novembre @ 18h00 - 20h00

Séance du séminaire sciences sociales et psychanalyse

Intervenant : Bertrand Duccini

Discutant : Paul Zawadzkil

Présentation du séminaire :

Guerre, guerres civiles, et latences

En décidant d’adopter pour thème du séminaire de cette année le phénomène de la guerre, nous poursuivons l’effort des années précédentes d’identifier les voies permettant de conjuguer les apports réciproques et croisés des approches politistes, socio-historiques et psychanalytiques.  Ce faisant, il ne s’agit ni d’analyser directement les configurations historiques guerrières, ni d’étudier les violences comme de simples effets de la pulsion de destruction considérée comme un invariant anthropologique mais bien davantage d’explorer ce que la prise en considération du champ des affects et des pulsions apporte à l’analyse des phénomènes de violence guerrière.

L’interrogation porte ainsi sur les catégories en usage dans ces différentes disciplines : la répétition et la re-présentation, l’oubli et le refoulement, la négation ou le déni, la haine, l’amour et la barbarie, la jouissance et l’indifférence, l’imaginaire, le fantasme et la surréalité, la latence et la mémoire et de manière ultime, sur la pertinence de la catégorie de pulsion de mort.

Si les sciences sociales – celles du moins qui restent soucieuses de prendre en compte la subjectivité des acteurs sociaux -  et la psychanalyse ont en partage l’analyse des phénomènes individuels pour fonder leurs interprétations, elles ne s’adossent pas aux mêmes épistémologies. On pense notamment aux partisans d’une connaissance singularisante, qui se méfient fréquemment de l’usage des concepts, là où la psychanalyse fait fond sur un corpus conceptuel élaboré de longue date.

D’où le défi et la difficulté qui restent inscrits au cœur de la démarche de ce séminaire : comment est-il possible d’articuler ces différents plans, en évitant autant leur juxtaposition que leur hybridation incontrôlée.

Aux historiens, on est ainsi en droit de demander si, et comment, dans leur analyse des violences guerrières, haineuses ou génocidaires, ils prennent appui sur les théories universalisantes du type de celle qui travaillent les concepts d’inconscient, de répétition, du refoulement, de latence dans l’histoire. Comment traitent-ils des délires meurtriers ? Plus largement, aux spécialistes des sciences sociales, l’on voudrait demander comment traitent-ils de la part « insue » de leur objet d’analyse ? En effet, fréquemment leurs analyses font intervenir des fonctions ou des processus agissants à l’insu des acteurs sociaux. Quel rapport, cet « insu » entretient-il à l’inconscient, étant entendu que l’inconscient dynamique ne se réduit pas au non conscient.

Prolongeant cette réflexion on peut s’interroger sur la place à conférer aux dimensions émotionnelles et/ou pulsionnelles qui semblent consubstantielles aux phénomènes de la guerre et de la haine de l’autre. Au-delà de Pierre Bourdieu qui assigne au sociologue la tâche d’assurer « le retour contrôlé du refoulé », comment est intégrée la dimension psychique du refoulement dans les analyses du déclenchement de la brutalité guerrière ? Si les paradigmes tels celui de la « frustration agression » sont sollicités dans l’explication, quelle est la part des frustrations, du déplaisir et des tensions insatisfaites dans le déclenchement des violences ? En particulier, que vaut aux yeux des historiens et des sociologues, la thèse freudienne exposée dans Malaise dans la culture et reprise par Elias, selon laquelle la croissance du progrès de la civilisation se paie du sacrifice du plaisir individuel, le tout pour des gains très relatifs, et au risque de l’approfondissement des inégalités sociales et in fine, de l’explosion générale dans la révolution et dans la guerre ?

Partant, on est en droit de demander aux psychanalystes, d’éclairer la place qu’ils confèrent à la singularité des configurations sociales dans la mise en intelligibilité proposée. Comment pensent-ils la dimension collective de la dynamique de destruction ? Qu’est-ce qu’ils considèrent comme originaire ? Quelle statut acquiert « l’autre » – la famille, la communauté, le social, le politique - dans les résistances que la pulsion rencontre et auquel elle s’affronte? Plus largement, quelle articulation proposent-ils entre leur théorie du psychisme et l’institutionnel, en particulier les formes inédites de celui-ci qu’ils s’agisse du totalitarisme ou de la démocratie ?

Au-delà, comment les psychanalystes enracinent leur « mythologie » (celle des pulsions selon les mots de Freud) dans la singularité politique des expériences qu’ils abordent, et dans ce type de réflexion, à quelles conditions la notion de pulsion de mort pourrait être opératoire ?  Comment les psychanalystes appréhendent-ils la dimension de l’État saisi comme une autorité en surplomb des pulsions individuelles, parfois les attisant et parfois les réprimant, pour la production d’un ordre où la satisfaction collective peut n’avoir rien ou très peu à voir avec le plaisir individuel.

Traversant ces différentes questions se pose pour chaque discipline la question de la « fictionalisation », partant, celle du langage : en fictionnant l’autre en ennemi absolu, l’hostilité radicale passe souvent par sa « déréalisation » (négationniste ou « inventionniste »). Aussi imaginaires ou délirantes qu’elles soient, ces représentations produisent des effets réels.  Plus largement, la violence s’introduit souvent sur les décombres des représentations partagées du réel. Rappelons que pour Hannah Arendt, « le sujet idéal du règne totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais l’homme pour qui la distinction entre fait et fiction (i.e. la réalité de l’expérience) et la distinction entre le vrai et le faux (i ;e ; les normes de la pensée) n’existent plus. »

 

 

Détails

Date:
18 novembre
Heure :
18h00 - 20h00
Aller au contenu principal