Focus

juin 2022

Comment le patriarche de l’Église orthodoxe russe s’est-il radicalisé?

Antoine Arjakovsky

La Commission européenne a décidé, dans le cadre de son 6e paquet de sanctions contre l’État russe en raison de la guerre qu’il mène en Ukraine, de geler les biens du patriarche de l’Église russe, Kirill Goundyaev[1][En ligne] EU targets head of the Russian church in new sanctions – POLITICO. Elle déclare que cet « allié de longue date du président Vladimir Poutine est devenu l’un des principaux soutiens de l’agression militaire russe contre l’Ukraine », selon un document révélé mercredi 4 mai 2022 par l’AFP. Il dispose en outre à titre personnel d’une fortune construite dans les années 1990-2000 grâce à des opérations dans le domaine du commerce de cigarettes, de spiritueux et même d’hydrocarbures[2][En ligne] https://novayagazeta.ru/articles/2020/08/04/86520-sovsem-arhierei. Elle est estimée à plusieurs milliards de dollars[3][En ligne] https://gdavydoff.livejournal.com/210399.html dont une partie se trouve en Occident[4] [En ligne]"Kirill, patriarche qui n’a Dieu que pour Poutine" – Libération (liberation.fr). Le patriarche a échappé début juin au 6e paquet de sanctions de l’Union européenne grâce au soutien de Victor Orban.

Pourtant, non seulement il n’a pas condamné l’annexion de la Crimée en 2014 (aujourd’hui directement administrée depuis Moscou sur un plan ecclésial), mais il a multiplié les déclarations de soutien à la nouvelle offensive russe en Ukraine depuis février 2022. La veille même de la nouvelle invasion de l’Ukraine, le 23 février, jour du « Défenseur de la patrie », il a béni les forces armées[5]« Chaque soldat qui a prêté serment doit être prêt, si la Patrie en a besoin, à aller défendre son peuple. Notre peuple n’a aucun doute que c’est ainsi que l’armée russe a été … Continue reading.

Le 6 mars 2022 à l’occasion du dimanche du pardon, qui marque dans le calendrier orthodoxe l’entrée dans le grand carême 40 jours avant la fête de Pâques, le patriarche Kirill n’a pas hésité à reprendre les thèses du Kremlin selon lesquelles le pouvoir ukrainien se livre à un « génocide » contre les habitants du Donbass. On sait pourtant que ce sont des soldats russes qui ont annexé la Crimée et déstabilisé le Donbass jusqu’à proclamer la sécession des républiques auto-proclamées de Donetsk et de Louhansk[6]Antoine Arjakovsky, Occident-Russie : comment sortir du conflit ?, Paris, Balland, 2017.. Mais le patriarche n’accorde aucune attention aux propos d’Igor Guirkine, cet officier du GRU qui a admis à plusieurs reprises avoir été commandité par le Kremlin en Ukraine entre janvier et juillet 2014 :

« Tout ce que je dis n’a pas simplement une signification théorique ni seulement une signification spirituelle. Il y a une vraie guerre autour de ce sujet aujourd’hui. Qui attaque l’Ukraine aujourd’hui, où la répression et l’extermination des habitants du Donbass se poursuivent depuis huit ans ; huit ans de souffrance, et le monde entier est silencieux – qu’est-ce que cela signifie ? Mais nous savons que nos frères et sœurs souffrent vraiment ; en outre, ils peuvent souffrir pour leur fidélité à l’Église. Et donc aujourd’hui, le dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens sont en guerre les uns contre les autres. Mais pardonner sans justice, c’est une capitulation et une faiblesse[7][En ligne]Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя / … Continue reading ».

Il a également expliqué que cette guerre était un conflit métaphysique contre les forces du mal.

« Tout cela indique que nous sommes entrés dans une lutte qui n’a pas de signification physique, mais métaphysique. Je sais comment, malheureusement, les orthodoxes, les croyants, qui choisissent la voie de la moindre résistance dans cette guerre, ne réfléchissent pas à tout ce à quoi nous pensons aujourd’hui, mais suivent docilement le chemin que les puissants de ce monde leur montrent. Nous ne condamnons personne, nous n’invitons personne à monter sur la croix, nous, nous disons simplement : nous serons fidèles à la parole de Dieu, nous serons fidèles à sa loi, nous serons fidèles à la loi de l’amour et de la justice, et si nous voyons des violations de cette loi, nous ne nous humilierons jamais avec ceux qui détruisent cette loi, brouillant la frontière entre la sainteté et le péché. Et encore plus avec ceux qui promeuvent le péché comme modèle ou comme l’un des modèles du comportement humain[8][En ligne] Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя … Continue reading ».

Il a précisé en quoi cette guerre était métaphysique et pourquoi l’Occident était le vrai responsable de la persécution des Ukrainiens du Donbass :

« Pendant huit ans, il y a eu des tentatives de détruire ce qui existe dans le Donbass. Et dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont maintenant offertes par ceux qui revendiquent le pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce gouvernement, un certain laisser-passer à ce monde « heureux », le monde de la consommation excessive, le monde de la « liberté » visible. Et vous savez quel est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrible – c’est la gay-pride. Les exigences imposées à beaucoup d’organiser un défilé de la fierté gaie sont un test de loyauté envers ce monde tout puissant ; et nous savons que si des gens ou des pays rejettent ces demandes, ils n’entrent pas dans l’autre monde, ils y deviennent étrangers[9][En ligne] Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя … Continue reading ».

Le pape François a raconté dans un entretien accordé au quotidien italien Corriere della Sera, publié mardi 3 mai, la teneur de son entretien vidéo avec le patriarche Kirill le 16 mars. « Les vingt premières minutes, un papier à la main, il m’a lu toutes les justifications de la guerre. J’ai écouté et j’ai dit : “Frère, […] nous ne pouvons pas utiliser le langage de la politique, mais (devons utiliser) le langage de Jésus. […] Nous devons chercher des moyens de paix, arrêter le bruit des armes[10][En ligne] Kirill, « l’enfant de chœur de Poutine » (la-croix.com) ». Le pontife romain, longtemps favorable à l’ost-politik[11] L’Ostpolitik (« la politique vers l'Est » en allemand), désigne la politique étrangère mise en œuvre par Willy Brandt en tant que chancelier social-démocrate (SPD) de l'Allemagne de … Continue reading traditionnelle du Vatican à l’égard de l’Église russe, demande aujourd’hui au patriarche Kirill de ne pas devenir « l’enfant de chœur de Vladimir Poutine ».

Les trois causes principales de la radicalisation

La radicalisation du patriarche Kirill peut s’expliquer par trois causes principales. D’une part, sur un plan structurel, il existe au sein même de l’Église orthodoxe, une tendance majoritaire qui consiste à rejeter la Modernité, l’héritage des Lumières, et à jeter un regard désespéré sur l’Occident. D’autre part, il y a indubitablement au sein de l’Église russe, depuis la chute de Byzance et l’avènement de la théorie de « Moscou, 3e Rome »[12] Plus d’un demi-siècle après la chute de Constantinople en 1453, le moine Philothée de Pskov écrivit au tsar Ivan III en 1508 les paroles suivantes à l’origine de cette théorie politique … Continue reading, une représentation impériale de sa mission de salut à l’égard de la terre entière. Enfin la pression de l’État russe sur la faible personnalité du patriarche, dont les liens avec le KGB sont anciens, représente sans nul doute le facteur accélérateur de sa radicalisation.

1. L’ultra-conservatisme de certaines Églises orthodoxes

On sait que le patriarche Kirill considère l’Occident comme décadent et se présente comme le défenseur des valeurs traditionnelles de la famille et de la vie. Le 27 février, trois jours après le début des hostilités, il a qualifié de « forces du mal » les détracteurs des ambitions russes chez le pays voisin à l’occasion d’une homélie prononcée dans la cathédrale du Saint Sauveur.

« A Dieu ne plaise que la situation politique actuelle dans l'Ukraine fraternelle, qui nous est proche, vise à assurer que les forces du mal qui ont toujours lutté contre l'unité de la Russie et de l'Église russe prennent le dessus. Dieu ne plaise qu'entre la Russie et l'Ukraine se trouve une ligne terrible, tachée du sang des frères. Nous devons prier pour le rétablissement de la paix, pour le rétablissement de bonnes relations fraternelles entre nos peuples. Le gage de cette fraternité est notre Église orthodoxe unie, représentée en Ukraine par l'Église orthodoxe ukrainienne, dirigée par Sa Béatitude Onuphri[13][En ligne] Слово Святейшего Патриарха Кирилла в Неделю о Страшном Суде после Литургии в Храме Христа Спасителя / … Continue reading ».Même si le chef de l’Église orthodoxe ukrainienne relevant de Moscou lui fait aujourd’hui défection, le patriarche reste soutenu par un grand nombre de hiérarques orthodoxes au-delà même de l’Église russe. Le responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou, Mgr Hilarion Alfeyev, métropolite de Volokalamsk est parvenu à éviter jusqu’à présent que le patriarcat de Moscou soit exclu du Conseil œcuménique des Églises. Il est même parvenu grâce au discours suivant à recevoir le soutien de l’ensemble des Églises orthodoxes dans une réunion préparatoire à l’assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises qui s’est tenue en pleine guerre russo-ukrainienne en mai 2022 en Crète :

« Nous ne devons pas nous contenter de regarder comment le monde chrétien occidental, dans certaines de ses parties, descend dans l'abîme du rejet total de l'Évangile et du Christ, en suivant la voie du relativisme moral et de la dégradation. Il est de notre responsabilité directe de faire tout ce que nous pouvons pour atteindre les cœurs perdus. Et il n'y a pas de place pour les compromis et la politesse. Seul un exemple clair de fidélité aux commandements de Dieu et une parole ferme peuvent produire le résultat de “sauver au moins quelques-uns” (1 Corinthiens 9:19)[14][En ligne]  Митрополит Иларион выступил с докладом на пленарном заседании Православной предассамблеи ВСЦ: … Continue reading ».

2. La représentation impériale du passé

La représentation mythologique du passé est à l’origine de la conception impériale, sacralisée et violente du « monde russe ». Selon cette vision, après la chute de Byzance en 1453, seule l’Église russe est en mesure de préparer la venue du Royaume de Dieu sur la terre. Cette conception impériale de l’identité russe dépasse la seule figure de Kirill. Alexandre Schipkov a été nommé à partir du 31 décembre 2015 par le patriarche Kirill premier vice-président du Département synodal pour les relations de l’Église avec la société et les médias. Le 31 mai 2016, deux ans après l’annexion de la Crimée, il a publié un texte intitulé « La géographie sacrée de la Russie : des Solovki à Chersonèse » pour justifier le retour de la presqu’île au sein de la Fédération de Russie. Son article commence par une justification des propos du président Poutine à propos de l’annexion de la Crimée réalisée le 18 mars 2014 :

« Dans son discours suivant à l'Assemblée fédérale, Vladimir Poutine a qualifié Chersonèse de lieu “d'une importance civilisationnelle et sacrée énorme”. “Après tout, c'est ici, en Crimée, dans l'ancienne Chersonèse, ou, comme les chroniqueurs russes l'appelaient, Korsun, que le prince Vladimir a été baptisé, puis a baptisé toute la Russie”, a déclaré le président. En effet, Chersonesos occupe la place la plus importante dans l'image russe du monde. Elle était clairement sous-estimée : à l'époque soviétique pour des raisons idéologiques, à l'ère post-soviétique à cause du fait que la Crimée était l'otage d'une culture étrangère. Mais Chersonèse est la porte d'entrée de la Russie vers la Byzance historique. Ici, le prince Vladimir, comme disent les historiens, a passé le “point de bifurcation”, une bifurcation historique. Soit dit en passant, tout le chemin du prince Vladimir, si l'on tient compte de ses "points" sacrés – c'est Novgorod-Kiev-Chersonèse et retour[15][En ligne] Сакральная география России: от Херсонеса до Соловков / Православие.Ru (pravoslavie.ru)».

Le patriarche Kirill est le principal idéologue du « monde russe », théorie selon laquelle l’Ukraine, le Bélarus, mais aussi la Moldavie, ne disposent pas d’indépendance politique dans la mesure où elles appartiennent au même espace civilisationnel. Cet espace est selon lui dicté par l’appartenance à la foi orthodoxe, par la diffusion de la langue russe et par une culture commune marquée par des siècles. Lors du premier dimanche du Grand carême le 13 mars 2022, Kirill Gundiaev a répété sa vision mythologique de l’histoire selon laquelle la Fédération de Russie est l’unique légitime héritière de la Rous de Kyiv, une théorie qui a pourtant été maintes fois contredites par les historiens[16]Antoine Arjakovsky, Russie-Ukraine : de la guerre à la paix, Paris, Parole et Silence, 2014..

« Que le Seigneur préserve notre Église, fortifie notre peuple et nous aide tous, peuple orthodoxe russe. Je le répète : quand je dis « Russes », je veux dire les mots « d’où vient la terre russe » de la « Chronique des temps passés ». Je prie pour tous ceux qui vivent en Ukraine, en Biélorussie, dans notre pays russe, pour que nous soyons tous unis dans l’esprit et que nous maintenions l’unité dans la foi. Que le Seigneur nous aide, et à ce sujet aujourd’hui, en ce jour du Triomphe de l’Orthodoxie, notre prière spéciale, à préserver l’unité dans la foi, l’unité dans l’esprit, en nous souvenant que nous n’avons que des saints, une seule tradition spirituelle, des pères spirituels souvent communs, un monachisme – un seul peuple de Dieu. Le chagrin et la désolation passeront, mais il est très important que ces chagrins et ces désolations n’affaiblissent pas notre force spirituelle intérieure. Si nous survivons, alors notre terre russe, qui comprend maintenant la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et notre Église, dont les enfants vivent dans différents États presque partout sur la planète, sera préservée. Et nous croyons que le Seigneur sera avec nous si nous gardons la foi orthodoxe pure, dont nous nous souvenons particulièrement des gardiens, le premier dimanche du Grand Carême. Amen. »

Par la suite en avril, alors que plus de 20 000 soldats russes étaient déjà décédés à cause de la guerre menée par la Russie en Ukraine – les chiffres du gouvernement ukrainien annoncent 27 700 soldats russes tués au combat au 16 mai 2022, il appelait les Russes à « faire corps » pour combattre ses « ennemis extérieurs et intérieurs ».

3. La responsabilité propre du patriarche

Reste la responsabilité propre de Kirill pour comprendre sa déconnexion progressive avec le monde réel. On sait que le patriarche avant son élection en 2009 à la tête de l’Église russe avait une réputation de libéral, du fait qu’il ait été fils et petit-fils de prêtre et en raison de sa connaissance de l’Occident. En réalité il était le prototype de l’homo sovieticus. Il est né au lendemain de la seconde guerre mondiale le 20 novembre 1946 à Leningrad dans une ville profondément marquée par le blocus allemand. Tout comme le réalisateur Nikita Mikhalkov[17][En ligne] Nikita Mikhalkov, le cinéaste devenu propagandiste | Revue Esprit (presse.fr), il fait partie de cette génération qui a connu le genre de vie soviétique avec toutes ses frustrations mais aussi avec le sentiment d’orgueil d’être du côté des vainqueurs de la Deuxième guerre mondiale. Cette génération n’a pas supporté les révélations de la perestroïka sur les crimes du régime soviétique comme le montre le film de Mikhalkov sur sa fille Anna.

Le père Gleb Yakounine (1934-2014), célèbre théologien dissident russe, qui eut accès aux archives des services secrets russes, fut l’un des premiers à révéler le nom de code de Vladimir Goundiaïev au KGB (Mikhaïlov). Le reporter du Point Marc Nexon reçut son témoignage ainsi que celui de Innokenti Pavlov, l’ancien secrétaire particulier de Kirill :

« Fils et petit-fils de prêtre, Vladimir Goundiaïev grandit à Leningrad et entre dans les ordres à 20 ans […]. Aucun moine ne pouvait devenir évêque sans appartenir au KGB […]. Il exerce même ses activités d'agent dès le début des années 70, lorsqu'il est nommé représentant du patriarcat à Genève. Il découvre là-bas le ski et les voitures de luxe. Jusqu'à son premier faux pas. Alors qu'il roule à pleine vitesse sur une route de montagne, sa BMW percute le bas-côté. A son bord, un colonel du KGB et son fils, victime d'une fracture de la clavicule. On précipite le retour de Kirill à Leningrad[18][En ligne] Kirill, l'ange gardien de Poutine - Le Point ».

Le saint synode de l’Église orthodoxe russe et les services secrets décidèrent de faire taire Gleb Yakounine. Il fut réduit à l’état laïc en 1993 puis excommunié en 1997. On reprocha au prêtre dissident ses engagements politiques et ses liens avec le patriarche Filaret de Kiev. Lorsque Kirill est élu patriarche le 27 janvier 2009 son principal détracteur est déjà entièrement délégitimé. Trois ans plus tard, le 1er février 2012, Kirill s’adresse à V. Poutine en affirmant que ses douze années au pouvoir ont été un véritable « miracle » pour la Russie. Contre les manifestants de la place Bolotnaia à Moscou, il demande à ses fidèles de rester chez eux en expliquant que le mouvement de fronde des organisations humanitaires et des partis d’opposition est « anti-national ».

Le groupe punk des Pussy Riot ne manqua pas de réagir le 21 février. Ce jour-là les chanteuses Nadejda Tolonnikova, Ekaterina Samoutsevitch et Maria Alekhina se présentèrent devant l’iconostase de la cathédrale du Christ Sauveur et entonnèrent un Te Deum punk : « Vierge Marie, chasse Poutine et toi, chien de patriarche, tu crois en Poutine alors que tu ferais mieux de croire en Dieu ». Elles seront condamnées à deux ans d’emprisonnement en camp de travail, « une punition correcte » selon le patriarche. À partir de cette date, plus personne n’osa en Russie s’opposer frontalement au patriarche. Les courants les plus fondamentalistes s’emparent de l’Église russe et anesthésient durablement à travers elle une âme russe déjà bien malade depuis des décennies[19]Antoine Arjakovsky, Anatomie de l’âme russe, Paris, Salvator, 2018..

Il n’hésita plus alors à contester ouvertement le leadership du patriarche Bartholomée de Constantinople sur l’ensemble du monde orthodoxe. Il refusa ainsi de se rendre au concile panorthodoxe de Crète en 2016. Il envisagea même de créer un équivalent de la cité du Vatican à Sergeev Possad, près de Moscou, pour régner sur l’ensemble des Églises orthodoxes qui lui feraient allégeance. Mais en 2014 le gouvernement ukrainien, conscient du rôle trouble joué par Kirill avec le colonel Guirkine en Crimée peu avant l’annexion, lui refuse le droit d’entrer en Ukraine. En 2018 c’est le patriarche Bartholomée qui accorde l’autocéphalie à l’Église d’Ukraine.

Il était pourtant arrivé si près de son but…

 

Notes

Notes
1 [En ligne] EU targets head of the Russian church in new sanctions – POLITICO
2 [En ligne] https://novayagazeta.ru/articles/2020/08/04/86520-sovsem-arhierei
3 [En ligne] https://gdavydoff.livejournal.com/210399.html
4 [En ligne]"Kirill, patriarche qui n’a Dieu que pour Poutine" – Libération (liberation.fr)
5 « Chaque soldat qui a prêté serment doit être prêt, si la Patrie en a besoin, à aller défendre son peuple. Notre peuple n’a aucun doute que c’est ainsi que l’armée russe a été élevée, que vous êtes venus remplacer vos pères et grands-pères héroïques, des générations héroïques de défenseurs de la Patrie. Et que Dieu accorde cet amour pour la Patrie, la disponibilité au sacrifice de soi, la disponibilité à toujours défendre votre pays et votre peuple sont intrinsèquement présents dans votre esprit et vos cœurs. Du fond du cœur, je vous souhaite un ciel paisible, un service calme et en même temps le maintien d’une disponibilité constante à défendre la défense de votre Patrie. Joyeuses fêtes à vous! » [En ligne] У День захисника Вітчизни Святіший Патріарх Кирил поклав вінок до могили Невідомого солдата біля Кремлівської стіни / Новини / Патріархія.ru (patriarchia.ru)
6 Antoine Arjakovsky, Occident-Russie : comment sortir du conflit ?, Paris, Balland, 2017.
7 [En ligne]Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя / Патриарх / Патриархия.ru (patriarchia.ru)
8 [En ligne] Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя / Патриарх / Патриархия.ru (patriarchia.ru)
9 [En ligne] Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя / Патриарх / Патриархия.ru (patriarchia.ru)
10 [En ligne] Kirill, « l’enfant de chœur de Poutine » (la-croix.com)
11  L’Ostpolitik (« la politique vers l'Est » en allemand), désigne la politique étrangère mise en œuvre par Willy Brandt en tant que chancelier social-démocrate (SPD) de l'Allemagne de l'Ouest (RFA) de 1969 à 1974. Cette politique consiste à normaliser les relations avec l'Union soviétique, l'Allemagne de l'Est (RDA) et les autres pays d'Europe de l'Est afin de durablement assurer la paix et la sécurité en Europe. Ce type d’approche correspond à une stratégie d’apaisement qui consiste à vouloir dialoguer avec Moscou au détriment des puissances régionales qui sont sous domination de la Russie. Elle a été adoptée par le Vatican dans les années 1970, contestée par Jean-Paul II, premier pape à se rendre en Ukraine, mais a finalement été réactivée sous les papes Benoît XVI et François au détriment de la présence catholique en ex-URSS.
12  Plus d’un demi-siècle après la chute de Constantinople en 1453, le moine Philothée de Pskov écrivit au tsar Ivan III en 1508 les paroles suivantes à l’origine de cette théorie politique messianique ayant marqué profondément les pouvoirs tsaristes et bolchéviques selon Nicolas Berdiaev: « Sachez, empereur [tsar] très pieux, que tous les empires appartenant à la religion chrétienne orthodoxe, sont maintenant réunis dans votre empire : vous êtes le seul empereur des chrétiens du monde entier… Tous les empires chrétiens se trouvent réunis dans votre empire. Après vous, nous attendons l’Empire qui n’aura pas de fin… Deux Rome sont tombées, mais la troisième demeure et il n’y en aura pas de quatrième. »
13 [En ligne] Слово Святейшего Патриарха Кирилла в Неделю о Страшном Суде после Литургии в Храме Христа Спасителя / Патриарх / Патриархия.ru (patriarchia.ru)
14 [En ligne]  Митрополит Иларион выступил с докладом на пленарном заседании Православной предассамблеи ВСЦ: новость ОВЦС (mospat.ru)
15 [En ligne] Сакральная география России: от Херсонеса до Соловков / Православие.Ru (pravoslavie.ru)
16 Antoine Arjakovsky, Russie-Ukraine : de la guerre à la paix, Paris, Parole et Silence, 2014.
17 [En ligne] Nikita Mikhalkov, le cinéaste devenu propagandiste | Revue Esprit (presse.fr)
18 [En ligne] Kirill, l'ange gardien de Poutine - Le Point
19 Antoine Arjakovsky, Anatomie de l’âme russe, Paris, Salvator, 2018.
Pour citer ce document :
Antoine Arjakovsky, "Comment le patriarche de l’Église orthodoxe russe s’est-il radicalisé?". Focus de l'Observatoire international du religieux [en ligne], juin 2022. https://obsreligion.cnrs.fr/focus/comment-le-patriarche-de-leglise-orthodoxe-russe-sest-il-radicalise/
Auteur.e.s

Antoine Arjakovksy, directeur de recherche au Collège des Bernardins et fondateur de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv

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