Focus

avril 2023

Nationalisme chrétien évangélique états-unien – Un documentaire ARTE de Thomas B. Johnson et Philippe Gonzalez qui fait date

Sébastien Fath

"Les évangéliques à la conquête du monde"[1]Thomas B. Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", Artline Films / Arte, France (Pour ARTE), 2023 (documentaire en trois parties de 159 minutes).. Ce titre accrocheur renvoie à un répertoire prisé et récurrent, non seulement dans les médias, mais aussi, parfois dans l'édition scientifique[2]Cf. le dossier thématique de la revue Hérodote, Paris, ed. La Découverte, conduit par le géographe Yves Lacoste, "Les évangéliques à l'assaut du monde", n°119, 2005/4 (192p).. Il a été choisi par la chaîne ARTE qui a diffusé, à partir du mardi 4 avril 2023, les trois épisodes d'un excellent documentaire consacré à l'évolution des rapports entretenus entre les protestants évangéliques états-uniens et la politique, jusqu'aux événements de la prise du capitole, le 6 janvier 2021. De quoi donner du grain à moudre aux réflexions engagées à nouveau frais sur les logiques de polarisation et de repolitisation religieuse qui marquent aujourd'hui la scène mondiale[3]Cf. Philippe Portier, Alain Diekhoff (dir.), L’enjeu mondial, religion et politique, Paris, Presses de SciencesPo, 2017.. Et l'occasion de féliciter les auteurs, avant de faire retour sur l'histoire récente de la fabrique du regard vidéo sur les évangéliques, en terminant par des questions à poursuivre.

Évangéliques d'outre-Atlantique et documentaires

En raison de leur impact social, culturel et politique, les protestants évangéliques américains sont, depuis longtemps, un objet de fascination pour l'Europe. Depuis le 11 septembre 2001 et le raidissement nationaliste des Etats-Unis sous la houlette de George W. Bush, protestant méthodiste born-again, proche du prédicateur Billy Graham, cette attention portée aux évangéliques d'outre-Atlantique a redoublé. En 2006, le documentaire américain "Jesus Camp" avait fait sensation sur le Vieux Continent, notamment en Suisse et en France[4]Rachel Grady et Heidi Ewing, "Jesus Camp", Magnolia Pictures, 2006 (documentaire de 86 minutes), Oscar 2007 du meilleur film documentaire.. On y découvrait en vidéo, grâce à Rachel Grady et Heidi Ewing, l'affirmation d'une nouvelle culture charismatique, fondée sur la rencontre entre la théologie du combat spirituel et le nationalisme états-unien. Côté francophone,  plusieurs films documentaires de qualité ont été consacrés aux évangéliques au fil des années 2000, comme celui de Martin Meissonnier en 2004[5]Martin Meissonnier (avec Roger Trilling), "A la droite de Dieu", Canal +/SBTV/Campagne PremièreProd, 2004 (documentaire de 55 minutes)., ou d'Abraham Segal, en 2007[6]Abraham Segal, "La politique et Dieu", France 2, 2007 (documentaire de 86 minutes)., ce dernier accordant une attention particulière au sionisme chrétien. L'accent de ces productions est résumé par le titre d'un autre documentaire du même type, réalisé par Daniel Lainé pour la chaîne M6 : « Les évangéliques américains à la conquête du Monde[7]Daniel Lainé, « Les évangéliques américains à la conquête du Monde", film documentaire diffusé sur M6 en 2006 (documentaire de 54 minutes).". Manière d'insister non seulement sur la dynamique prosélyte de ces chrétiens, mais aussi sur leur ambition et leur extension planétaire : cette logique d’impact conversionniste et conquérante les transforme en acteurs géopolitiques majeurs au vu de leur poids démographique, qui en fait le second pôle chrétien dans le monde après le catholicisme.

L'arrivée de Donald Trump au pouvoir à Washington en 2017, notamment grâce au soutien d'une large majorité d'évangéliques blancs, a ravivé l'attention portée à ces chrétiens militants états-uniens, volontiers nationalistes, aux allures de faiseurs de roi. Via grands reportages, comme celui d'Antoine Cormery sur France 24[8]Antoine Cormery, émission Reporters, "Etats-Unis, les évangéliques, au coeur du système Trump", France 24, 2019 (reportage de 17 minutes), ou documentaires comme celui réalisé pour la RTS par Florence Fernex et Françoise Weilhammer[9]Florence Fernex et Françoise Weilhammer "Les évangéliques à la conquête du pouvoir", Temps Présent, film Radio Télévision Suisse (RTS), 2019 (documentaire de 54 minutes)., la "conquête du pouvoir" devient une thématique dominante, à mesure où l'actualité internationale -avec Trump aux Etats-Unis et Bolsonaro au Brésil- multiple les exemples du poids évangélique sur la politique. L'évangélisme états-unien blanc, très télégénique en raison de la part qu'il accorde au charisme et aux scénographies géantes, devient au centre des attentions en raison du "pouvoir de la religion" qu'il imprime sur l'actualité de l'Amérique de Trump[10]Sarah Fournier, "God bless America : le pouvoir de la religion aux États-Unis", Ligne de Front / M6, 2019 (documentaire de 52 minutes). . Alors que le prédicateur Billy Graham (1918-2018), figure faîtière de l'évangélisme aux Etats-Unis durant plus de six décennies, tire sa révérence, et se voit peu après l'objet d'un grand documentaire PBS[11]Sarah Colt, Jawad Metni, "Billy Graham. Prayer, Politics, Power", PBS, 2021 (documentaire de 120 minutes)., l'Amérique en mutation se polarise. La sécularisation y progresse, le poids croissant du capitalisme néolibéral y fracture la société[12]Lire Robert Putnam, Bowling Alone, The Collapse and Revival of American Community, New York, Simon and Schuster, 2000., nourrissant les inquiétudes identitaires, dans un contexte international qui questionne l'hyperpuissance américaine post-guerre froide. Les hybridations entre religion et nationalisme se densifient[13]Nadia Marzouki, D. MCDonnell et Olivier Roy, Saving the People ? How Populists Hijack Religion, Hurst / Oxford University Press, 2016. , et beaucoup de White Evangelicals (évangéliques blancs) s'investissent comme jamais dans le jeu électoral, avec Trump comme champion[14]John Fea, Believe Me, The Evangelical Road to Donald Trump, Eerdmans, 2018..

C'est dans ce sillage que s'inscrivent les trois remarquables documentaires réalisés pour la chaîne ARTE par Thomas Johnson, avec la participation précieuse du sociologue suisse Philippe Gonzalez[15]Philippe Gonzalez est en particulier l'auteur de Que ton règne vienne, Des évangéliques tentés par le pouvoir absolu, Genève, Labor et Fides, 2014.. L'essentiel du narratif déployé au fil des trois opus de 52 minutes qui compose cette trilogie est consacré aux Etats-Unis. Les excursions dans d'autres espaces ((Afrique, Europe, Brésil, Israël, Corée du Sud) sont furtives. De quoi susciter l'intérêt, mais aussi l'inquiétude de la Fédération Protestante de France (FPF), principal réseau protestant hexagonal. Tout en félicitant ARTE, productrice du documentaire, pour la qualité de son travail, elle a déploré, dans un communiqué au ton très vif, que les courts extraits consacrés à la France, dans le troisième volet, créeraient un "amalgame choquant" en raison, affirme-t-elle, d'un "parti pris éditorial[16]Communiqué de presse " Suite aux documentaires "Les évangéliques à la conquête du monde" sur ARTE", rendu public par la Fédération Protestante de France le 30 mars 2023.". Proposition a même été faite par la FPF au groupe ARTE, via communiqué, de concevoir un quatrième épisode consacré pleinement à la France. Cela viendra peut-être, et pourrait représenter un intérêt, notamment au vu de l'essor considérable de l'évangélisme en France depuis le début des années 2000[17]Un essor et des recompositions qui demanderaient une mise à jour de Sébastien Fath, Du ghetto au réseau. Les protestants évangéliques en France, 1800-2005, Genève, Labor et Fides, 2005.. A l'heure où l'INSEE nous apprend que 9% des Françaises et Français déclarants, désormais, entrent dans la catégorie "autres chrétiens" (contre 29% qui se définissent  comme catholiques), la croissance des Églises évangéliques, pentecôtistes, Églises postcoloniales n'est plus un épiphénomène statistique : elle est un des moteurs principaux des recompositions massives du paysage religieux auxquelles nous assistons, y compris dans un pays aussi sécularisé que la France, où 51% des déclarants se disent "sans religion"[18]Enquête INSEE conduite par Lucas Drouhot (Utrecht University), Patrick Simon (Ined et ICM), Vincent Tiberj (Sciences Po Bordeaux), " La diversité religieuse en France : transmissions … Continue reading. Mais si ces reconfigurations vers un christianisme de conversion sont aujourd'hui majeures en France, est-il forcément dans le rôle d’une Fédération d’Eglises, FPF ou autre, de demander un documentaire de complément à une chaîne de télévision ? Il est vrai qu'ARTE, en jouant le jeu d’un visionnage en avant-première à la FPF, a du coup augmenté le risque d’une forte réaction… confessionnelle, sensible au risque de raccourci trompeur entre droite chrétienne trumpiste aux Etats-Unis et terrain français[19]Le danger de raccourci existe, et pose problème car les terrains, les histoires, les positionnements politiques sont différents. En revanche, on ne peut nier qu'il existe depuis longtemps, à … Continue reading. Par ailleurs, il faut rappeler que plusieurs films ont déjà été consacrés à l'évangélisme français au cours des dix années passées. En quelque sorte, il existe déjà des réponses à la demande de la FPF !

Une décennie de documentaires francophones sur le terrain français

En 2013, dans une enquête de 52 minutes, Serge Moati et Alice Cohen se penchaient avec pédagogie sur les nouvelles Églises évangéliques, surtout issues de la francophonie africaine[20]Alice Cohen, Serge Moati, "Les nouvelles Églises évangéliques", France 5, 2013 (documentaire de 52 minutes)., tandis que France 3 s'intéressait la même année aux nouvelles stratégies missionnaires des Églises évangéliques en France[21]Ilioné Schulz, Fanny Bouteiller, Laurent Vaury, "Évangéliques, les nouveaux missionnaires", France 3, 2013 (documentaire de 29 minutes).. Un an auparavant, un documentaire était dévolu aux Églises africaines dans l’hexagone, signé Marjolaine Dorne et Alexis Orand[22]Marjolaine Dorne et Alexis Orand, "Les nouveaux bâtisseurs d'Église, quand l'Afrique réévangélise l'Europe", France 2/ Bout-à-bout Prod., 2012 (documentaire de 29 minutes)., tandis qu'une série très complète (France 2), réalisée par Bernadette Sauvaget et François Stuck, était consacrée à la "famille recomposée" du protestantisme français[23]Bernadette Sauvaget et François Stuck "Protestants aujourd'hui, une famille recomposée", France 2, 2012 (documentaire de soixante-seize minutes, en trois parties)., à la suite de la publication d'un colloque éponyme consacré à la "nouvelle France protestante"[24]Sébastien Fath et Jean-Paul Willaime (dir.), La nouvelle France protestante, essor et recomposition au XXIe siècle, Genève, Labor et Fides, 2011.. En 2015, c'était au tour de Valérie Manns, dans un magnifique documentaire en deux parties, de traiter de l'histoire des "protestants de France", en terminant, dans le second volet, par un regard porté sur les recompositions évangéliques[25]Valérie Manns, "Protestants de France", CPB Films, 2015, documentaire de deux fois 52 minutes (voir surtout le 2e volet pour découvrir l'évangélisme français) . Tandis que des enquêtes sont régulièrement proposées sur les principales chaînes de télévision francophones, comme "La poussée des Églises évangéliques", sur M6, en 2017[26]"La poussée des Églises évangéliques", M6, 30 octobre 2017 (reportage de 6 minutes 20")., ou ce reportage de 2018 sur France 24 consacré à "l'étonnante croissance des églises évangéliques en France[27]James Vasina, Yong Chim et Gaëlle Essoo, " L'étonnante croissance des églises évangéliques en France", France 24 online, 19 mars 2018 (reportage de 6 minutes 15").", un nouveau documentaire de 52 minutes est consacré au sujet par Cyril Vauzelle en 2021[28]Cyril Vauzelle, "L'évangélisme en France, la folle ascension", LF Productions, 2021  (documentaire de 52 minutes).. Diffusé également sur France 24, le 19 mars 2018, ce dernier documentaire a depuis été posté sur la chaîne vidéo Youtube, où il totalisait plus de 139.000 visionnages cumulés à dater d'avril 2023, soit cinq ans après sa première diffusion sur la chaîne. La fenêtre audiovisuelle francophone est désormais grande ouverte, année après année, sur le phénomène protestant évangélique. Y compris lorsque l'actualité évangélique états-unienne invite à un regard rétrospectif et analytique, comme à l'occasion du décès de Billy Graham, auquel France Télévisions consacre un documentaire de deux parties en 2020[29]Audrey Lasbleiz, "Billy Graham, le pasteur de l'Amérique", France Télévisions, 2020 (documentaire, en deux parties, de deux fois 30 minutes)..

C'est pourquoi la diffusion par ARTE, en avril 2023, des trois épisodes du film "Les évangéliques à la conquête du monde" vient à son heure. En 159 minutes rondement menées, ce documentaire, visuellement époustouflant par moments, continue à écrire, et amplifie avec panache, une riche histoire visuelle de l'évangélisme contemporain par la vidéo. C'est un magnifique travail, qui fait date. Au terme du visionnage, on ne peut que féliciter l'équipe qui a porté le film, en particulier Thomas Johnson, brillant réalisateur, tant le résultat vaut la peine[30]Thomas Johnson (né en 1955) est un réalisateur français plusieurs fois primé, et particulièrement prolifique. Sa filmographie comporte plus de cinquante titres. : celles et ceux qui auront la chance de visionner ce documentaire, que ce soit via la télévision ou en streaming, apprendront beaucoup sur l'évolution des rapports entre évangéliques américains et politique. Un entrelac savamment construit entre images d'archive, interviews d'acteurs de premier plan et interventions de chercheurs (historiens, sociologues) tisse en effet une trame intelligente, didactique et colorée, avec un zeste de dramatisation qui ne connaît pas l'ennui. Des clefs de compréhension sont données, des séquences parfois d'un intérêt exceptionnel revisitent des pans d’histoire, à l’image des minutes extraordinaires (épisode 2) consacrées à Frank Schaeffer, transfuge et repenti de l’évangélisme conservateur, blanc et péremptoire de son père -Francis Schaeffer, auteur évangélique phare des années 1970[31]Cf. Barry Hankins, Francis Schaeffer and the Shaping of Evangelical America, Grand Rapids, Eerdmans, 2009.-. Visionner les trois épisodes est un « must ». A souligner : les films sont opportunément éclairés par l'expertise du sociologue Philippe Gonzalez (Université de Lausanne). Par son aptitude à trier la matière et dégager l’essentiel, son art de la synthèse analytique et ses talents de pédagogue, ce dernier apporte une forte valeur ajoutée au script des trois épisodes du documentaire d'ARTE.

Docu ARTE de Thomas Johnson (2023) : trois épisodes captivants et stimulants

Les trois volets du film de Thomas Johnson sont captivants et stimulants, scandés par l'excellente voix off de Samuel Labarthe. Ils sont le fruit d'un travail énorme, et reposent sur une collecte documentaire d'exception. Un chef d'œuvre du genre !

Le premier opus, dont la diffusion sur ARTE a coïncidé jour pour jour avec le 55e anniversaire de la mort de Martin Luther King (4 avril 1968-2023), s'intitule "La grande croisade". On commence par définir ce qu'est le "mouvement évangélique", en s'appuyant beaucoup sur les critères proposés par l'historien britannique David Bebbington : biblicisme, crucicentrisme, conversion et militantisme missionnaire. Il est rappelé aussi que les évangéliques, qui représentent aujourd'hui plus de 600 millions de chrétiens dans le monde, sont nés en Europe, avant de s'exporter (et de prospérer) outre-Atlantique, dans des colonies qui deviendront les Etats-Unis d'Amérique. Et on annonce la couleur : "Les plus radicaux prônent avec force une société régie par la vérité absolue de la Bible, à laquelle doivent se soumettre les règles sociales, culturelles et politiques[32]Volet 1, "La grande croisade", Thomas B. Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", op. cit. (phrase prononcée à partir de la 3e minute).". Dans le déroulé de ce premier opus, le sociologue Philippe Gonzalez fournit rapidement une clef interprétative utile, et qui sonne juste : d'un côté, la filiation politique et spirituelle, outre-Atlantique, du baptiste non-conformiste Roger Williams (1603-1684), apôtre de la séparation des Églises et de l'État et de la liberté de conscience. De l'autre, celle de John Cotton (1585-1652) et des Puritains de Nouvelle Angleterre, défenseurs d'une nouvelle Cité de Dieu protestante, un peu à la manière de la Genève de Calvin, où politique et religion s'entremêlent. Cette tension est présentée comme partie prenante de "l'ADN évangélique"[33]Dixit Philippe Gonzalez, opus 1 de Thomas Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", ARTE, 2023, op. cit. (propos tenus à environ 13 minutes et 20 secondes du début)..

Ce volet est éclairé par des images d'archive impressionnantes, des interviews de grande qualité, et l'analyse de chercheurs, dont l'historien américain Darren Dochuk (Université Notre Dame). Ce dernier est notamment l'auteur d'un ouvrage dont l'apport historiographique original[34]Darren Dochuk, Anointed with Oil, How Christianity and Crude made Modern America, New York, Basic Books, 2019. -autour des relations entre économie du pétrole et christianisme aux Etats-Unis- est judicieusement intégré dans l'analyse. Ce premier épisode s'attache à retracer brièvement l'évolution des rapports contemporains des évangéliques à la politique aux Etats-Unis, en soulignant l'affirmation du fondamentalisme protestant, puis l'importance jugée cruciale de la création de la National Association of Evangelicals (NAE) aux Etats-Unis (1942), et le rôle moteur de l'évangéliste Billy Graham (1918-2018), sorte de VRP d'un christianisme conservateur, conversionniste et conquérant. Les minutes consacrées au prédicateur globe-trotter sont particulièrement fascinantes, et pertinentes, notamment dans ses relations complexes avec son coreligionnaire baptiste Martin Luther King (1928-1968), qu'il soutient ouvertement dans les années 1950 avant de s'en distancier dans les années 1960. La mise en récit est particulièrement servie par d'exceptionnelles images d'archives, choisies avec un art consommé de l'équilibre narratif, en bénéficiant sans doute en partie du travail déjà réalisé, deux ans avant, par PBS dans son documentaire fleuve sur Billy Graham[35]Sarah Colt, Jawad Metni, "Billy Graham. Prayer, Politics, Power" (2021), op. cit..

Le second volet du documentaire d'ARTE a pour titre "Les évangéliques au pouvoir". Il décrit, et explique, le basculement qui s'opère dans les années 1970. Alors que Billy Graham, déçu par l'affaire du Watergate qui provoque la chute de Richard Nixon (1974), décide de se retirer du monde politique[36]Le refus constant de Graham de rejoindre la droite religieuse aurait pu, dans le documentaire, laisser davantage place à d'autres architectes de la structuration évangélique entre les années 1980 … Continue reading, d'autres leaders évangéliques, à l'inverse, choisissent de mobiliser les chrétiens dans un contexte où l'Amérique change. La légalisation de l'avortement (Roe vs Wade, 1973), la libéralisation des mœurs, la fin de la ségrégation raciale, la contre-culture bousculent et inquiètent beaucoup de pasteurs conservateurs. Le télévangéliste Jerry Falwell et le théologien Francis Schaeffer construisent alors une sub-culture chrétienne remobilisée sur la scène électorale. Avec pour victime collatérale le président (baptiste) Jimmy Carter, pourtant évangélique lui-même, mais jugé trop "libéral" (au sens américain, c'est-à-dire progressiste). Pensée comme un véritable lobby électoral, la Majorité Morale alors mise en place par Falwell favorise la victoire du républicain Ronald Reagan en 1980. Avec ce commentaire de l'historien Randall Balmer[37]Lire Randall Balmer, Bad Faith: Race and the Rise of the Religious Right, Grand Rapids, Eerdmans, 2021., au milieu du film : "une des grandes tragédies coïncidant avec la montée de la droite religieuse, est que les baptistes (...) ont commencé à abandonner leur rôle historique de gardiens de la ligne de séparation entre l'Église et l'État[38]Randall Balmer, opus 2 de Thomas Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", ARTE, 2023, op. cit., "Les évangéliques au pouvoir", intervention à partir de 23 minutes et 7 secondes. ". Un bond est ensuite effectué jusqu'à Donald Trump (passant notamment par pertes et profit le double mandat Obama et, auparavant, le double mandat de Bill Clinton, pourtant lui-même baptiste, évangélique et... démocrate). De l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis, en 2016, à celle de Jair Bolsonaro en 2018, la séquence est dominée par le poids géopolitique et électoral d'un évangélisme présenté comme fervent et mobilisé, conservateur et à la conquête du pouvoir.

Le troisième et dernier volet du film réalisé par Thomas Johnson s'ouvre sur la prise du Capitole le 6 janvier 2021 à Washington, illustrant le rôle joué, au sein d’une foule diverse, par certains évangéliques blancs séduits et mobilisés par une lecture complotiste de l'actualité (liens avec le mouvement Qanon). Intitulé "Dieu au-dessus de tout ?", l’épisode conclut, non sans gravité, le survol déployé lors des deux précédents volets en posant ouvertement la question de la dérive théocratique, qui menacerait de subvertir les institutions démocratiques et le pluralisme des sociétés libérales contemporaines. Centré sur les White Evangelicals (évangéliques blancs), il éclaire les enjeux contemporains du racisme persistant dans nombre d'Églises et cercles religieux, et donne précieuse matière à réfléchir sur les multiples rendez-vous manqués en matière de mixité ethnique, grâce notamment aux éclairages de la professeure Anthea Butler[39]Lire Anthea Butler, White Evangelical Racism : the politics of Morality in America, University of North Carolina Press, 2021. et du pasteur Mark Tyler[40]Pasteur de l'Église épiscopale méthodiste américaine à Philadelphie, Mark Tyler est aussi documentariste. Il a notamment contribué au documentaire PBS (minisérie) "The African Americans: Many … Continue reading. Place est donnée aux recompositions du suprémacisme blanc, insensible au mouvement Black Lives Matter (BLM), mais aussi au sionisme chrétien, dans sa version évangélique, avec ses conséquences géopolitiques sur les relations entre Israéliens et Palestiniens : les motivations spécifiquement religieuses des évangéliques américains dans leur soutien apporté aux colonies israéliennes en Cisjordanie sont éclairées à l'aune du millénarisme fondamentaliste. La trajectoire récente de Mike Pence, ancien vice-président de Donald Trump (dont il s'est fortement distancié suite aux événements du Capitole, ce que ne précise pas le documentaire) est également évoquée : ses ambitions s'inscrivent dans "les logiques de politisation qui travaillent évangélisme", souligne à juste titre le sociologue Yannick Fer (CNRS), "y compris l'évangélisme français[41]Lire Yannick Fer, Sociologie du pentecôtisme, Paris, Karthala, 2022.". L'occasion d'une courte incursion par la France, à partir de deux extraits, l'un consacré à l'invitation de la journaliste de CNews Christine Kelly dans la megachurch Martin Luther King d'Ivan Carluer, à Créteil, l'autre à l'activité d’aumônier parlementaire de Thierry Le Gall, filmé à Paris au sénat[42]Le pasteur Thierry Le Gall est l'auteur de Un avenir, une espérance. Chroniques d'une aumônerie parlementaire protestante évangélique, Paris, éditions du Cerf, 2022.. Ces deux séquences, un peu rapides, et du coup critiquées par la Fédération Protestante de France (FPF) dans son communiqué, ouvrent sur une interrogation sur les suites à donner en Europe, et dans le reste du monde, à cette offensive politique portée par des évangéliques bien décidés à faire triompher, sur la place publique, les "valeurs chrétiennes" qu'ils pensent défendre.

Pistes de réflexion pour poursuivre

Pour mieux comprendre la géopolitique des religions dans les années 2020, on ne saurait trop recommander de visionner ce très beau documentaire, enrichi par de nombreux spécialistes et étoffé par des sources exceptionnelles. On relèvera en particulier des interviews exclusifs avec des acteurs de tout premier plan de cette saga évangélique américaine, comme Robert Jeffress, Paula White, Shane Claiborne, Franklin Graham, Jerusha Duford, Frank Schaeffer, Michele Bachmann, ou Robert Schenck, parmi d'autres. Par la qualité de son commentaire, le choix millimétré de ses images et l'ampleur synthétique de l'ensemble, ce documentaire ARTE donne de précieuses clefs de lecture, accessibles à un large public. Médiathèques, centres de documentation et bibliothèques universitaires gagneront à l'acquérir, à le mettre à disposition, et à organiser des discussions après visionnage. Cela va sans dire, ces trois épisodes constituent également de précieux outils d'auto-examen pour les milieux évangéliques. Le sociologue Philippe Gonzalez l'a très bien résumé dans un entretien accordé en Suisse : "S’il y a une prise de position normative dans ce documentaire, elle consiste à dire aux évangéliques: vous êtes traversés par des tendances hégémoniques, mais avez aussi au sein de votre tradition une histoire de respect des minorités, souvent oubliée, ignorée, édulcorée… Cette tradition vaut la peine d’être redécouverte.[43]Philippe Gonzalez, «La reconfiguration de l’évangélisme américain est entamée depuis 15 ans», interview par Camille Andres, Réformés, Le Journal, online, 5 avril 2023." Même s'il est à craindre que les évangéliques qui auraient le plus besoin de ce retour critique sur leurs impensés ne sont pas celles et ceux qui regardent ARTE ou PBS... La problématique centrale du film de Thomas B. Johnson, appuyée sur une dramatisation scénaristique et sonore parfois trop appuyée -par moments, la bande son évoque un thriller médiéval- fait entrer en tension l'ambition de témoigner de "Dieu dans la cité" (filiation Williams) et le projet de bâtir une "Cité de Dieu" aux relents théonomistes (filiation Cotton)[44]Sébastien Fath, "Cité de Dieu ou Dieu dans la Cité" ? A propos de la tension Cotton-Williams, revue Espace de Libertés, n°348, décembre 2006, p.7 et 8.. Elle tient ses promesses et permet de dérouler un narratif didactique et stimulant, de nature à nourrir débats et discussions. Le documentaire a su, sauf exception, éviter les principaux écueils, notamment la caricature et l’outrance : les concepteurs du documentaire ont été sévères, mais justes ! Des images beaucoup plus choquantes auraient pu être utilisées dans le documentaire. Elles n'ont pas été retenues. Ainsi, point de Paul White invoquant les « anges d’Afrique » pour renverser le cours de l’élection en 2020, point, non plus, de Pat Robertson (Christian Coalition) pensant démontrer sur sa chaîne de télévision que ses prières ont détourné un ouragan. On nous épargne aussi les images choc de Westboro Baptist Church, petite église ultrafondamentaliste chérie de nombreux documentaires pour ses manifestations haineuses montrant des enfants hurlant des slogans homophobes, misogynes ou racistes[45]Lire Megan Phelps-Roper, Unfollow: A Memoir of Loving and Leaving the Westboro Baptist Church,‎ Farrar, Straus and Giroux, 2019..

Tout compte fait, si des évangéliques américains blancs se plaignent aujourd’hui d’être au pilori médiatique, force est de reconnaître qu’ils l’ont parfois bien cherché...[46]Aux acteurs confessionnels qui s'inquiéteraient des retombées du documentaire, rappelons avec humour qu'à l'heure de l'ultramodernité consumériste, même une mauvaise publicité, c'est tout de … Continue reading Mais pour qui veut bien décrypter attentivement le matériau didactique exceptionnel déployé au fil des trois épisodes du documentaire, on n'est pas dans ce registre de la mise à l'index, mais dans une démarche compréhensive, exigeante et salubre, qui donne largement la parole aux acteurs de cette saga évangélique américaine. Y compris à celles et ceux qui sont entrés, puis sortis d'un certain évangélisme politique droitier : en particulier Robert Schenck, Frank Schaeffer, ou Jerusha Duford. Une des grandes forces du documentaire est d'illustrer la fluidité des parcours, avec à la fois les logiques d'intensité militante, mobilisatrices, au service d'un objectif politique, mais aussi la capacité autoréflexive d'acteurs évangéliques de premier plan, engagés pendant un temps dans un certain type d'activisme chrétien, identitaire et conservateur, puis sortis de ce champ après retour d'expérience[47]Voir aussi Cal Thomas, Ed Dobson, Blinded by Might: Can the Religious Right Save America?, Zondervan, 1999.. Réjouissons-nous que cette réflexion sur les logiques d'impact de l'évangélisme, y compris au plan géopolitique, se poursuive, tant ce christianisme de conversion s'affirme, depuis ses premiers déploiements au XVIe et XVIIe siècle, comme une modalité majeure des recompositions religieuses contemporaines. A cet effet, quatre pistes de réflexion, initiées ou non par ce documentaire, nous invitent à poursuivre l'échange.

- Décentrage géographique : la première piste est, à l'évidence, la nécessaire réinscription des recherches sur l'évangélisme dans la perspective d'une histoire globale[48]Jacques Bidet, et Stéphane Haber, Histoire globale, Paris, PUF, 2012. du religieux en mouvement. Le décentrage géographique et épistémologique est à peine esquissé ici, car ce n'était pas son objet. Le cœur du sujet qui préoccupe Thomas B. Johnson et Philippe Gonzalez, ce sont les évangéliques blancs états-uniens post-1945. Ce qui, au demeurant, aurait pu inviter ARTE à titrer autrement son documentaire. Certes la "conquête du monde" est effectivement un objectif prosélyte évangélique global. Oui, les évangéliques veulent conquérir le monde, estimant répondre ainsi à un appel de Jésus-Christ, Dieu sauveur dont ils se réclament. Mais le périmètre du documentaire ARTE n'est pas vraiment la planète. Il est plutôt ciblé (et c'est déjà beaucoup) sur le rapport contemporain entre évangéliques américains blancs et politique, proposant une passionnante sociogenèse d'un nationalisme chrétien évangélique dopé au (néo)charismatisme[49]Lire André Gagné, Ces évangéliques derrière Trump : hégémonie, démonologie et fin du monde, Genève, Labor et Fides, 2020.. Le sujet ne porte donc qu'indirectement sur la planète, via le prisme des Etats-Unis, avec trois rubriques additionnelles -remarquables- consacrées à Israël, la Corée du Sud et au Brésil. Le propos du documentaire est américano-centré, s'inscrivant d'ailleurs dans une robuste filiation, mais qui paraît désormais un tantinet encalminée dans des schémas à rafraîchir. Si l'on élargit la focale, l'histoire  de l'évangélisme, portée par une historiographie aujourd'hui pléthorique[50]Il serait à cet égard utile de refaire le travail (incomplet) de pointage historiographique mondial qui avait été tenté en 2004 (avec 955 références bibliographiques relevées), dans les actes … Continue reading, est, depuis longtemps, multipolaire. Et ne se limite pas aux blancs et aux identitaires trumpistes. L'évangélisme américain représente aujourd'hui moins d'un évangélique sur sept dans le monde. De quoi inviter à s'intéresser de (beaucoup) plus près aux élaborations théologiques et ecclésiologiques venues d'Asie du Sud-Est[51]Pascal Bourdeaux, Jérémy Jammes (dir), Chrétiens évangéliques d'Asie du Sud-Est, Expériences locales d'une ferveur conquérante, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016., d'Afrique, d'Océanie ou d'Amérique latine... sans oublier l'Europe. Concernant les terrains africains, les expressions évangéliques, pentecôtistes, prophétiques et postcoloniales endogènes mériteraient à coup sûr un autre documentaire[52]D'autant qu'on dispose aujourd'hui d'une littérature scientifique abondante sur le sujet. Voir par exemple l'essai de synthèse globale dirigée par Martin Lindhardt, Pentecostalism in Africa: … Continue reading. Les imaginaires politiques qui s'y déploient, dont on commence à décrypter la grammaire depuis les travaux pionniers d'André Mary et André Corten[53]André Corten, André Mary (dir), Imaginaires politiques et Pentecôtismes, Afrique, Amérique latine, Paris, Karthala, 2001., ne sont pas un simple décalque d'une certaine droite chrétienne américaine[54]Sur la "politique des nations" portée par des Églises d'initiative africaine, voir les hypothèses développées dans Sandra Fancello, André Mary (dir), Chrétiens africains en Europe, … Continue reading. Quitte à être évoqué, l'immense terrain africain nécessite beaucoup plus d'attention, et de nuances : dans le documentaire, on ressent ainsi une certaine gêne devant les "images-prétextes" empruntées, tantôt à une megachurch du Nigeria -écorchant au passage le nom du pasteur, pourtant très connu[55]La voix off parle de Enoch "Abedoye", alors qu'il s'agit d'Enoch Adeboye, opus 1 de Thomas Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", ARTE, 2023, op. cit. (49 minutes 10 secondes). Il … Continue reading-, tantôt à une megachurch postcoloniale de région parisienne.

-Décentrage confessionnel : La seconde piste serait d'élargir la réflexion au-delà du débat interne qui travaille l'évangélisme états-unien, dans son rapport au Politique, depuis le Mayflower jusqu'à Trump. En l'état, on ne peut reprocher au documentaire ARTE son choix de privilégier une ligne de réflexion axée sur la tension intrinsèque qui tiraille le monde évangélique : Cité de Dieu, ou Dieu dans la Cité. Ce documentaire n'est pas un film CNRS, ni une commande effectuée pour un centre de recherche universitaire, à objectif strictement scientifique, mais un regard informé, engagé, assumé, stimulant, destiné à faire réfléchir sur un sujet d'intérêt général, à destination de la chaîne ARTE -et PBS ?-. La perspective choisie dans le documentaire fonctionne très bien. Elle est honnête et pertinente. Elle pose très clairement les termes d'un débat fondamental, au sein de l'évangélisme. Un match entre deux conceptions opposées du rapport à la Cité. Avec en filigrane, d'un côté du ring, un christianisme prophétique parfois néo-monastique, très hostile au mélange du politique et du religieux, défendu notamment par Shane Claiborne, fortement mis en valeur (au risque de la complaisance)... Et de l'autre côté du ring, un christianisme politisé et mobilisé pour la conquête du pouvoir, incarné notamment par la pasteure charismatique Paula White, ex-conseillère spirituelle de Donald Trump. On flirte avec un léger manichéisme façon Disney : le documentaire ne fait guère mystère sur qui doit être vu comme "bon" et "méchant"… Cette ligne a aussi l'avantage de s'insérer parfaitement dans la vision libérale, séculière, pluraliste assumée et défendue (notamment) par la chaîne ARTE qui a porté et financé ce projet. Au final, le narratif axé sur la tension inter-évangélique entre modèle Williams (Dieu dans la Cité, approche pluraliste) et modèle Cotton (Cité de Dieu, approche hégémonique) est décidément séduisant, et instructif.

Mais il n'est pas interdit de souhaiter des prolongements plus critiques à l'égard des discours évangéliques, d'un côté comme de l'autre. Certains schémas un peu caricaturaux gagneraient à être revisités et mis en perspective comparée, comme ceux qui pointent "le" mouvement évangélique[56]Verbatim : " Quelles sont les stratégies de la vague évangélique qui depuis la fin de la seconde guerre mondiale, déferle sur tous les continents ?" (à partir de quatre minutes et quarante … Continue reading -en réalité très éclaté, et non réduit aux blancs-, la puissance de mobilisation évangélique (aucun parti politique évangélique n'a pourtant pris le pouvoir dans le monde occidental), voire les tentations théocratiques, qu'il serait intéressant de comparer, dans le détail, avec la sahwa al islamiyya (réveil islamique sunnite) étudiée par Stéphane Lacroix[57]Stéphane Lacroix, Les islamistes saoudiens. Une insurrection manquée, Paris, PUF, 2010., ou des institutions effectivement théocratiques pensées et mises en place par des religieux, constitutionnalistes et juristes Chi'ites lors de la Révolution iranienne de 1979, sur lesquels Thomas B. Johnson a enquêté par ailleurs[58]Voir une partie de son documentaire "Trente ans de guerre au nom de Dieu" (2 volets de 52 minutes), PlayFilm 2011., etc. Une manière d'opérer un décentrage par rapport à la question du rapport évangélique au Politique serait d'élargir les questionnements posés à d'autres confessions chrétiennes, à commencer par le catholicisme[59]Lire en particulier, sur les Etats-Unis, Blandine Chelini-Pont, La droite catholique aux États-Unis. De la guerre froide aux années 2000, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.. Ce dernier a en effet nourri, à l'époque contemporaine, des options populistes autoritaires (franquisme en Espagne), mais aussi des options démocrates-chrétiennes (Allemagne, Italie etc.) et des offres de type Shane Claiborne (option de l'enfouissement, de la suivance du Christ auprès des oubliés, du "levain dans la pâte"). A bien des égards, la religion est politique. Comme le rappelle Jean-Paul Willaime, "les religions ne doivent pas être simplement pensées comme des associations de personnes croyant en je ne sais quelle vérité métaphysique, mais aussi comme des mouvements qui contribuent à la formation des individus, à leur responsabilisation, qui ont des effets éducatifs, des effets socialisateurs, qui permettent aux gens de s'intéresser à la chose publique[60]Jean-Paul Willaime, La guerre des dieux n'aura pas lieu, Itinéraire d'un sociologue des religions, entretiens avec E-Martin Meunier, Genève, Labor et Fides, 2019, p.342.". Jusqu'à, dans certains contextes, la mise sur la table d'une offre politique propre. Pas plus que l’islam politique, le catholicisme politique, ou le bouddhisme politique, l’évangélisme politique ne saurait être, par principe, objet de condamnation en bloc, y compris depuis un point de vue normatif acquis aux démocraties libérales. La question est plutôt : quel évangélisme politique ? Oui, il existe des variantes autoritaires et liberticides. Mais bien d’autres options sont sur la table. Alors, quelle typologie ? De nombreux chefs d’État évangéliques ont conduit, depuis 50 ans, la destinée de grandes nations, notamment les Etats-Unis (Jimmy Carter et Bill Clinton), ou le Congo RDC et l’Éthiopie (Félix Tshisekedi et Abiy Ahmed, au pouvoir actuellement en 2023). Sauf erreur, ces leaders politiques évangéliques au pouvoir n’ont pas mis en place des théocraties, ni instauré l’évangélisme comme religion d’État. Les mêmes nuances valent pour l'investissement catholique, ou musulman en politique, qui se décline en de multiples offres. Ce qui nous invite à un travail de typologie, sous peine de réductionnisme, voire de légitimation des discours de haine contre des évangéliques réduits en bloc[61]Relevons, dans le troisième volet du documentaire de Thomas B. Johnson, les propos précis, informés et pondérés (sur ce thème, ce sont les plus clairs) de Mariann Budde, évêque … Continue reading, toutes tendances confondues, à des « fous de Dieu » fanatisés[62]Ce qui peut induire, même dans des démocraties robustes, certaines dérives liberticides. Il arrive rarement que l'épouvantail évangélique/islamique global conduise des élus ou groupes de … Continue reading.

-Décentrage contextuel. La troisième piste est d'articuler la nécessaire réflexion de critique interne sur les tentations politiques et populistes évangéliques, avec une critique externe portant sur le contexte social, politique, économique du dernier demi-siècle. Loin de se résumer à un décor stable, la société états-unienne, par exemple, a muté en cinquante ans. Sans parler de la société brésilienne, évoquée aussi dans les volets 2 et 3 du documentaire. Prendre davantage en compte ces changements économiques et sociaux généraux, ainsi que la sociographie des évangéliques, ne serait pas un luxe, histoire de mettre en pratique le slogan, qui entend "réinscrire le religieux dans le social", suivant le programme judicieux prôné, par exemple, par Yannick Fer[63]Voir Anthony Favier, Yannick Fer, Juliette Galonnier, Anne Perrin-Heredia, Religions et classes sociales, Lyon, ENS Éditions, 2023.. Se pourrait-il que la sur-représentation des milieux populaires au sein de l'évangélisme brésilien soit pour quelque chose dans le sentiment de trahison ressenti, dans les années 2000, à l'égard d'un parti des travailleurs supposé protéger les plus fragiles, mais empêtré dans le scandale Petrobras, considéré comme la plus grande affaire de corruption des trente dernières années ? Avec notamment trois trésoriers successifs du Parti des Travailleurs mis en prison, et des milliards détournés au profit de l’oligarchie « progressiste » au pouvoir ? Quant aux Etats-Unis, les milieux d’affaires autour de Joe Biden, très favorables à une course aux armements façon « Shaping the World » et adeptes des interventions militaires extérieures (très peu prisées, en revanche, de Trump) sont-ils exempts du droit de regard porté par ailleurs, et à juste titre, sur les oligarques pétroliers de droite ? Sans forcément verser dans un prisme d'explication marxiste qui réduirait la religion à une superstructure secondaire, il importe de ne pas oublier que les offres spirituelles et religieuses sont non seulement structurantes, mais aussi structurées par le contexte macro-économique, social, culturel, géopolitique[64]Des paramètres explicatifs davantage présents dans un documentaire précédent de Thomas B. Johnson, "Trente ans de guerre au nom de Dieu" (2011), op. cit., qui montre que derrière la religion … Continue reading.

On ne fera pas grief au documentaire de n'avoir guère emprunté ces pistes. L'objectif était autre. On remerciera au contraire ses auteurs, par leurs interpellations fortes de l'opus 3, d'inviter à poursuivre et élargir par un décentrage contextuel qui intègre davantage le social et l'économique. On renverra notamment aux analyses de Robert Putnam, aux Etats-Unis, sur la crise des sociabilités communautaires[65]Cf. Robert Putnam, Bowling Alone, ibid., ou à celles du géographe français Christophe Guilluy, qui interpellait ainsi ses lecteurs dans l'essai No Society (qui parle aussi de l'Amérique de Trump) : "Enfermée dans une posture de supériorité morale, la classe dominante a balayé d'un revers de la main tout diagnostic du monde d'en bas. (...) elle s'en est remise à l'expertise d'un monde médiatico-universitaire (le plus souvent) issu du monde d'en haut et (toujours) porté par un profond mépris de classe. Ces experts autoproclamés et chercheurs acquis au modèle dominant ont construit des représentations caricaturales des milieux populaires[66]Christophe Guilluy, No Society, Paris, Flammarion, 2018, p.149. ". On observe, d'un côté, des dominants, qui ont tiré profit de la mondialisation, volontairement replié dans le cocon high tech des grandes métropoles. De l’autre, la classe moyenne blanche, héritière de l'ère (largement révolue) du capitalisme industriel, appauvrie et désenchantée. Ces catégories populaires, cible privilégiée des répertoires populistes, sont de plus en plus reléguée dans des espaces ruraux et péri-urbains où le religieux (vécu ou consommé via internet) fait office de refuge identitaire. De nombreux travaux nous rappellent assez régulièrement[67]D'après une étude du Pew Research Center, 34% des évangéliques vivaient en 2008, aux Etats-Unis, avec moins de 30.000 dollars par an, contre 25% pour les protestants mainline. Cf. étude " Income … Continue reading que le revenu moyen des évangéliques blancs est inférieur à celui des protestants des (dites) mainline churches (anciennes Églises établies, presbytériens, épiscopaliens...). Comment raisonne et vit la petite classe moyenne évangélique qui navigue entre sentiment d'insécurité, prêts d'étude exorbitants pour les enfants, et tsunami de crédits à la consommation ? Y compris ces électrices et électeurs dont la candidate démocrate Hillary Clinton, multimillionnaire, s'était moquée publiquement, le 9 septembre 2016, en les taxant de "panier de déplorables", homophobes, xénophobes et irrécupérables...[68]Hillary Clinton, "You could put half of Trump's supporters into what I call the basket of deplorables", discours tenu à New York le 9 septembre 2016.  Sans doute parce qu'il a été tourné en pleine pandémie, ne permettant pas un accès normal aux sociabilités ordinaires des communautés croyantes, ce documentaire de Thomas B. Johnson ne permet guère d'en avoir une idée. Contraints par le contexte, les concepteurs du documentaire ont principalement interviewé des personnalités de rang élevé dans la société (pasteurs de megachurches, responsables d'œuvres et de grands réseaux).

-Décentrage historique. Enfin, ce magnifique documentaire invite à poursuivre la réflexion par un franc recours à l'histoire. Si le regard historien a bien été mobilisé au fil de plusieurs interviews, au long des trois épisodes, la mise en forme des matériaux du dossier n'a pas vraiment été traitée sous cet angle, en dépit d'un effort d'inscrire la réflexion dans un minimum de diachronie. Au risque de quelques erreurs historiques, rarement gênantes. La plus saillante réside peut-être dans l'interprétation donnée des contenus et du contexte de la Déclaration de Lausanne en 1974, qui mobilise les évangéliques pour la mission. L'opus 1 du documentaire indique que "les idées des fondamentalistes et des conservateurs finissent par l'emporter sur les débats plus progressistes; leur objectif, évangéliser le monde, et sauver la civilisation judéochrétienne. La déclaration de Lausanne, signée à l'issue de la conférence, en témoigne[69]Verbatim. Commentaire de la voix off, tenu à partir de la 41ème minute (et 24 secondes) dans l'opus 1 de Thomas B. Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", op. cit.". L'interprétation ne fait pas justice, ici, au fait que la déclaration de Lausanne ne mentionne nulle part "la civilisation judéochrétienne"[70]Il est facile de le vérifier en consultant ce document, traduit en plusieurs langues, dont le français. Le texte est consultable à l'adresse : … Continue reading. Le documentaire oblitère aussi que l'événement de Lausanne a ouvert les fenêtres sur les évangélismes des Suds à tel point que les évangéliques conservateurs américains (y compris Billy Graham lui-même) se sont largement détournés par la suite du Mouvement de Lausanne. Ce dernier était jugé bien trop peu américain et beaucoup trop intéressé par l'action sociale et l’ouverture vers le Postcolonial. D'autres observations, sans être fausses, se prêtent facilement aux erreurs d'interprétation sans le recours à l'histoire. Ainsi, les allusions limpides faites à l'enrichissement des pasteurs africains du Nigéria, à la fin du même épisode, auraient gagné à être mises en perspective historique. Ce qui n'interdit pas la critique, mais la rend plus précise, plus fine et plus audible. Dans un contexte sociohistorique où il n'y a pas d'État providence, des chefs religieux fédérateurs peuvent parfois tendre à développer une richesse considérable, à l'image des opulents évêques catholiques français blancs sous l'Ancien Régime[71]Le somptueux Palais Rohan, en face de la cathédrale de Strasbourg, en témoigne, parmi bien d'autres exemples. Il s'agissait de la résidence épiscopale. Dans ce cas précis, le richissime évêque … Continue reading, sans que cela choque obligatoirement tout le monde. Car ces mêmes figures religieuses étaient socialement tenues de redistribuer et financer, à partir de leur capital, de multiples œuvres sociales. Bien ? Pas bien ? On a le droit de maintenir un jugement normatif, mais au moins, ce dernier s'appuiera sur une mise en contexte historique qui évite la caricature et le jugement "hors sol", et "hors chronologie".

Le regard historique permet aussi, face aux reconfigurations géopolitiques multipolaires des évangéliques, d'éviter l'écueil d'une forme de finalisme, ou de téléologie. Quand on entend, dans l'opus 1, que Billy Graham refuse "l'inéluctable transformation du mouvement religieux en arme politique[72]Verbatim. Commentaire de la voix off, tenu à partir de la 50ème minute (et quarante secondes) dans l'opus 1 de Thomas B. Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", op. cit.", on s'étonne. Car le fait que cette évolution se soit produite pour la majorité des évangéliques blancs américains ne signifie pas qu'elle était "inéluctable". Par exemple, un retour historique sur l'histoire longue de l'évangélisme aurait permis de rappeler qu'il n'existe pas de tradition d'Église nationale dans l'évangélisme (et encore moins de religion d'État évangélique), au contraire de ce que nous apprend l'histoire du protestantisme réformé, ou du protestantisme luthérien. L'évolution récente, contextualisée à un terrain états-unien très spécifique, n'est donc en rien écrite d'avance, ni "inéluctable". Elle apparaît même plutôt étrange, atypique et assez singulière, au regard de l'histoire des évangélismes. Et cette évolution ne suit pas non plus une trajectoire linéaire -en gros, de l'enfouissement à la conquête-. Le recul de l'histoire esquisse plutôt ce qui ressemble à une trajectoire cyclique, alternant phases d'intense investissement chrétien de l'espace public, et phases de focalisation sur la crédibilisation d'offres religieuses locales[73]La droite chrétienne, qui n'est qu'une composante, certes forte, de l'engagement politique évangélique blanc américain, connaît ce type de cycle. Aux Etats-Unis, avant la New Christian Right qui … Continue reading.

Conclusion

Pour conclure, rappelons ce mot fameux d'Alfred Loisy : "Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est arrivée[74]Alfred Loisy, L'Evangile et l'Eglise, Paris, ed. Picard, 1902, p. 111.". Quel sens donner au Royaume tant enseigné dans les Evangiles ? La richesse même des pistes de réflexion ouvertes par le documentaire de Thomas B. Johnson et Philippe Gonzalez nous donne énormément de matière à penser. Avec ce film proposé sur ARTE, en ce mois d'avril 2023, nous tenons le documentaire le plus abouti, à ce jour, sur l'histoire des relations entre évangélisme américain et politique à l'époque contemporaine. Un outil pédagogique indispensable pour l'intelligence des mutations nationalistes et religieuses contemporaines. Merci à ses auteurs, et bon visionnage à celles et ceux qui ne l'ont pas encore découvert !

 

 

 

Notes

Notes
1 Thomas B. Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", Artline Films / Arte, France (Pour ARTE), 2023 (documentaire en trois parties de 159 minutes).
2 Cf. le dossier thématique de la revue Hérodote, Paris, ed. La Découverte, conduit par le géographe Yves Lacoste, "Les évangéliques à l'assaut du monde", n°119, 2005/4 (192p).
3 Cf. Philippe Portier, Alain Diekhoff (dir.), L’enjeu mondial, religion et politique, Paris, Presses de SciencesPo, 2017.
4 Rachel Grady et Heidi Ewing, "Jesus Camp", Magnolia Pictures, 2006 (documentaire de 86 minutes), Oscar 2007 du meilleur film documentaire.
5 Martin Meissonnier (avec Roger Trilling), "A la droite de Dieu", Canal +/SBTV/Campagne PremièreProd, 2004 (documentaire de 55 minutes).
6 Abraham Segal, "La politique et Dieu", France 2, 2007 (documentaire de 86 minutes).
7 Daniel Lainé, « Les évangéliques américains à la conquête du Monde", film documentaire diffusé sur M6 en 2006 (documentaire de 54 minutes).
8 Antoine Cormery, émission Reporters, "Etats-Unis, les évangéliques, au coeur du système Trump", France 24, 2019 (reportage de 17 minutes)
9 Florence Fernex et Françoise Weilhammer "Les évangéliques à la conquête du pouvoir", Temps Présent, film Radio Télévision Suisse (RTS), 2019 (documentaire de 54 minutes).
10 Sarah Fournier, "God bless America : le pouvoir de la religion aux États-Unis", Ligne de Front / M6, 2019 (documentaire de 52 minutes).
11 Sarah Colt, Jawad Metni, "Billy Graham. Prayer, Politics, Power", PBS, 2021 (documentaire de 120 minutes).
12 Lire Robert Putnam, Bowling Alone, The Collapse and Revival of American Community, New York, Simon and Schuster, 2000.
13 Nadia Marzouki, D. MCDonnell et Olivier Roy, Saving the People ? How Populists Hijack Religion, Hurst / Oxford University Press, 2016.
14 John Fea, Believe Me, The Evangelical Road to Donald Trump, Eerdmans, 2018.
15 Philippe Gonzalez est en particulier l'auteur de Que ton règne vienne, Des évangéliques tentés par le pouvoir absolu, Genève, Labor et Fides, 2014.
16 Communiqué de presse " Suite aux documentaires "Les évangéliques à la conquête du monde" sur ARTE", rendu public par la Fédération Protestante de France le 30 mars 2023.
17 Un essor et des recompositions qui demanderaient une mise à jour de Sébastien Fath, Du ghetto au réseau. Les protestants évangéliques en France, 1800-2005, Genève, Labor et Fides, 2005.
18 Enquête INSEE conduite par Lucas Drouhot (Utrecht University), Patrick Simon (Ined et ICM), Vincent Tiberj (Sciences Po Bordeaux), " La diversité religieuse en France : transmissions intergénérationnelles et pratiques selon les origines" (PDF online depuis le 30 mars 3023 sur le site https://www.insee.fr/fr/).
19 Le danger de raccourci existe, et pose problème car les terrains, les histoires, les positionnements politiques sont différents. En revanche, on ne peut nier qu'il existe depuis longtemps, à certains niveaux, des phénomènes de circulation et de porosité entre les axes militants de l'évangélisme blanc états-unien, y compris en matière de nationalisme identitaire, et le terrain évangélique européen.
20 Alice Cohen, Serge Moati, "Les nouvelles Églises évangéliques", France 5, 2013 (documentaire de 52 minutes).
21 Ilioné Schulz, Fanny Bouteiller, Laurent Vaury, "Évangéliques, les nouveaux missionnaires", France 3, 2013 (documentaire de 29 minutes).
22 Marjolaine Dorne et Alexis Orand, "Les nouveaux bâtisseurs d'Église, quand l'Afrique réévangélise l'Europe", France 2/ Bout-à-bout Prod., 2012 (documentaire de 29 minutes).
23 Bernadette Sauvaget et François Stuck "Protestants aujourd'hui, une famille recomposée", France 2, 2012 (documentaire de soixante-seize minutes, en trois parties).
24 Sébastien Fath et Jean-Paul Willaime (dir.), La nouvelle France protestante, essor et recomposition au XXIe siècle, Genève, Labor et Fides, 2011.
25 Valérie Manns, "Protestants de France", CPB Films, 2015, documentaire de deux fois 52 minutes (voir surtout le 2e volet pour découvrir l'évangélisme français)
26 "La poussée des Églises évangéliques", M6, 30 octobre 2017 (reportage de 6 minutes 20").
27 James Vasina, Yong Chim et Gaëlle Essoo, " L'étonnante croissance des églises évangéliques en France", France 24 online, 19 mars 2018 (reportage de 6 minutes 15").
28 Cyril Vauzelle, "L'évangélisme en France, la folle ascension", LF Productions, 2021  (documentaire de 52 minutes).
29 Audrey Lasbleiz, "Billy Graham, le pasteur de l'Amérique", France Télévisions, 2020 (documentaire, en deux parties, de deux fois 30 minutes).
30 Thomas Johnson (né en 1955) est un réalisateur français plusieurs fois primé, et particulièrement prolifique. Sa filmographie comporte plus de cinquante titres.
31 Cf. Barry Hankins, Francis Schaeffer and the Shaping of Evangelical America, Grand Rapids, Eerdmans, 2009.
32 Volet 1, "La grande croisade", Thomas B. Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", op. cit. (phrase prononcée à partir de la 3e minute).
33 Dixit Philippe Gonzalez, opus 1 de Thomas Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", ARTE, 2023, op. cit. (propos tenus à environ 13 minutes et 20 secondes du début).
34 Darren Dochuk, Anointed with Oil, How Christianity and Crude made Modern America, New York, Basic Books, 2019.
35 Sarah Colt, Jawad Metni, "Billy Graham. Prayer, Politics, Power" (2021), op. cit.
36 Le refus constant de Graham de rejoindre la droite religieuse aurait pu, dans le documentaire, laisser davantage place à d'autres architectes de la structuration évangélique entre les années 1980 et les années 2020 (Bill Hybels, Rick Warren et bien d'autres). Son rôle paraît quelque peu surestimé dans l'essor de la droite chrétienne. La voix off souligne (à 2'45" du début de l'opus 2) : « C’est le mouvement chrétien dont il est l’architecte qui permet à Ronald Reagan, puis un demi-siècle plus tard, à Donald Trump, d’installer des leaders évangéliques à la Maison Blanche ». La formulation est excessive. Graham est loin d'être le seul architecte de l'évangélisme, ce dernier n'est pas un "mouvement" homogène, et la droite chrétienne doit surtout à Jerry Falwell (Majorité morale) et Pat Robertson (Christian Coalition). Voir notamment Daniel K. Williams, God's Own Party: The Making of the Christian Right, Oxford University Press, 2010; Mokhtar Ben Barka, La nouvelle droite américaine : des origines à nos jours, Presses Universitaires de Valenciennes, 1996.
37 Lire Randall Balmer, Bad Faith: Race and the Rise of the Religious Right, Grand Rapids, Eerdmans, 2021.
38 Randall Balmer, opus 2 de Thomas Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", ARTE, 2023, op. cit., "Les évangéliques au pouvoir", intervention à partir de 23 minutes et 7 secondes.
39 Lire Anthea Butler, White Evangelical Racism : the politics of Morality in America, University of North Carolina Press, 2021.
40 Pasteur de l'Église épiscopale méthodiste américaine à Philadelphie, Mark Tyler est aussi documentariste. Il a notamment contribué au documentaire PBS (minisérie) "The African Americans: Many Rivers to Cross" (2014).
41 Lire Yannick Fer, Sociologie du pentecôtisme, Paris, Karthala, 2022.
42 Le pasteur Thierry Le Gall est l'auteur de Un avenir, une espérance. Chroniques d'une aumônerie parlementaire protestante évangélique, Paris, éditions du Cerf, 2022.
43 Philippe Gonzalez, «La reconfiguration de l’évangélisme américain est entamée depuis 15 ans», interview par Camille Andres, Réformés, Le Journal, online, 5 avril 2023.
44 Sébastien Fath, "Cité de Dieu ou Dieu dans la Cité" ? A propos de la tension Cotton-Williams, revue Espace de Libertés, n°348, décembre 2006, p.7 et 8.
45 Lire Megan Phelps-Roper, Unfollow: A Memoir of Loving and Leaving the Westboro Baptist Church,‎ Farrar, Straus and Giroux, 2019.
46 Aux acteurs confessionnels qui s'inquiéteraient des retombées du documentaire, rappelons avec humour qu'à l'heure de l'ultramodernité consumériste, même une mauvaise publicité, c'est tout de même une publicité bonne à prendre, comme l'énonçait déjà, en 1987, un certain.... Donald Trump : « Ce qui est très amusant, c’est que même un article critique, blessant, peut être très profitable pour vos affaires. » En anglais : "The funny thing is that even a critical story, which may be hurtful personally, can be very valuable to your business" (chapitre 2, Trump Cards, The Elements of the deal, extrait de The art of the deal, l'art de la négociation, Random House, 1987 pour la 1ère ed.).
47 Voir aussi Cal Thomas, Ed Dobson, Blinded by Might: Can the Religious Right Save America?, Zondervan, 1999.
48 Jacques Bidet, et Stéphane Haber, Histoire globale, Paris, PUF, 2012.
49 Lire André Gagné, Ces évangéliques derrière Trump : hégémonie, démonologie et fin du monde, Genève, Labor et Fides, 2020.
50 Il serait à cet égard utile de refaire le travail (incomplet) de pointage historiographique mondial qui avait été tenté en 2004 (avec 955 références bibliographiques relevées), dans les actes d'un colloque international EPHE en Sorbonne tenu en 2002. Cf. Sébastien Fath, Le protestantisme évangélique, un christianisme de conversion, Turnhout, Brépols, 2004.
51 Pascal Bourdeaux, Jérémy Jammes (dir), Chrétiens évangéliques d'Asie du Sud-Est, Expériences locales d'une ferveur conquérante, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016.
52 D'autant qu'on dispose aujourd'hui d'une littérature scientifique abondante sur le sujet. Voir par exemple l'essai de synthèse globale dirigée par Martin Lindhardt, Pentecostalism in Africa: Presence and Impact of Pneumatic Christianity in Postcolonial Societies, Brill, Leiden, 2014, et les nombreux ouvrages, en langue française, de Sophie Bava, Guibléhon Bony, Bernard Coyault, Jean-Pierre Dozon, Sandra Fancello, Anne Hugon, Sébastien Kalombo, Pierre-Joseph Laurent, André Mary, Marie Miran, Gaston Mwene-Batende, Aurélien Mokoko-Gampiot, Françoise Raison Jourde, Joseph Tonda et beaucoup d'autres.
53 André Corten, André Mary (dir), Imaginaires politiques et Pentecôtismes, Afrique, Amérique latine, Paris, Karthala, 2001.
54 Sur la "politique des nations" portée par des Églises d'initiative africaine, voir les hypothèses développées dans Sandra Fancello, André Mary (dir), Chrétiens africains en Europe, Prophétisme, pentecôtisme et politique des nations, Paris, Karthala, coll. « Religions contemporaines », 2010.
55 La voix off parle de Enoch "Abedoye", alors qu'il s'agit d'Enoch Adeboye, opus 1 de Thomas Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", ARTE, 2023, op. cit. (49 minutes 10 secondes). Il serait souhaitable que cette petite erreur d'inversion syllabique soit corrigée dans une édition ultérieure du documentaire.
56 Verbatim : " Quelles sont les stratégies de la vague évangélique qui depuis la fin de la seconde guerre mondiale, déferle sur tous les continents ?" (à partir de quatre minutes et quarante secondes, dans le premier volet). La vague ? Et "déferlante" ?
57 Stéphane Lacroix, Les islamistes saoudiens. Une insurrection manquée, Paris, PUF, 2010.
58 Voir une partie de son documentaire "Trente ans de guerre au nom de Dieu" (2 volets de 52 minutes), PlayFilm 2011.
59 Lire en particulier, sur les Etats-Unis, Blandine Chelini-Pont, La droite catholique aux États-Unis. De la guerre froide aux années 2000, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
60 Jean-Paul Willaime, La guerre des dieux n'aura pas lieu, Itinéraire d'un sociologue des religions, entretiens avec E-Martin Meunier, Genève, Labor et Fides, 2019, p.342.
61 Relevons, dans le troisième volet du documentaire de Thomas B. Johnson, les propos précis, informés et pondérés (sur ce thème, ce sont les plus clairs) de Mariann Budde, évêque épiscopalienne des Etats-Unis, Washington DC, qui rappelle que la droite chrétienne, "c'est une expression très particulière de l'évangélisme, ce n'est pas tout l'évangélisme" (à 29 minutes 42"). Elle énumère ensuite d'autres tendances.
62 Ce qui peut induire, même dans des démocraties robustes, certaines dérives liberticides. Il arrive rarement que l'épouvantail évangélique/islamique global conduise des élus ou groupes de pression locaux, inquiets,  à freiner, par exemple, l'obtention de permis de construire ou gêner l'exercice du culte, comme à Montreuil en 2006 (affaire Brard dans le cas évangélique). Mais certains cas de ce type ont été relevés. Lire notamment Émile Poulat et Dominique Kounkou (dir), Les discriminations religieuses en France, Paris, L'Harmattan, 2004.
63 Voir Anthony Favier, Yannick Fer, Juliette Galonnier, Anne Perrin-Heredia, Religions et classes sociales, Lyon, ENS Éditions, 2023.
64 Des paramètres explicatifs davantage présents dans un documentaire précédent de Thomas B. Johnson, "Trente ans de guerre au nom de Dieu" (2011), op. cit., qui montre que derrière la religion comme "usual suspect", les conflits contemporains évoqués sont en réalité motivés aussi (et même principalement) par bien d'autres éléments.
65 Cf. Robert Putnam, Bowling Alone, ibid.
66 Christophe Guilluy, No Society, Paris, Flammarion, 2018, p.149.
67 D'après une étude du Pew Research Center, 34% des évangéliques vivaient en 2008, aux Etats-Unis, avec moins de 30.000 dollars par an, contre 25% pour les protestants mainline. Cf. étude " Income Distribution Within U.S. Religious Groups", online depuis le 30 janvier 2009 sur le portail du Pew Forum.
68 Hillary Clinton, "You could put half of Trump's supporters into what I call the basket of deplorables", discours tenu à New York le 9 septembre 2016.
69 Verbatim. Commentaire de la voix off, tenu à partir de la 41ème minute (et 24 secondes) dans l'opus 1 de Thomas B. Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", op. cit.
70 Il est facile de le vérifier en consultant ce document, traduit en plusieurs langues, dont le français. Le texte est consultable à l'adresse : https://lausanne.org/fr/mediatheque/covenant/la-declaration-de-lausanne
71 Le somptueux Palais Rohan, en face de la cathédrale de Strasbourg, en témoigne, parmi bien d'autres exemples. Il s'agissait de la résidence épiscopale. Dans ce cas précis, le richissime évêque bâtisseur Armand Gaston de Rohan ne redistribua pas suffisamment, son successeur s'attirant les foudres des révolutionnaires.
72 Verbatim. Commentaire de la voix off, tenu à partir de la 50ème minute (et quarante secondes) dans l'opus 1 de Thomas B. Johnson, "Les évangéliques à la conquête du monde", op. cit.
73 La droite chrétienne, qui n'est qu'une composante, certes forte, de l'engagement politique évangélique blanc américain, connaît ce type de cycle. Aux Etats-Unis, avant la New Christian Right qui s'affirme à la fin des années 1970, une Old Christian Right s'était ainsi déjà signalée au début du XXe siècle, notamment pour militer en faveur de la prohibition : voir notamment Leo Ribuffo, The Old Christian Right, The Protestant Far Right from the Depression to the Cold War, Temple University Press, 1983. Au XIXe siècle, on repère aussi des phases de très fort investissement évangélique dans la politique états-unienne : lire Richard Carwardine, Evangelicals and Politics in Antebellum America, University of Tennessee Press, 1997.
74 Alfred Loisy, L'Evangile et l'Eglise, Paris, ed. Picard, 1902, p. 111.
Pour citer ce document :
Sébastien Fath, "Nationalisme chrétien évangélique états-unien – Un documentaire ARTE de Thomas B. Johnson et Philippe Gonzalez qui fait date". Focus de l'Observatoire international du religieux [en ligne], avril 2023. https://obsreligion.cnrs.fr/focus/nationalisme-chretien-evangelique-etats-unien-un-documentaire-arte-de-thomas-b-johnson-et-philippe-gonzalez-qui-fait-date/
Auteur.e.s

Sébastien Fath, historien au CNRS/GSRL

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