Note N°10

décembre 2021

La laïcité à la nigérienne

Jean-Pierre Olivier de Sardan

Note : Une version beaucoup plus développée et mise à jour des principaux éléments de ce texte paraitra dans les Cahiers d'Etudes Africaines n°255. 

Préambule

Trois constats préalables s’imposent : (a) le Niger est constitutionnellement un État laïque ; (b) la très grande majorité de la population est musulmane (95 % environ) ; (c) aujourd’hui, la vision fondamentaliste de l’islam (ou salafiste : nous utiliserons les deux termes de façon équivalente), qui récuse la laïcité en son principe et qui la subit à contre-cœur, « grignote » le caractère laïque de l’État, et le menace sans doute à terme.

C‘est cette tension entre fondamentalisme et laïcité que nous décrirons plus particulièrement dans cette note, dans la mesure où le fondamentalisme est devenu dominant dans la vie sociale et qu’il est de plus en plus présent dans la vie publique, sans toutefois investir directement l’arène politique[1]L’auteur de cette note est un des fondateurs du LASDEL, laboratoire nigérien de science sociale assez largement reconnu, et s’appuie sur son expérience personnelle et ses travaux au Niger … Continue reading.

Poser le problème de la laïcité au Niger, c’est en fait poser le problème de la mesure dans laquelle l’Islam, religion ultradominante, tolère ou non un État non religieux, et des pratiques non religieuses ou relevant d’autres religions. Certes l’État est « laïque », mais le Niger n’est pas dans une situation où la laïcité « à la française » ferait sens.  Pour la quasi-totalité de la population, la laïcité « à la française » (avec par exemple l’interdiction pour les fonctionnaires de porter des symboles religieux ostensibles, ou la reconnaissance du droit au blasphème) est incompréhensible et inacceptable. La question ne se pose même pas. La laïcité « à la nigérienne » repose quant à elle sur une signification « douce » du mot « laïcité », centrée sur la tolérance et sur une autonomie de la sphère étatique, dans un contexte islamisé. Selon l’expression d’Abdoulaye Sounaye, au Niger un « sécularisme doux », ou « ambigu » a remplacé le « sécularisme radical » de l’ancien colonisateur[2]A. Sounaye, « Ambiguous secularism. Islam, laïcité and the State in Niger », Civilisations. Revue internationale d’anthropologie et de sciences humaines, 58 (2), 2009, pp. 41-58.. Autrement dit, défendre la laïcité au Niger, c’est défendre la capacité de l’Islam nigérien à être tolérant avec ce qui se distingue de lui, y compris l’État[3]On pourrait dire que, dans le continuum sur lequel on pourrait placer les diverses significations de la laïcité, la laïcité à la française serait à une extrémité, la laïcité à … Continue reading. Or l’Islam salafiste menace justement cette tolérance car il se caractérise par son intolérance (certes à des degrés divers) envers tout ce qui ne se place pas sous la bannière directe de l’Islam (ou plus précisément de sa propre vision particulière de l’Islam), et par l’affirmation d’un droit de regard (et de veto) de l’Islam sur les règles du jeu étatique, lesquelles au minimum ne doivent pas contredire les normes du Coran et de la Sunna, et au maximum doivent s’y conformer[4]Sur les rapports entre État et Islam en Afrique sub-saharienne, il existe désormais une très abondante littérature scientifique. On peut se référer entre autres à M. Gomez-Perez (ed), … Continue reading.

« Allah est notre Dieu, Mahomet est son prophète ». Cette phrase, reproduite sur un grand panneau particulièrement visible dans l’une des principales avenues de Niamey, près de l’hôpital national et à proximité de la Présidence et des Ministères, frappera inévitablement le visiteur. Celui-ci sera tenté d’y voir une influence du fondamentalisme largement répandu désormais au Niger, ou le signe que l’État laïque officiel est désormais supplanté par un État musulman officieux. Bien que ces constats ne soient pas faux, ils n’expliquent en rien la présence de ce panneau. En effet, celui-ci fut mis en place sous la dictature militaire du général Seyni Kountché (1974-1987), lui-même musulman non fondamentaliste proche par certains côtés de religions animistes traditionnelles, et sourcilleux défenseur d’un État laïque.

La complexité de l’Islam nigérien, de ses rapports avec le pouvoir, et de ce que peut signifier « laïcité au Niger » se cache donc derrière ce panneau. Seule une démarche historique peut en rendre compte : ce sera notre première partie. La seconde partie sera consacrée à l’état actuel de la présence fondamentaliste dans la sphère sociale, la sphère publique et la sphère politique : en effet c’est à ces trois niveaux que se joue la laïcité au Niger, c’est-à-dire la coexistence pacifique ou conflictuelle de l’Islam avec d’autres croyances et d’autres pratiques.

Mise en perspective historique

Le Niger avant l’indépendance

Rappelons simplement que, avant la colonisation, les espaces de ce qui deviendra plus tard le Niger avaient été exposés directement ou indirectement à deux vagues d’islamisation : une islamisation médiévale limitée sans doute aux sphères dirigeantes, et une islamisation plus intensive au 19ème siècle, véhiculée en partie par les jihads peules du Macina (actuel Mali)[5]B. Sanankoua, Un empire Peul au XIXe siècle. La Diina du Maasina, Paris, Karthala, 1990., restées lointaines, et surtout de Sokoto (actuel Nigéria), au Sud, dont l’influence a été directe et importante, sans oublier à l’Est le rôle du Bornou où prévalait depuis longtemps un Islam érudit. Néanmoins une partie importante des populations concernées était restée animiste (désignées en hausa par le terme azna ou anna)[6]G. Nicolas, Dynamique sociale et appréhension du monde au sein d'une société hausa, Paris, Institut d'Ethnologie, 1975..

La colonisation a coïncidé avec une troisième islamisation, dans la foulée de la seconde, favorisée par la « paix coloniale » (fin des guerres locales et donc liberté de déplacement), moins visible et en tâche d’huile, mais devenue quasi-totale[7]J.-P. Olivier de Sardan, Les sociétés songhay-zarma. Chefs, esclaves, guerriers, paysans..., Paris, Karthala, 1984 ; R. Idrissa, « Les trajectoires du salafisme politique au Sahel. Le cas du … Continue reading, souvent du fait de « marabouts » (prêcheurs et érudits coraniques) itinérants, le plus souvent peuls ou touaregs. Les administrateurs français ont d’ailleurs au début du siècle ciblé les marabouts comme étant les principaux dangers potentiels[8]J.-P. Olivier de Sardan, op. cit.. Les colonisateurs, appelés dans les langues locales annisaara (Nazaréens, c’est-à-dire chrétiens ; le terme est encore couramment employé aujourd’hui pour désigner les Européens, ou les « Blancs ») ont, bien malgré eux, permis que l’ensemble des populations soumises à la domination coloniale se rassemble sous la bannière de l’Islam, qui est apparu dès lors comme une religion partagée, locale, unifiant les différents groupes, face à des conquérants étrangers païens. La principale révolte anticoloniale qu’a connue le Niger, menée par Kaocen dans la région d’Agadès dans les années 1910, a d’ailleurs eu une forte connotation religieuse[9]A. Salifou, Kaoussan ou la révolte sénoussiste, Niamey, CNRSH, 1973 ; J. Krause, “Islam and Anti-Colonial Rebellions in North and West Africa, 1914–1918”, The Historical Journal, 64(3), … Continue reading.

Cet islam était néanmoins un islam essentiellement confrérique (et donc soufi), autour de la Quadriya d’un côté et de la Tidjania de l’autre, en général tolérant, et qui a fini par coexister pacifiquement avec la colonisation à partir des années 1930[10]M. Zakari, L'islam dans l'espace nigérien: tome 1: Des origines (VIIe siècle) à 1960, Paris, L’Harmattan, 2009..

Le Niger aux débuts de l’indépendance

L’élite locale qui a hérité du pays avec l’indépendance était certes islamisée, mais aussi « moderniste » (cf. le rôle politique des syndicalistes et des fonctionnaires – enseignants, personnels de santé, cadres administratifs – qui avaient lutté pour l’indépendance et qui étaient nombreux parmi les cadres et dirigeants du parti unique PPN-RDA)[11]R. Idrissa, « Modèle islamique et modèle occidental : le conflit des élites au Niger », dans M. Gomez-Perez (ed), op. cit., pp. 347-372.. L’État-nation à construire, orienté vers la promotion du « développement », se situait à divers égards dans le prolongement de l’État colonial tel qu’il se présentait après l’abolition de l’indigénat, la mise en place d’élections, et surtout la loi-cadre Deferre. La laïcité a donc été inscrite dans la constitution sans qu’il y ait d’opposition, ni même de débat, tant cela allait en quelque sorte de soi, tant les institutions étaient inspirées de celles de l’ancienne métropole (comme les programmes scolaires par exemple, ou le corpus juridique). Dans les organigrammes comme dans les textes officiels de la nouvelle République du Niger, l’Islam n’était pas mentionné, et il n’avait aucune prééminence formelle sur les autres religions, même si les musulmans représentaient plus de 90% de la population.

L’islam confrérique en place (parfois appelé « islam noir »[12]C. Monteil, L’Islam noir. Paris, Éditions du Seuil, 1964.) a alors poursuivi sa cohabitation paisible avec le nouvel État indépendant. Il a aussi continué à coexister pacifiquement avec les pratiques animistes traditionnelles (cultes de possession[13]J. Rouch, La religion et la magie songhay, Paris, P. U. F., 1960 ; N. Echard, « Bori. Aspects d'un culte hausa dans l'Ader et le Kurfey (Niger) », Paris, EHESS, 1989., divination, « médicaments » et charmes magico-religieux, etc.). En quelque sorte, la laïcité de droit recouvrait une tolérance réelle envers des logiques politiques étatiques modernistes d’une part et des logiques religieuses extérieures à l’Islam d’autre part (précoloniales, syncrétiques ou parfois chrétiennes).

Le régime militaire

Le coup d’État militaire de 1973 a eu des effets paradoxaux. D’un côté le général Seyni Kountché, outre l’établissement d’un régime dictatorial (qui succédait à un régime de parti unique lui aussi non démocratique et répressif), a affirmé la prééminence de l’État et exigé une rigueur inédite dans le fonctionnement de l’administration, toujours dans une perspective conjuguant service public et laïcité. Le texte de la charte nationale adoptée en 1987 dans le cadre de la fondation de la « société de développement » voulue par Kountché a d’ailleurs réaffirmé la laïcité du Niger.

Mais cette laïcité, respectée dans le fonctionnement quotidien de l’État (personne par exemple ne quittait son service à l’heure de la prière) s’est en fait combinée avec un mélange complexe de reconnaissance de l’importance de l’Islam dans la vie sociale et de contrôle de l’Islam par l’État. Kountché ayant dissout le parti unique (et interdit tout parti), son régime s’est appuyé sur des organisations plus ou moins de masse, souvent néo-traditionnelles, comme les associations de jeunes (samaria) ou l’association des femmes du Niger, mais aussi l’association islamique (AIN), et, à travers elle, les clercs musulmans dans tout le pays. Ces trois organisations qui avaient un statut officiel et monopolistique, restaient étroitement contrôlées par le pouvoir. L’AIN représentait l’Islam sur la scène publique mais elle était placée sous tutelle de l’État et relevait en quelque sorte de ce que Rahmane Idrisssa a appelé un « islam d’État »[14]R. Idrissa, « Les trajectoires du salafisme politique au Sahel. Le cas du Niger », op. cit. ; A. Sounaye, “Instrumentalizing the Qur’an in Niger’s public life”, Journal for Islamic … Continue reading.

Démocratie et fondamentalisme

C’est la conférence nationale de 1991 qui a marqué l’avènement de la démocratie (multipartisme, élections ouvertes, liberté d’expression). La séparation de la religion et de l’État a été à cette occasion de nouveau réaffirmée, et inscrite dans la constitution malgré l’opposition de certains leaders religieux[15]Ibid. ; R. Idrissa, « Les trajectoires du salafisme politique au Sahel. Le cas du Niger », op. cit.. La liberté d’association a aussi fait perdre à l’AIN son monopole de représentation de l’Islam, et enclenché un processus de segmentation et de fragmentation de l’Islam nigérien qui s’est développé jusqu’à nos jours (et qui a d’ailleurs favorisé l’implantation d’associations salafistes)[16]A. Sounaye, « Ambiguous secularism. Islam, laicité and the State in Niger », op.cit.. La vision moderniste de la société, réactivée par l’ouverture démocratique et les espoirs que celle-ci suscitait, prévalait encore largement, et la non-immixtion de l’Islam dans le fonctionnement quotidien des services publics restait la règle.

Mais la démocratie est devenue assez vite un système politique impopulaire marqué par des luttes de clans féroces[17]J.-P. Olivier de Sardan, “Rivalries of proximity beyond the household in Niger: political elites and the baab-izey pattern”, Africa, 87(1), 2017, pp. 120-136., une corruption galopante[18]G. Blundo & J.-P. Olivier de Sardan (eds), État et corruption en Afrique. Une anthropologie comparative des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Paris, Karthala, … Continue reading, un enrichissement spectaculaire des élites, une politisation à outrance de l’administration, une justice de plus en plus vénale[19]M. Tidjani Alou, « La justice au plus offrant. Les infortunes du système judiciaire en Afrique de l'Ouest (cas du Niger) ». Politique Africaine, 83, 2001, pp. 59-78., une dégradation de la qualité des services publics comme l’éducation, la santé ou la sécurité de proximité (crise initiée par l’ajustement structurelle et aggravée par la suite), une perte de repères corrélée à une absence de sanctions. Les élections sont devenues un champ de bataille où tous les coups sont bons, où la tricherie est une stratégie généralisée (inégalement répartie, le parti au pouvoir étant largement privilégié). L’insatisfaction des citoyens face à l’État et les espoirs déçus de la démocratie ont ouvert en quelque sorte un boulevard aux fondamentalistes musulmans, qui progressaient depuis les années 1980 à partir du Nigéria, en particulier avec le mouvement izaliste[20]M. Zakari, « La naissance et le développement du mouvement Izala au Niger », dans X. Moyet, A. Seck et H. Souley (eds), Islam, Sociétés et Politique en Afrique Subsaharienne : Les exemples … Continue reading fondé sur une idéologie salafiste très influencée par le wahabisme (de nombreux militants salafistes nigérians et nigériens sont passé par Médine[21]A. Sounaye, “Salafi Aesthetics: Preaching Among the Sunnance in Niamey, Niger”, Journal of Religion in Africa, 47, 2017, pp. 9-41.). Avec l’avènement de la démocratie, la fin de l’islam d’État et la reconnaissance de la liberté associative, le fondamentalisme a pu progresser de façon spectaculaire, en particulier par le truchement (sans contrôle aucun venant de l’État) d’oulémas salafistes[22]M.S. Umar, “The roles of the ulema in radicalization and counter-radicalization”, dans K. Meagher & A. R. Mustapha (eds), Overcoming Boko Haram, Faith, Society and Islamic Radicalization in … Continue reading, de groupes de prières et d’associations, d’écoles coraniques et de madrasas[23]Écoles franco-arabes combinant enseignement islamique et enseignement classique, et grâce à un prosélytisme actif (da’wa)[24]R. Otayek (ed.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara: Da'wa, arabisation et critique de l'Occident, Paris, Karthala, 1993. véhiculé par des prêcheurs itinérants, des cassettes audio et vidéo largement diffusés[25]A. Sounaye, « La «discothèque» islamique: CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne ». Ethnographiques. Org, 22, 2011 ; A. Sounaye, “Cross-border preaching between northern … Continue reading, des « librairies par terre » proposant une abondante littérature islamique, et enfin, et de plus en plus, via les téléphones portables et les réseaux sociaux. Les trois dernières décennies ont donc été marquées par la « salafisation » de la société nigérienne, et une baisse corrélative de la tolérance religieuse et laïque.

Le fondamentalisme, au Niger comme ailleurs, préconise un retour radical aux sources (vie du Prophète, exemples de ses proches compagnons et successeurs immédiats, adhésion littérale aux préceptes du Coran et des hadiths), qui est à la fois un rejet des innovations et une critique du soufisme et des ses compromissions religieuses et politiques, une « réislamisation », mais aussi un projet de refondation de l’ordre moral et social.

Une société où le fondamentalisme devient hégémonique

Cette salafisation est aujourd’hui particulièrement visible dans l’espace social et même dans l’espace public, où elle diffuse des valeurs intolérantes et hostiles à la laïcité. Mais elle est plus discrète dans l’espace politique, où elle n’a pas (encore ?) pris racine, et où elle n’intervient que de façon indirecte ou ponctuelle.

L’hégémonie fondamentaliste dans la sphère sociale

Bien que, au sein de la population, les fondamentalistes soient, en termes d’organisation ou d’affiliation, une nette minorité (elle-même divisée), ils ont réussi, grâce à un « entreprenariat » religieux et social efficace[26] A. Sounaye, “Salafi Aesthetics: Preaching Among the Sunnance in Niamey, Niger”, op. cit., à gagner la bataille idéologique et à devenir « hégémoniques » (dans le sens gramscien du terme[27]Gramsci a théorisé un certain type de bataille politique, livrée d’abord essentiellement sur le plan culturel et intellectuel, où le prosélytisme idéologique permet de rallier à ses idées … Continue reading) au sein de la société. Comme l’évoque Abdoulaye Sounaye, une « société civile islamique » [28]A. Sounaye, « La «discothèque» islamique: CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne », op. cit. s’est structurée, affirmant et affichant son identité religieuse face à l’Occident, ses valeurs morales décadentes, sa laïcité pernicieuse. Mais cette société civile islamique exerce aussi une influence au-delà d’elle-même, sur la société civile globale.

Le cas de l’association ANASI en témoigne ; les intellectuels et universitaires ont été nombreux à rejoindre l’islamisme érudit et militant (entre salafisme de type wahabite et idéologie de type « frères musulmans ») ; mais les femmes et les jeunes ont aussi intégré cette société civile islamique. Les médias privés et publics ont accordé une large place aux discours fondamentalistes, et même les musulmans se réclamant de la tidjania réformée (aujourd’hui quasiment seule représentante de l’islam confrérique) se conforment de plus en plus aux prescriptions, rituels ou modes relevant du salafisme. Toutefois, il existe divers espaces ou moments de résistance, parfois publics comme la célébration de la naissance du Prophète (mawlud, jour férié au Niger) qui continue à connaître un grand succès populaire bien qu’elle soit condamnée par les salafistes, ou souvent discrets, comme la consultation nocturne de guérisseurs, devins ou « féticheurs ».

La vie quotidienne a en tout cas été complètement transformée depuis deux ou trois décennies. Le vêtement, l’apparence physique et le maintien sont les signes les plus évidents de ce bouleversement : le port du voile autrefois quasi inexistant s’est désormais généralisé chez les femmes, rares sont celles qui sortent avec le simple « mouchoir de tête » traditionnel, plus rares encore tête nue. Nombreuses sont celles qui évitent les tenues colorées. De plus en plus d’hommes portent la barbe, les pantalons laissant apparaître les chevilles sont apparus et ne sont plus si rares ; le chapelet devient omniprésent. La quasi-totalité des femmes, en public, évite de tendre la main aux hommes, soit par conviction, soit de peur de se la voir refuser. Tous ces phénomènes se sont introduits pas à pas depuis 30 ans, sous formes de tache d’huile, et de pressions sociales. Celui ou celle qui résiste ne sera pas sanctionné ouvertement, il ne risque légalement rien, mais il perdra des amis, risque le divorce, et son prestige social sera dévalué. S’il fait partie d’une association salafiste, il sera exclu. Il faut donc une certaine dose de courage ou de conviction pour ne pas se conformer. Une forme extrême de fondamentalisme est la claustration des femmes, qui reste toutefois assez limitée, cantonnée à certaines communautés salafistes très minoritaires; par contre l’autorisation du mari pour que l’épouse puisse sortir une fois la nuit tombée est de plus en plus exigée par l’époux, selon les préconisations salafistes. Si l’idéologie salafiste aboutit incontestablement à un recul profond du statut de la femme, il ne faut pas croire pour autant que seuls les maris l’imposent : nombre de femmes sont salafistes, font du prosélytisme, respectent par conviction ces règles et reproduisent activement cette idéologie..

Les pratiques religieuses quotidiennes se sont également considérablement intensifiées et la pression sociale pour les faire respecter est devenue très insistante : le contrevenant risque là aussi la réprobation de son entourage familial et professionnel. Les prières qui interviennent pendant les heures de travail (zuhur autour de 14.00 heures et asr autour de 16.00), autrefois reportées au soir par les fidèles, sont maintenant scrupuleusement respectées ; à l’heure de la prière les amphithéâtres de l’Université se vident totalement en plein cours, les bureaux sont déserts, les réunions interrompues. Le Ramadan devient quasi obligatoire et très mal vus sont ceux qui ne jeûnent pas (s’il ne s’agit pas de femmes en règles de voyageurs ou de personnes souffrantes). Les pèlerinages à La Mecque ont explosé, faisant la fortune des agences de voyage spécialisées. De plus en plus de téléphones portables sonnent avec la psalmodie de versets du Coran, pendant que les ordinateurs s’ouvrent avec la photo de la Kaaba en page de garde, et que la radio des taxis reste branchée sur une chaîne islamique. Tous les jeudis soir, toutes les chaines de télévision sont monopolisées par les causeries islamiques, les prêches, les exhortations, les conseils relatifs au respect des saintes prescriptions et du droit coranique. Pour saluer quelqu’un dans la rue, au travail, au téléphone, le salam aleykoum domine désormais aux dépens des expressions dans les langues locales, de même que, pour les enfants, les prénoms arabes ont pour l’essentiel remplacé les prénoms anciens issus des langues hawsa ou zarma.

Les pratiques magico-religieuses traditionnelles ostensibles et collectives sont de plus en plus décriées et abandonnées (bien que certaines continuent au niveau individuel et dans la discrétion). C’est en particulier le cas des cultes de possession. Lorsque des personnes (souvent des jeunes femmes) sont ‘prises’ par des transes, les rituels musulmans d’exorcisme (rokiya) visant à chasser des démons (sheytan) sont devenus très populaires et ont le plus souvent remplacé les rituels animistes d’adorcisme (hangendi) visant à faire alliance avec des génies (holley, bori). La transmission héréditaire de l’imamat, autrefois dominante dans le cadre confrérique, régresse fortement au profit de choix fondés sur le savoir coranique des candidats potentiels. Les talismans, décoctions de guérisseurs ou charmes confectionnés par les marabouts traditionnels sont décriés : seuls l’usage de prières ou incantations issus du Coran ou de la Sounna sont considérés comme orthodoxes pour guérir les patients, satisfaire leurs demandes, ou attirer la bénédiction divine.

Profitant du discrédit de l’école publique (théoriquement site privilégié de sécularisation et d’apprentissage de la laïcité et de la tolérance), qui est l’objet de critiques généralisées, à la fois convergentes et justifiées (très mauvaise qualité, corruption et absentéisme des enseignants, absence de débouchés)[29]J.-P. Olivier de Sardan, La revanche des contextes. Des mésaventures de l’ingénierie sociale, en Afrique et au-delà. Paris, Karthala, 2021 auxquelles s’ajoutent les critiques religieuses et morales (elle enseignerait des valeurs contraires à l’Islam ; elle induirait une dissolution des mœurs), les écoles coraniques et les écoles franco-arabes (madrasa, makaranta) se sont multipliées à travers le pays, souvent d’obédience salafiste, comme d’ailleurs l’Université islamique de Say, financée en grande partie par l’Arabie Saoudite.

Le contrôle de la sexualité des filles et des femmes s’est considérablement renforcé. Par exemple, les mariages précoces, qui sont promus par de nombreux parents de peur que leur fille adolescente ne tombe enceinte[30] A. Diarra, « Lutter contre les mariages précoces par l'autonomisation des filles », Études et Travaux du LASDEL, 126, 2018., ont retrouvé une certaine légitimité, avec l’invocation de l’exemple du Prophète, malgré les campagnes de prévention menées sur ce thème. Les incitations à la contraception, surtout à l’initiative d’ONGs du Nord et des agences des Nations Unies, sont perçues comme une immixtion intolérable des Occidentaux dans la vie familiale mais aussi comme une atteinte aux croyances religieuses[31]A. Sounaye, A. Diarra & I.Younoussi, « Genre et population. Étude socio-anthropologique sur les déterminants des politiques de populations au Niger », Études et Travaux du LASDEL, 123, 2017. De très nombreux personnels de santé exigent un accord du mari ou du père (non prévu par les textes et les consignes officielles) pour délivrer un contraceptif à une femme, suivant ainsi une « norme pratique » ayant émerge du fait de la salafisation de la société. La polygamie chez les cadres supérieurs, les dirigeants politiques et les intellectuels, autrefois très rare, s’est généralisée.

Enfin, l’intolérance contre les chrétiens a incontestablement progressé, très significativement. Chaque année, en décembre, des campagnes sur les réseaux sociaux invitent à ne pas rendre visite aux chrétiens pour les fêtes de Noël ou du Nouvel an. On se rappellera les émeutes de janvier 2015 à Zinder et Niamey, suite à l’affaire des caricatures de Charlie-Hebdo, où les églises chrétiennes de toutes obédiences (pentecôtistes, catholiques, protestants) ont été prises pour cibles, pillées et brûlées.

La présence fondamentaliste dans la sphère publique

Mais, au-delà de la sphère privée, c’est aussi dans la sphère publique que le fondamentalisme s’est introduit jusqu’à y tenir une place non négligeable. Nous avons évoqué ci-dessus le fait que, pendant le travail, les pauses-prières étaient devenues intouchables. De même les trois semaines de pèlerinage à La Mecque sont systématiquement prises sur le temps de travail, et non sur les congés, et le gouvernement finance quelques centaines de pèlerinages annuels sur le budget de l’État (ce sont des faveurs politiques ou clientélistes).

Chaque service de l’État, chaque ministère a maintenant sa mosquée, édifiée sur l’espace public. Ainsi l’université Abdou Moumouni a la sienne, bien visible entre deux amphithéâtres, avec à sa tête un imam salafiste, et l’association des étudiants musulmans, également salafiste, règne sur le campus, imposant peu à peu que les étudiants et les étudiantes mangent séparément au restaurant universitaire.

Depuis presque deux décennies, tout atelier, tout séminaire, toute réunion importante ou publique, organisé par un service de l’État et/ou financé par un quelconque bailleur de fonds, commence par une déclaration de foi (fatiya) à titre de bénédiction. Tout nouveau chef de l’État prête serment sur le Coran, il en est de même des membres de la commission électorale nationale indépendante et des juges (le serment sur le Coran a en outre valeur d’ordalie, tout parjure étant censé entrainer un châtiment divin), obligation qui a toutefois entrainé une opposition vigoureuse du syndicat autonome des magistrats du Niger, mais qui est restée assez isolée.

Enfin, en matière de divorce et d’héritage, c’est l’association islamique qui traite à Niamey la grande majorité des dossiers selon des règles coraniques très différentes du droit nigérien officiel d’inspiration française (ainsi les femmes héritent d’une part, les hommes de deux ; ainsi une phrase de répudiation prononcé trois fois par l’homme suffit pour acter un divorce). D’une certaine façon la sharia est donc déjà appliquée assez largement dans certains domaines (mais jamais en matière pénale) ; cette réalité est ancienne au Niger, mais désormais ce sont des visions salafistes de la sharia qui prévalent, plus radicales et intolérantes, portées par des associations islamiques fondamentalistes qui se sont multipliées. Seule une minorité de cas vont devant les tribunaux, qui, il est vrai, décident en dernière instance selon la loi. Mais, même au niveau des tribunaux, le droit coranique est présent, sous la forme du « droit coutumier », un leg de la colonisation, qui reconnait à ce dernier une capacité juridique d’arbitrage en première instance. Ce droit coutumier, autrefois surtout invoqué pour tenir compte des pratiques culturelles locales (dites « ethniques ») est de plus en plus assimilé au seul droit coranique.

Une sphère politique préservée, mais soumise aux pressions fondamentalistes

Dans la sphère politique au sens restreint, celle du jeu politique, des stratégies des partis, des compétitions pour le pouvoir étatique, le fondamentalisme reste par contre relativement discret, bien que le salafisme soit, presque par définition, « politique »[32]R. Idrissa, « Les trajectoires du salafisme politique au Sahel. Le cas du Niger », op. cit, puisqu’il entend soit réformer l’État pour le rendre compatible avec le Coran, soit instaurer un État musulman proprement dit. Mais ces revendications, largement exprimées dans les sphères sociales et publiques, le sont fort peu dans l’arène politique. Il n’existe pas de « parti islamiste », et lorsqu’un imam (salafiste) s’est présenté à la dernière élection présidentielle, ce fut un échec total. Autrement dit les « entrepreneurs religieux » salafistes, particulièrement actifs dans la société, n’ont pas à ce jour investi l’arène politique. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’entrepreneurs politico-religieux déclarés ou reconnus ayant une audience significative et détenant des mandats publics.

De ce fait, même si la laïcité de l’État nigérien est contestée sur le fond par les fondamentalistes (dans la mesure où le principe même d’un État séculier est étranger au salafisme), ils n’ont pas ouvert ce front de façon offensive et permanente à travers un parti ou un dirigeant de stature nationale, et n’ont pas porté le refus de la séparation entre l’Islam et l’État dans l’arène politique. L’établissement de la sharia comme source de droit officiel n’est pas à ce jour une revendication ouvertement mise en avant ou relayée sur la scène politique nigérienne (alors que plusieurs États du Nigéria voisin l’ont adoptée, et que les salafistes nigériens y voient un exemple positif). Des mobilisations contre l’État républicain ne prennent place que de façon défensive et ponctuelle, si et seulement si le gouvernement ou le parlement portent atteinte à des valeurs islamistes considérées comme intouchables par les salafistes.

Les principaux partis politiques acceptent, voire même défendent, la laïcité, une laïcité certes « à la nigérienne », certes éloignée de la laïcité « à la française » (qui, reconnaissons-le, ne tolérerait quasiment rien de tout ce que nous venons de décrire), mais qui signifie quand même l’existence d’une réelle distinction entre l’État et l’Islam (à défaut de séparation stricte), et qui constitue une barrière (ou en tout cas un frein) à l’expression publique ou agressive des intolérances du radicalisme islamiste.

Le parti social-démocrate (PNDS), au pouvoir sous les deux mandats de Mahamadou Issoufou (2011-2012) et le mandat en cours de Mohamed Bazoum, qui était à ses débuts un parti d’orientation marxiste, devenu ensuite adhérent à l’Internationale socialiste, se veut résolument laïque.

Néanmoins, la situation politique, en ce qui concerne la place qu’y prend l’islam, est plus contradictoire qu’il n’y parait. Ainsi, lors d’un de ses premiers discours après son élection de 2011, Mahamadou Issoufou a déclaré prendre pour modèle de gouvernance politique le calife Omar.

En fait, cet énoncé surprenant se comprend dans un contexte où les hommes politiques au Niger, quels que soient leurs partis, malgré leurs proclamations officielles en faveur de la laïcité (énoncées en général en langue française, laquelle est peu parlée dans les interactions quotidiennes en ville et pour ainsi dire pas parlée du tout dans les campagnes), doivent fréquemment et régulièrement donner des gages aux musulmans, voire aux fondamentalistes. Ainsi, tout candidat à une élection (législative ou présidentielle) devra lors de sa campagne faire preuve de piété ostentatoire, montrer de la déférence envers les cheikhs ou les imams réputés, payer des étudiants coraniques (talibe) pour « descendre le Coran » (le lire intégralement en public), multiplier les références ou les citations religieuses, distribuer de l’argent aux oulémas (lettrés et enseignants coraniques, appelés alfa ou malam dans les langues nationales, et « marabouts » dans le parler français local ; ce sont en quelque sorte des « professionnels de l’Islam »[33]A. Sounaye, “Instrumentalizing the Qur’an in Niger’s public life”, op.cit.). Dans un pays où l’Islam est à ce point central, et où, au sein de l’Islam, le fondamentalisme a pris une telle importance, il serait suicidaire pour un politicien de ne pas se référer à l’Islam, ou de se mettre à dos l’opinion publique en prenant une quelconque distance avec l’Islam.

Le président actuel Mohamed Bazoum, qui est lui aussi un défenseur déclaré de la laïcité, a commencé son premier discours après son élection par ces mots : « Je voudrais en cet instant si singulier rendre grâce à Dieu le Tout puissant pour sa décision de me confier la charge la plus lourde dont il peut gratifier un homme ». C’est le minimum que puisse dire tout homme politique nigérien ayant remporté un scrutin.

Par ailleurs, dès lors qu’un gouvernement envisage de prendre des mesures qui iraient à l’encontre de ce que les oulémas considèrent comme des principes moraux ou socioreligieux fondamentaux de l’Islam, ces derniers mobilisent de larges foules pour bloquer avec succès l’initiative. C’est ce qui est arrivé lors de la présidence de Tandja Mamadou avec le projet de code de la famille, censé introduire une meilleure protection des femmes. La majorité pourtant acquise au pouvoir a cédé à la pression de la rue et a refusé ce code de la famille, dénoncé comme succombant aux pressions occidentales et opposé aux valeurs de l’Islam. De même le parlement a refusé de ratifier le protocole de l’Union africaine sur les droits de femmes, et les tentatives pour introduire au sein de l’école publique un enseignement minimal d’éducation sexuelle ont échoué face à l’opposition radicale des oulémas. La rue, qui n’est actuellement pas mobilisée au service d’un quelconque parti islamique, est donc néanmoins mobilisable dès que l’État, aux yeux des clercs islamiques, franchit une ligne rouge.

Par ailleurs, la percée jihadiste et la multiplicité des attentats dans la zone du lac Tchad et dans le Nord-Ouest du pays (zone des trois frontières) ont obligé l’État à prendre position en faveur d’un Islam pacifique (qu’il soit soufi ou salafiste quiétiste), par exemple à travers les programmes de déradicalisation et une collaboration avec des oulémas marocains, ce qui paradoxalement éloigne l’État de sa position neutre (laïque) officielle pour en faire un acteur explicite du champ religieux islamique[34]A. Sounaye, “Ritual Space and Religion Young West African Muslims in Berlin, Germany”, dans B.Meyer & P.Ven der Veer (eds), Refugees and Religion, Londres, Bloomsbury Academic, 2021, pp. … Continue reading. Mais, contrairement à la Mauritanie ou à l’Algérie, il n’attaque pas systématiquement le salafisme en tant que tel, et dénonce seulement son émanation violente.

Enfin, c’est aussi au niveau de la politique extérieure que le fondamentalisme opère une pression discrète mais réelle sur l’arène politique nigérienne, avec, depuis longtemps, une présence importante au Niger de l’Arabie saoudite, puis du Qatar (et, plus récemment, de l’Iran et surtout de la Turquie), dans le domaine de la religion bien sûr (formation d’imams, financements de mosquées), mais aussi de la santé, de l’aide humanitaire, des bourses d’études, de la réalisation d’infrastructures, de la diplomatie. Face à la mondialisation occidentale, l’Islam fondamentaliste mené par les pays du Moyen-Orient propose un internationalisme alternatif qui prend une place grandissante au Niger, non seulement dans la sphère politique, mais aussi dans la sphère publique, par le biais des financements et subventions qu’il distribue généreusement.

Conclusion

La salafisation de la société ne menace pas actuellement directement la laïcité « à la nigérienne ». Mais elle menace par contre ce qui en est la base : une vision tolérante des rapports entre l’Islam et l’État, entre l’Islam et les autres religions, entre Islam et non Islam[35]Nous n’avons volontairement pas traité la question du jihadisme, qui ne rentre pas dans le cadre de cette note, bien qu’il relève à l’évidence du salafisme. Mais le salafisme est multiple … Continue reading.

Elle ne peut se comprendre en dehors du rejet de plus en plus massif, par les opinions publiques africaines, et en particulier la jeunesse, des injonctions occidentales dans tous les domaines, vécues comme illégitimes, voire intolérables : injonction à la réduction des naissances (face à la « bombe démographique » brandie comme menace), injonction au développement (qui accroit la dépendance à l’aide tout en entendant bloquer les migrations), injonction à la démocratie (assortie néanmoins d’une complaisance avérée avec des régimes tyranniques amis), voire même injonction à la laïcité de type occidental (dont la version française est la plus inacceptable). Le salafisme se présente au contraire comme un rempart ou un refuge face à ces injonctions qu’il est le premier à dénoncer.

Toute promotion d’une laïcité « à la française » au Niger serait donc particulièrement contreproductive, et fournirait des arguments aux fondamentalistes pour s’en prendre à une laïcité « à la nigérienne » certes fragile mais qui permet encore l’existence d’un État relativement autonome par rapport à la religion et garantissant une réelle liberté d’expression aux citoyens non musulmans, non pratiquants, ou non salafistes, pour autant qu’ils n’attaquent pas l’Islam.

Par contre, tout ce qui peut favoriser la tolérance sans apparaître comme une injonction ou une leçon de morale serait bienvenu.

Notes

Notes
1 L’auteur de cette note est un des fondateurs du LASDEL, laboratoire nigérien de science sociale assez largement reconnu, et s’appuie sur son expérience personnelle et ses travaux au Niger depuis 55 ans. Mais, en ce qui concerne l’Islam nigérien, les publications d’Abdoulaye Sounaye, lui aussi membre du LASDEL, et également chercheur à Berlin (Leibniz-Zentrum Moderner Orient), sont des références incontournables. Le LASDEL compte un autre spécialiste de l’Islam au Sahel, Rahmane Idrissa (également chercheur à l’Institute of African Studies, Leyden, Pays-Bas).
2 A. Sounaye, « Ambiguous secularism. Islam, laïcité and the State in Niger », Civilisations. Revue internationale d’anthropologie et de sciences humaines, 58 (2), 2009, pp. 41-58.
3 On pourrait dire que, dans le continuum sur lequel on pourrait placer les diverses significations de la laïcité, la laïcité à la française serait à une extrémité, la laïcité à l’anglaise au centre et la laïcité à la nigérienne à l’autre extrémité.
4 Sur les rapports entre État et Islam en Afrique sub-saharienne, il existe désormais une très abondante littérature scientifique. On peut se référer entre autres à M. Gomez-Perez (ed), L’islam politique au Sud du Sahara. Identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005 ; W. Miles, Political Islam in West Africa. State-society relations transformed, Boulder, Lynne Rienner, 2007 ; G. Holder (ed), L'islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala, 2009 ; G. Holder & M.Sow (eds), L’Afrique des laïcités : État, religion et pouvoirs au sud du Sahara, Marseille, IRD, 2014 ; R. Idrissa, The politics of Islam in the Sahel: Between persuasion and violence, Taylor & Francis, 2017 ; G.Holder & J.P.Dozon (eds),  Les politiques de l’islam en Afrique. Mémoires, réveils et populismes islamiques, Paris, Karthala, 2018 ; A.R. Mustapha & K. Meagher (eds), Overcoming Boko Haram: Faith, Society and Islamic Radicalization in Northern Nigeria, London, James Currey, 2020
5 B. Sanankoua, Un empire Peul au XIXe siècle. La Diina du Maasina, Paris, Karthala, 1990.
6 G. Nicolas, Dynamique sociale et appréhension du monde au sein d'une société hausa, Paris, Institut d'Ethnologie, 1975.
7 J.-P. Olivier de Sardan, Les sociétés songhay-zarma. Chefs, esclaves, guerriers, paysans..., Paris, Karthala, 1984 ; R. Idrissa, « Les trajectoires du salafisme politique au Sahel. Le cas du Niger », Politique Africaine, 149, 2018, pp. 43-65.
8 J.-P. Olivier de Sardan, op. cit.
9 A. Salifou, Kaoussan ou la révolte sénoussiste, Niamey, CNRSH, 1973 ; J. Krause, “Islam and Anti-Colonial Rebellions in North and West Africa, 1914–1918”, The Historical Journal, 64(3), 2021, pp. 674-695.
10 M. Zakari, L'islam dans l'espace nigérien: tome 1: Des origines (VIIe siècle) à 1960, Paris, L’Harmattan, 2009.
11 R. Idrissa, « Modèle islamique et modèle occidental : le conflit des élites au Niger », dans M. Gomez-Perez (ed), op. cit., pp. 347-372.
12 C. Monteil, L’Islam noir. Paris, Éditions du Seuil, 1964.
13 J. Rouch, La religion et la magie songhay, Paris, P. U. F., 1960 ; N. Echard, « Bori. Aspects d'un culte hausa dans l'Ader et le Kurfey (Niger) », Paris, EHESS, 1989.
14 R. Idrissa, « Les trajectoires du salafisme politique au Sahel. Le cas du Niger », op. cit. ; A. Sounaye, “Instrumentalizing the Qur’an in Niger’s public life”, Journal for Islamic Studies, 27, 2007, pp. 211-238.
15 Ibid. ; R. Idrissa, « Les trajectoires du salafisme politique au Sahel. Le cas du Niger », op. cit.
16 A. Sounaye, « Ambiguous secularism. Islam, laicité and the State in Niger », op.cit.
17 J.-P. Olivier de Sardan, “Rivalries of proximity beyond the household in Niger: political elites and the baab-izey pattern”, Africa, 87(1), 2017, pp. 120-136.
18 G. Blundo & J.-P. Olivier de Sardan (eds), État et corruption en Afrique. Une anthropologie comparative des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Paris, Karthala, 2007.
19 M. Tidjani Alou, « La justice au plus offrant. Les infortunes du système judiciaire en Afrique de l'Ouest (cas du Niger) ». Politique Africaine, 83, 2001, pp. 59-78.
20 M. Zakari, « La naissance et le développement du mouvement Izala au Niger », dans X. Moyet, A. Seck et H. Souley (eds), Islam, Sociétés et Politique en Afrique Subsaharienne : Les exemples du Sénégal, du Niger et du Nigeria, Paris, Les Indes Savantes, 2007, pp. 51–74. A. Sounaye, « Izala au Niger: une alternative de communauté religieuse », dans  L. Fourchard, O. Goerg & M. Gomez-Perez (eds), Lieux de sociabilité urbaine en Afrique, Paris, L'Harmattan, 2009, pp. 481-500.
21 A. Sounaye, “Salafi Aesthetics: Preaching Among the Sunnance in Niamey, Niger”, Journal of Religion in Africa, 47, 2017, pp. 9-41.
22 M.S. Umar, “The roles of the ulema in radicalization and counter-radicalization”, dans K. Meagher & A. R. Mustapha (eds), Overcoming Boko Haram, Faith, Society and Islamic Radicalization in Northern Nigeria, Woodbridge, James Currey, 2020, pp. 1-30.
23 Écoles franco-arabes combinant enseignement islamique et enseignement classique
24 R. Otayek (ed.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara: Da'wa, arabisation et critique de l'Occident, Paris, Karthala, 1993.
25 A. Sounaye, « La «discothèque» islamique: CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne ». Ethnographiques. Org, 22, 2011 ; A. Sounaye, “Cross-border preaching between northern Nigeria and Niger: Practices, actors, and implications of wa ’azi”, Transnational Islam, 73, 2020.
26 A. Sounaye, “Salafi Aesthetics: Preaching Among the Sunnance in Niamey, Niger”, op. cit.
27 Gramsci a théorisé un certain type de bataille politique, livrée d’abord essentiellement sur le plan culturel et intellectuel, où le prosélytisme idéologique permet de rallier à ses idées une majorité de citoyens
28 A. Sounaye, « La «discothèque» islamique: CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne », op. cit.
29 J.-P. Olivier de Sardan, La revanche des contextes. Des mésaventures de l’ingénierie sociale, en Afrique et au-delà. Paris, Karthala, 2021
30 A. Diarra, « Lutter contre les mariages précoces par l'autonomisation des filles », Études et Travaux du LASDEL, 126, 2018.
31 A. Sounaye, A. Diarra & I.Younoussi, « Genre et population. Étude socio-anthropologique sur les déterminants des politiques de populations au Niger », Études et Travaux du LASDEL, 123, 2017
32 R. Idrissa, « Les trajectoires du salafisme politique au Sahel. Le cas du Niger », op. cit
33 A. Sounaye, “Instrumentalizing the Qur’an in Niger’s public life”, op.cit.
34 A. Sounaye, “Ritual Space and Religion Young West African Muslims in Berlin, Germany”, dans B.Meyer & P.Ven der Veer (eds), Refugees and Religion, Londres, Bloomsbury Academic, 2021, pp. 160-176.
35 Nous n’avons volontairement pas traité la question du jihadisme, qui ne rentre pas dans le cadre de cette note, bien qu’il relève à l’évidence du salafisme. Mais le salafisme est multiple et fragmenté (A. Sounaye, “Salafi Aesthetics: Preaching Among the Sunnance in Niamey, Niger”, op. cit.). Par sa violence, comme par sa revendication radicale d’un califat, le jihadisme ne peut se confondre avec la salafisation de la société nigérienne ici décrite. Le salafisme « standard », que l’on peut qualifier techniquement de salafisme quiétiste, n’est en rien le salafisme guerrier. Néanmoins le retour à un Islam purifié (médiéval), l’intolérance, et le rejet de l’occidentalisation sont évidemment des facteurs inhérents au fondamentalisme sur lesquels l’idéologie jihadiste s’appuie fortement, en les exacerbant, afin de promouvoir son propre projet politico-militaire. La salafisation de la société crée des conditions favorables à l’émergence et à la diffusion du jihadisme.
Pour citer ce document :
Jean-Pierre Olivier de Sardan, "La laïcité à la nigérienne". Notes de l'Observatoire international du religieux N°10 [en ligne], décembre 2021. https://obsreligion.cnrs.fr/note/la-laicite-a-la-nigerienne/
Auteur.e.s

Jean-Pierre Olivier de Sardan, chercheur au Laboratoire d’Études et de Recherche sur les Dynamiques Sociales et le Développement Local (LASDEL, Niger), professeur associé à l’Université Abdou Moumouni (Niamey), directeur de recherche émérite au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS).

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