Note N°08

mai 2019

Relation militaro-religieuses en Indonésie en 2019 : mobilisation islamiste par l’opposition et contre-feux gouvernementaux

Gabriel Facal

La recherche scientifique et la couverture médiatique de l’actualité politique indonésienne se sont accrues depuis 2016. L’événement principal qui a retenu l’attention des observateurs concerne la campagne visant à disqualifier le gouverneur de Jakarta, Basuki Tjahaja Purnama (surnommé Ahok, principal allié du Président Joko Widodo, dit Jokowi), accusé de blasphème vis-à-vis du Coran. Cette campagne, articulée autour de manifestations de grande envergure et de la diffusion massive de contenus hostiles dans les médias et sur internet, déboucha sur l’emprisonnement de Ahok en mai 2017. Elle constitua également une menace de déstabilisation pour le gouvernement en place et contraignit l’équipe présidentielle à déployer plusieurs stratégies de riposte. Ainsi de la nomination en août 2018 de l’ouléma conservateur Mar’uf Amin comme colistier du Président pour les élections qui se sont tenues le 17 avril 2019[1]Il s’agit d’élections législatives et des élections présidentielles, toutes deux à un tour. Les présidentielles ont vu la victoire de Jokowi-Amin, avec 55,5 % des voix exprimées, face à … Continue reading. Amin ayant contribué en 2016-2017 à la campagne de mobilisation contre le gouverneur de Jakarta, sa nomination comme colistier visait à priver l’opposition d’un soutien stratégique[2]G. Facal, « L’Indonésie et les élections simultanées de 2019 – La tempête avant le calme ? », Politique Internationale, n° 163, pp. 315-128..

Ces rivalités s’inscrivent dans un cadre politique structuré en grande partie par deux champs : celui du militaire, et celui du religieux. En effet, les antagonismes divisent essentiellement les élites politiques progressistes au pouvoir et un ensemble d’oligarchies, au premier plan desquelles celles dirigées par plusieurs officiers militaires de haut rang. Ils sont issus des promotions des années 1980 durant l’Ordre Nouveau, le régime qui dirigea le pays entre 1966 et 1998 sous la houlette du Président et Général Suharto. Quant à l’élément religieux, il constitue autant une ressource de légitimité qu’un levier politique, tandis que plusieurs organisations islamistes[3]Initialement portées par le Front des défenseurs de l’islam [Front Pembela Islam, FPI], promoteur d’un islam puritain d’orientation traditionnaliste, les mobilisations ont finalement … Continue reading mobilisent les soutiens politiques de façon stratégique selon leurs agendas particuliers.

Dès lors, les tensions qui se sont exprimées sur la scène publique à partir de 2016 ont conduit le camp gouvernemental à opérer des remaniements importants au sein des Forces armées nationales d’Indonésie [Tentara Nasional Indonesia, TNI][4]Créée en 1945, elle compte environ 470 000 soldats et 400 000 réservistes. Son budget annuel est d’environ 10 milliards de dollars, et a été accru tout au long du mandat du Président, en … Continue reading, en partie afin de limiter la capacité d’action des officiers les plus proches des organisations islamistes de l’opposition et afin d’y développer des soutiens politiques. D’autre part et de façon convergente, la nomination de Ma’ruf Amin comme colistier du Président a visé à mobiliser les institutions dans lesquelles l’ouléma exerce les fonctions de dirigeant et de président : respectivement, le Réveil des oulémas [Nahdlatul Ulama, NU], organisation musulmane majoritaire, ainsi que le Conseil des oulémas d’Indonésie [Majelis Ulama Indonesia, MUI], un organe conservateur semi-institutionnel qui émet des avis juridiques ayant une influence considérable sur la promulgation des lois et amendements. Ces organisations ont par ailleurs vu dans cette opportunité politique une ressource pour affronter une crise de légitimité face, d’une part, à l’essor croissant d’organisations islamiques aux aspirations transnationales dans le pays et, d’autre part, aux tentations islamistes radicales contemporaines de groupes aussi bien régionaux que d’envergure nationale.

La note visera à apprécier le poids actuel exercé sur la sphère politique par les champs militaire et religieux tout en éclairant les transformations récentes des relations militaro-religieuses. Ce travail s’appuie sur la littérature relative aux relations entre armée et religion en Indonésie qui reste encore peu développée en ce qui concerne la période post-Yudhoyono, Président entre 2004 et 2014, ainsi que sur des entretiens conduits auprès de plusieurs officiers de l’armée et des renseignements indonésiens, de membres des équipes de soutien aux candidats pour les élections d’avril 2019, d’enquêtes in situ sur les milices civiles[5]Celles-ci sont catégorisées par la loi en fonction de trois critères : religieux, culturel/coutumier (c'est-à-dire un identitarisme régionaliste), et nationaliste. , et au sein d’un centre d’entraînement du Commando stratégique de l’armée de terre [Komando Strategis Angkatan Darat, Kostrad[6]Le Kostrad compte environ 35 000 hommes, basés régionalement dans des bataillons (entre 800 et 1600 soldats par unité). C’est en tant que chef du Kostrad (à l’époque nommé Caduad) que … Continue reading], la principale unité de combat de l’armée.

Après avoir présenté le cadre historique de la structuration des relations militaro-religieuses, je mettrai en lumière le rôle clé des groupes miliciens civils dans ces rapports, puis analyserai les stratégies gouvernementales de réponse à l’opposition issue des champs militaire et islamiste.

Brève genèse : l’islam comme pivot légitimant des activités politiques des militaires

Le soubassement structurel et idéologique des relations entre l’armée et l’élément religieux a été façonné au cours de différentes périodes historiques, qui ont vu :

  • La centralité des milices religieuses et indépendantistes, puis nationalistes, dans la formation de l’armée au cours des révoltes anticoloniales contre l’occupant néerlandais à partir de 1800, puis au cours de la période dite de Révolution [Revolusi] en 1945-1949 ;
  • La domination dans l’armée de factions pro-chrétiennes dans les premières décennies postindépendance, et les efforts du régime du Président Suharto, dès 1967, pour maintenir sous contrôle coercitif les factions les plus radicales de l’islamisme, tout en dépolitisant les groupes musulmans[7]En premier lieu en restreignant leur portée politique, le régime imposant la création d’un parti politique islamique unique, le Parti pour l’unité et le développement [Partai Persatuan … Continue reading ;
  • La montée progressive des groupes islamistes rivaux à l’islam traditionnaliste, sous la houlette de l’Association indonésienne des intellectuels musulmans [Ikatan Cendekiawan Muslim Indonesia, ICMI], fondée en 1990 par le Secrétaire de la recherche et de la technologie, Bacharuddin Jusuf Habibie [futur Président, cf. infra], de façon concomitante à un « verdissement », soit une islamisation affichée, de l’armée et du régime à partir de la fin des années 1980 ;

A partir de 1998, la fin du régime autoritaire du général Suharto a initié une période de réformes de décentralisation et de démocratisation (incluant l’introduction du multipartisme et d’élections directes), appelée Reformasi et qui est toujours en cours. Ces dynamiques ont suscité des transformations du rôle de l’armée, également infléchies par les dispositions personnelles des dirigeants et leur influence sur les institutions civiles et militaires. Le Président Habibie (1998-1999) souffrait d’un manque de légitimité et a pallié cette vulnérabilité par le soutien de l’armée. Abdurrahman Wahid (1999-2001) a mené une politique erratique qui a contribué à une désorganisation générale de l’administration du pays. Par contraste, Megawati Sukarnoputri (2001-2004) a restauré l’ordre et la stabilité, mais pour faire face aux luttes séparatistes en Papouasie et à Aceh elle a délégué à l’armée la gestion des conflits. Sous la présidence de Susilo Bambang Yudhoyono (« SBY ») en 2004-2014, les réformes démocratiques se sont poursuivies, avec l’introduction d’un parlement bicaméral et le renforcement de l’indépendance des membres de la Commission électorale [Komisi Pemilihan Umum, KPU], tandis que SBY a mis en œuvre un contrôle hautement personnalisé de l’institution militaire.

Ce faisant, SBY est parvenu à restreindre le rôle politique des militaires, mais n’a pas engagé de réformes institutionnelles profondes, comme celles touchant à la structure de commandement territorial permettant à l’armée de se déployer jusqu’au niveau des villages. La professionnalisation des TNI continue de stagner à cause de leur équipement dépassé, d’une doctrine et d’un système de gestion inefficaces et non renouvelés[8]M. Mietzner, Military Politics, Islam and the State in Indonesia: From Turbulent Transition to Democratic Consolidation, Singapour, ISEAS, 2009, p. 141. Plus profondément, bien que la structure … Continue reading, ainsi que de la domination qu’exerce l’armée de terre au sein des forces armées, la marine et l’armée de l’air conservant un rôle secondaire de soutien et un caractère essentiellement technique. Enfin, détachés en 1999 de la police, le rôle des TNI décline en ce qui concerne la gestion de la sécurité intérieure. On peut penser que la majorité des indonésiens continuera de leur refuser un quelconque rôle politique institutionnel[9]A. D. Wiradikarta, « Indonésie plurielle Indonésie : le spectre d'un retour de l'armée en politique », Asialyst, 3 novembre 2017 [URL : … Continue reading, mais les mobilisations islamistes de l’opposition à partir de 2016 ont permis à un réseau de haut gradés et de généraux à la retraite d’exercer à nouveau une influence sur les choix stratégiques des dirigeants. Ces mobilisations s’appuient essentiellement sur un maillage dense de milices civiles, profondément implantées dans la société indonésienne.

Les milices civiles au cœur de l’arène civilo-militaire

Le poids politique des milices islamiques à partir de 1998

A partir de 1998, la redéfinition du secteur de la sécurité profita à des organisations issues de la société civile, les Organisations communautaires [Organisasi kemasyarakatan, Ormas]. Les 406 700 Ormas enregistrées exercent des activités très diverses, mais ce sont essentiellement aux groupes miliciens que renvoient ces organisations lorsqu’on s’y réfère dans le débat public. En effet, elles sont les héritières de groupes miliciens civils qui exercèrent une fonction auxiliaire de l’armée au sortir de l’indépendance en 1945, jouèrent un rôle unificateur des forces indépendantistes dans la période qualifiée de Révolution en 1945-1949, puis collaborèrent avec l’armée pour lutter contre l’organisation islamiste séparatiste Terre d’islam [Darul Islam, DI][10]Celle-ci luttait pour la formation d’un État islamique et elle prit le maquis de 1949 jusqu’à 1963, année de sa dissolution.. Ces groupes exercèrent une influence sociopolitique au moment de la prise de pouvoir du général Suharto en 1965-1966, maintenant ensuite le contrôle du régime sur les urnes et les ressources économiques régionales. Le régime mis en place, dit de « l’Ordre nouveau », entérina une double fonction de l’armée [dwifungsi], politique et militaire. Celle-ci se dota aussi d’une fonction économique de facto, les militaires prenant le contrôle des entreprises d’Etat et acquérant des monopoles au travers de coopératives et fondations lucratives[11]Certaines mannes continuent de profiter aux militaires, par exemple dans le secteur de l’agriculture (à ce titre et de façon significative, Prabowo est président de l’Association nationale des … Continue reading.

Après la chute du régime en 1998, les milices et de nombreuses nouvelles Ormas ont émergé de façon semi-autonome par rapport à l’Etat et ont renouvelé leur champ d’activité. Formées, patronnées ou parrainées par d’anciens chefs de la police et officiers militaires, elles agissent surtout comme des prestataires de sécurité mais certaines se sont progressivement affranchies de leurs tutelles, tout en s’imposant dans le jeu politique et l’arène électorale comme de puissants pôles de lobbying. Plusieurs d’entre elles jouèrent un rôle important dans l’escalade des tensions politiques locales en 1998-2002. Celles-ci débouchèrent sur des conflits labellisés en termes confessionnels (entre chrétiens et musulmans), et furent progressivement investies en tant que tels par les populations. Une des milices les plus influentes fut l’organisation islamiste puritaine du Front des défenseurs de l’islam [Front Pembela Islam, FPI], patronnée par des officiers de l’armée, de la police et des élites de l’Etat[12]G. Facal, “Islamic Defenders Front militia (FPI) of Indonesia and its impact on growing religious intolerance since 2014”, Nanyang Technological University, Singapour, Trans-Regional and … Continue reading, et qui déploya plusieurs stratégies contribuant à accroître, sinon à générer, des troubles d’une intensité croissante sur l’archipel des Moluques et dans l’île de Sulawesi au début des années 2000. Plus récemment, l’organisation a été propulsée comme un acteur clé de l’opposition [cf. infra].

Comme le souligne le politiste Marcus Mietzner, entre 1998 et 2002, les commandants militaires régionaux furent prompts à prendre position en faveur des organisations islamistes engagées dans les affrontements[13]Par ailleurs, plusieurs épisodes indiquent que des commandants régionaux ont armé des milices locales ou extérieures pour prendre part au « djihad » (entretiens avec les coordinateurs de … Continue reading. En sus des positionnements individuels ambigus de certains commandants, ces conflits contribuaient à renforcer la légitimité de l’existence de l’armée et de sa présence accrue dans les territoires marqués par des insurrections séparatistes[14]M. Mietzner, op. cit., 2009, p. 131., comme l’indiquent par exemple les efforts des TNI pour maintenir leur influence à Aceh. Celle-ci persista jusqu’à la signature d’un accord, le 15 août 2005, entre le gouvernement indonésien et le Mouvement pour une Aceh libre [Gerakan Aceh Merdeka, GAM] mettant fin à près de trente ans de conflit. En Papouasie, cette influence militaire, couplée à celle de la police, perdure jusqu’à aujourd’hui[15]Le gouvernement indonésien de la Papouasie occidentale peut être caractérisé comme une occupation militaire/policière en cours, impliquant surveillance, persécution, assassinats ciblés et … Continue reading.

Outre ces alliances régionales, des éléments issus de l’armée et certaines Ormas islamistes partagent des intérêts au niveau national, comme l’ont illustré le cas des mobilisations de 2016-2017.

Le terreau politico-militaire des mobilisations anti-gouvernementales en 2016-2017

Outre les intérêts économiques et les calculs politiques en jeu, les manœuvres entreprises par les généraux et anciens généraux pour accroître leurs positions au sein des organes décisionnaires sont motivées par leur opposition à toute forme de jugement concernant les crimes auxquels ils ont été mêlés par le passé, particulièrement dans le cadre d’exactions contre la population civile au Timor oriental lors de son occupation indonésienne entre 1975 et 1999. En outre, en 2015, la réponse favorable – sur laquelle il revint par la suite[16]Plus tard, en juillet 2016, le ministre indonésien des Affaires politiques, légales et de sécurité, Luhut Pandjaitan, annonça que le gouvernement rejetait le verdict qui venait d’être émis … Continue reading – de Jokowi aux demandes des ONG de rouvrir le dossier des massacres « anti-communistes » de 1965-1966, semble avoir été l’élément déclencheur des mobilisations de l’opposition qui gagnèrent en ampleur tout au long des années 2016-2017. Le général Ryamizard Ryacudu, ministre de la Défense depuis 2014, auparavant chef de l’armée de réserve stratégique Kostrad en 2000-2002 et commandant de l’armée de terre en 2002-2005, déclara en mai 2016 que les communistes tués en 1965-1966 avaient mérité de mourir. En amalgamant la menace communiste à d’autres questions sociétales, il affirma, parmi d’autres annonces, que l’accroissement des droits des LGBT faisait partie d’une guerre par procuration, un projet de « lavage de cerveaux » ourdi depuis l’étranger, « plus dangereux encore qu’une guerre nucléaire »[17]« Menteri Pertahanan: LGBT Itu Bagian dari Proxy War » [Le ministre de la Défense : les LGBT font partie d’une guerre par procuration], Tempo.co, mardi 23 février 2016.. Bien que le phénomène fut peu mis en lumière, les manifestations de 2016-2017 visant à condamner le gouverneur de Jakarta[18]Mietzner et B. Muhtadi, « Explaining the 2016 Islamist Mobilisation in Indonesia: Religious Intolerance, Militant Groups and the Politics of Accommodation », Asian Studies Review, volume 42, n° … Continue reading succédèrent à cette escalade rhétorique. Leurs avatars régionaux, ainsi que les campagnes de communication orchestrées dans la presse et les réseaux sociaux s’inscrivirent pleinement dans ces tensions tout en dévoilant au grand jour la dimension activiste des milices islamistes, leur capacité de mobilisation de la population et leur pouvoir d’influence sur les décisions judiciaro-politiques. Là encore, la milice la plus médiatisée à cette période et la plus active dans les mobilisations fut le Front des défenseurs de l’islam [FPI], laquelle exerce également des pressions sur les organisations islamiques alliées au gouvernement : par exemple contre l’organisation traditionnaliste du Réveil des oulémas [Nahdlatul Ulama, NU], face à laquelle le FPI a chapeauté la création du NU de la voie orthodoxe [NU-Garis Lurus][19]Cette organisation n’est pas reconnue par le NU et vise à le concurrencer sur la base d’une surenchère en termes d’orthodoxie et d’authenticité islamiques. .

Le FPI bénéficie parmi ses patronages de l’appui de l’ancien Président et général à la retraite, Susilo Bambang Yudhoyono, et du principal rival du Président actuel, le général retraité Prabowo Subianto. Outre ce soutien politique, certaines sections régionales du FPI ont reçu en 2016-2017 le soutien de factions locales de l’armée, bénéficiant à l’occasion d’un entraînement militaire, comme à Banten. L’échange semble avoir été peu formateur et d’un faible niveau d’instruction[20]Entretien avec des membres du FPI de Serang (avril 2018)., mais il a accru le prestige et la légitimité du FPI à mener des actions coercitives. Le commandant de la division de district de l’armée en charge de cet entraînement a quant à lui limogé après cet épisode.

L’instrumentalisation islamiste par les généraux de l’opposition

L’activisme des milices islamistes a trouvé un écho considérable au sein de la population, à en juger par l’ampleur des manifestations et par la saturation opérée dans les médias conventionnels et sur les réseaux sociaux. Mais un autre motif d’inquiétude pour le gouvernement concerna les déclarations et manœuvres du général Gatot Nurmantyo, le Commandant des armées en 2015-2017, auparavant chef de l’armée de réserve stratégique Kostrad en 2013-2014, puis chef de l’armée de terre en 2014. Celui-ci multiplia les annonces de sympathie et de soutien au mouvement d’opposition, s’alignant sur les discours les plus radicaux des islamistes anti-gouvernementaux, et ressuscitant durant un moment au sein d’une partie de l’opinion publique le spectre d’une division entre généraux verts (islamistes) et généraux rouge et blancs (nationalistes, des couleurs du drapeau indonésien). Cette division est au demeurant fantasmatique.

Plus alarmantes furent ses déclarations sur la « guerre par procuration » [proxy war] que menaient, selon lui, des puissances étrangères dans la cadre d’une conspiration internationale visant à entamer l’unité nationale[21]G. Nurmantyo, Berjuang dan Bergotong Royong mewujdkan Indonesia sebagai Bangsa pemenang [Lutter et s’entraider pour faire de l’Indonésie une nation victorieuse], livret collecté lors d’une … Continue reading. Ce complot comprenait la formation de soldats indonésiens par l’armée australienne afin de favoriser l’indépendance de la Papouasie et pour disqualifier au sein des TNI la philosophie de l’Etat, le Pancasila[22]Le Pancasila établit une doctrine en cinq principes, au fondement de la Constitution et des institutions indonésiennes. Sur les implications du Pancasila dans la gestion gouvernementale de la … Continue reading. Cette crainte conduisit Nurmantyo à annoncer la suspension des coopérations militaires avec l’Australie. Il mentionna également un narcotrafic organisé depuis l’étranger et l’inculcation auprès de la jeunesse de pratiques et valeurs permissives, incluant l’homosexualité. Autres menaces invoquées : le risque imminent d’invasion de la main d’œuvre chinoise ; l’activité militante des ONG et des syndicats, visant à ruiner les entreprises autochtones ; les campagnes anti-tabac – ressource économique importante du pays – ourdies depuis l’étranger « sous couvert d’arguments sanitaires fallacieux » (idem). Plus largement, dans un livret édité en 2015, le général Nurmantyo écrivit que les puissances étrangères s’efforçaient d’infiltrer les médias, le système éducatif, les organisations islamiques, et les partis politiques pour s’emparer de l’appareil de sécurité et des industries stratégiques. Tous ces périls justifiaient une intervention accrue de l’armée dans la vie sociale et politique du pays, ainsi que l’accession au pouvoir de Nurmantyo. Celui-ci envisagea un temps de se présenter aux élections présidentielles de 2019, avant de subitement disparaître du champ politique après sa retraite en décembre 2017. Face à ces menaces également, le général Nurmantyo remit à l’ordre du jour le concept de « défense populaire totale » fondé sur la guérilla, une vision qui remonte à la lutte contre les Néerlandais dans les années suivant l’indépendance en 1945. Cette doctrine de l’armée est toujours d’actualité, comme le reflète le dernier Livre blanc de la défense du gouvernement indonésien publié en 2015[23]https://www.kemhan.go.id/wp-content/uploads/2016/04/BPPI-INDO-2015.pdf.. Combinées aux pressions de l’opposition et des milices islamistes, les embardées de Nurmantyo conduisirent le gouvernement à élaborer différentes stratégies de contre-attaque.

Stratégies du Président Jokowi depuis mi-2017 : impacts sur l’armée et le religieux

Présenté au début de son mandat en 2014 comme un « outsider » en politique, étranger aux réseaux clientélistes développés par les oligarchies dominantes du pays, Jokowi s’est pourtant trouvé confronté aux pressions issues de ces réseaux. Celles-ci émanèrent aussi bien de l’opposition que de son propre camp, comme l’illustrèrent les contraintes[24]R. Madinier, « Jokowi, un trublion dans la Reformasi des oligarques », Archipel, vol. 91, 2016, pp. 278-280. imposées par son parti d’affiliation, le Parti démocratique indonésien de lutte [Partai Demokrasi Indonesia Perjuangan, PDI-P], présidé par Megawati Sukarnoputri, la fille du premier Président d’Indonésie, Sukarno.

Dans le contexte des mobilisations anti-Ahok, Jokowi a toutefois progressivement accru l’utilisation des ressources mobilisées par ses concurrents en investissant lui aussi trois champs interconnectés : celui du militaire, celui des Organisations communautaires [Ormas], et celui des réseaux identitaires régionalistes au sein de la population.

Alliances gouvernementales au sein de l’armée

A partir de fin 2017 et afin de préparer sa campagne de réélection, Jokowi a procédé à d’importants remaniements au sein de l’armée, à commencer par la nomination en décembre d’un nouveau chef d’Etat-major, le maréchal Hadi Tjahjanto, dont le mandat officiel durera jusqu’à 2021[25]Secrétaire militaire du Président en 2015-2016, il a ensuite été nommé Inspecteur général au sein du ministère de la Défense en 2016-2017, puis Chef de l’Armée de l’air en janvier 2017. … Continue reading. Les causes de ces remaniements concernent au moins trois facteurs : la nécessité de réorganiser une armée confrontée à des problèmes structurels[26]BBC Indonesia, « Ratusan jenderal dan kolonel TNI menganggur: Antara dwifungsi dan 'anggaran gaji yang hangus sia-sia' » [Des centaines de généraux et colonels au chômage : entre la double … Continue reading ; des impératifs stratégiques relatifs à la politique extérieure et aux programmes de développement internes, les deux champs étant interconnectés ; mais surtout, des stratégies politiques à caractère interpersonnel, dans le cadre de l’opposition avec le camp du général Prabowo Subianto.

Ce dernier bénéficia pour les élections présidentielles d’une alliance de circonstance avec l’ancien Président Susilo Bambang Yudhoyono, lequel contribua au financement de la campagne contre le gouverneur de Jakarta à partir de 2016[27]Institute for policy analysis of conflict, « After Ahok: The Islamist Agenda in Indonesia », rapport n° 44, 6 avril 2018., puis soutint son propre fils, Agus Harimurti Yudhoyono, lors des élections provinciales de Jakarta en 2017. Cet appui renforce l’image de probité que véhicule Prabowo[28]Image qui laisse pourtant dans l’ombre la réalité du parcours de Prabowo, limogé, mais non châtié, en juin 1998, pour avoir reconnu sa participation dans une série d’enlèvements de … Continue reading. Un autre soutien de ce dernier, l’ex-général Kivlan Zein, a suivi ce dernier de près dans son parcours politique[29]Chef de l’armée stratégique [Kostrad] en 1998-2000, Zein fut le chef de campagne de Prabowo durant la présidentielle de 2014. Pour la campagne de 2019, c’est l’ancien commandant des armées … Continue reading et est son principal porte-parole au sein des milieux islamistes. Autre support, Agum Gumelar[30]Il fut commandant des Forces spéciales en 1993-1994, puis ministre dans trois ministères entre 1999 et 2001. Il a été nommé en janvier 2018 membre du Conseil consultatif présidentiel. , dont l’épouse a servi comme ministre de l’Autonomie des femmes et de la protection de l’enfance sous SBY.

Pour faire contrepoids aux réseaux de l’opposition, le Président s’est entouré de plusieurs militaires de haut rang, particulièrement parmi les anciens des Forces spéciales [Komando Pasukan Khusus, Kopassus[31]Entraînés par les Etats-Unis et disposant de liens avec d’anciens officiers du Special Action Service (SAS) britannique et avec la firme de mercenaires sud-africaine Executive Outcomes, les … Continue reading], tels Luhut Binsar Pandjaitan, ministre des Affaires politiques, légales, et de sécurité jusqu’en 2016, puis ministre des Affaires maritimes. On compte aussi les très controversés Wiranto[32]Ministre coordinateur des affaires politiques, légales et de sécurité depuis 2016, accusé de multiples violations des droits de l’homme commises au Timor oriental en 1999, alors qu’il était … Continue reading et Hendropriyono[33]Hendropriyono fut à la tête du commandement militaire en 1987-1991 et à ce titre fut l’un des responsables du massacre contre les activistes musulmans à Lampung en 1989. Il fut également … Continue reading. Le Président a également nommé comme chef de l’armée de terre le gendre de ce dernier, Andika Perkasa, lequel était auparavant dirigeant du Kostrad en 2018. Jokowi a désigné comme directeur de son cabinet le général Moeldoko, qui avait été le chef de l’armée au début de son mandat (en poste entre 2013 et 2015).

En plus de ces alliances au niveau des élites militaires, le Président s’est assuré le soutien des militaires au niveau local par le biais de pratiques clientélistes. En 2018, il a augmenté le solde des sous-officiers de commune (les Babinsa) de l’équivalent de 6,5 euros à 60 euros par mois, en leur demandant de diffuser autour d’eux l’information qu’il n’était pas communiste[34]« Presiden Jokowi minta Babinsa jelaskan ke publik bahwa dirinya tidak terkait dengan PKI » [Jokowi demande aux sous-officiers de commune de faire savoir au public qu’il n’a pas de lien avec … Continue reading et en s’assurant de leur soutien pour les élections d’avril 2019. Le camp gouvernemental a en outre renforcé son influence sur l’armée lorsqu’en 2018 le maréchal Tjahjanto a annoncé la création de 60 postes à pourvoir par des officiers de haut-rang ainsi que la nomination de haut-gradés dans des ministères-clés et dans l’administration publique.

Pour affermir un peu plus son emprise sur l’armée, le gouvernement a engagé des réformes pour élargir le rôle de l’armée dans des missions normalement dévolues à la police. Cette stratégie lui a également permis d’accroître son ascendant sur les milices civiles de l’opposition.

Affaiblissement des milices d’opposition et mobilisation des milices musulmanes nationalistes

En mai 2018, le Parlement a voté des amendements visant à impliquer davantage les militaires dans la lutte contre le terrorisme, essentiellement dans sa composante islamiste[35]Il s’agit d’une révision de la loi antiterroriste de 2003, projet de révision déjà envisagé depuis plusieurs années. Outre ses impacts formels, cet accroissement du rôle de l’armée dans … Continue reading. Le concept a été élargi à cette occasion, incluant désormais les atteintes au Président et aux membres du gouvernement. Par ailleurs, suite à la signature d’un accord de coopération, les forces armées ont acquis la capacité d’intervenir en support de la police lors des manifestations. L’implication accrue de l’armée a suscité l’opposition de plusieurs associations de défense des Droits de l’homme[36]Dès mai 2017, des organisations comme Imparsial et la Komnas HAM (Commission nationale des droits de l’Homme) ont dénoncé ce projet comme dangereux pour la démocratie.. Le gouvernement et le Parlement ont aussi entériné de multiples lois allant à l’encontre de la liberté d’expression, comme une loi sur les fake news, s’ajoutant à plusieurs dispositions destinées à accroître le pouvoir du Président pour contrôler les contenus en ligne, principal média d’information et de communication des groupes islamistes d’opposition. Un programme nommé les Ambassadeurs de la paix [Duta damai], piloté par des membres des services de renseignement et des personnels de l’armée, et visant à élaborer en ligne des narrations contraires à celles développées par les groupes islamistes violents, a par ailleurs été financé par le gouvernement. Le programme implique des milliers d’étudiants, recrutés afin de communiquer sur internet des informations sur le pluralisme religieux et les valeurs nationalistes.

La dissolution en hâte de l’organisation Hizbut Tahrir Indonesia en mai 2017 s’inscrit aussi dans ces dispositions visant à affaiblir les réseaux de l’opposition. Cette organisation, idéologiquement influencée par la pensée des Frères musulmans, peu contrôlée au demeurant par le passé, effectuait ses activités de prédication essentiellement à destination de la bureaucratie et des militaires, auprès desquels elle diffusait un journal imprimé très politisé[37]M. W. Mohamed Osman, « Reviving the Caliphate: Hizbut Tahrir and Its Mobilisation Strategy in Indonesia », Terrorism and Political Violence, 2010, vol. 22, n° 40, pp. 601-622.. Pour faire contrepoids à l’islamisme d’opposition, Jokowi a surtout misé sur le soutien du Nahdlatul Ulama[38]Cette organisation est au cœur de ce que certains analysent comme une forme de soft power indonésien, visant à mettre en avant l’existence d’un islam modéré et démocratique afin, entre … Continue reading, l’une des plus grandes organisations islamiques au monde avec quarante millions de sympathisants revendiqués. Pour réaliser ce rapprochement, il a nommé comme colistier aux présidentielles le dirigeant du NU, Ma’ruf Amin, précédemment évoqué. Ce colistier est à présent vice-président, c’est-à-dire qu’il jouit désormais d’un faible pouvoir exécutif, mais bénéficie d’une influence considérable sur l’opinion de la population. De nombreux observateurs critiquent ce rapprochement de Jokowi avec l’aile religieuse conservatrice car il tranche avec les principes progressistes promus jusqu’ici par le Président[39]D. Greenlees, « Jokowi on track for a second term, but can he deliver? », The Strategist, 16 avril 2019.. Pour autant, il est peu probable qu’Amin influence significativement les politiques gouvernementales à venir, du fait de ses convictions tout d’abord, marquées par un islamisme somme toute inclusif et nationaliste, et de par la fragilisation récente de sa position face à la récupération d’une partie des membres et sympathisants du NU par l’aile conservatrice.

Le NU permet à Jokowi de s’appuyer sur sa milice, le Front multi tâches de l’Ansor [Banser], en première ligne lors des massacres « anticommunistes » en 1965-1966, et l’un des principaux rivaux du FPI dans la rue et sur les réseaux sociaux. En tant que leader du NU, Amin dispose aussi du soutien de la Garde de la patrie [Garda Bangsa], et des Patriotes de l’aigle garuda de l’Archipel [Patriot Garuda Nusantara], laquelle bénéficie de patronages au sein de l’armée. D’autres Organisations communautaires [Ormas] ont été récupérées par le camp présidentiel, comme la Garde nationale pour le peuple [Garda Nasional untuk Rakyat, GNR], autrefois soutien de Nurmantyo, et la milice nationaliste des Jeunes du Pancasila [Pemuda Pancasila], auparavant patronnée par Prabowo – celui-ci étant désormais représenté par la milice de la Garde rouge et blanche [Garda Merah Putih].

Ces milices sont composées essentiellement des membres d’organisations d’arts martiaux, dont certaines sont aussi au cœur d’un autre axe de soutien mobilisé par le camp présidentiel, celui des identitarismes régionaux.

Le support des groupes identitaires régionaux pour s’émanciper du militaire et du religieux

Afin de limiter sa dépendance aux militaires et aux groupes islamiques lors de son prochain mandat, le Président a largement mobilisé les écoles d’arts martiaux. Celles-ci jouent un rôle-clé historique dans les relations civilo-militaires, comme l’illustrèrent les campagnes de cooptation menées par Suharto dès sa prise de pouvoir entre 1965 et 1967[40]Outre la mobilisation de ces écoles pour éradiquer l’opposition, Suharto les utilisa ensuite pour asseoir son contrôle dans les régions. Son épouse inaugura elle-même le centre national … Continue reading. La milice Banser de l’organisation musulmane Nahdlatul Ulama, au cœur des rafles « anticommunistes » à Java Est, est elle-même articulée autour de son école d’arts martiaux, la Barrière de l’Archipel [Pagar Nusa], dont le fondateur, le mystique Gus Maksum, fut l’un des coordinateurs des massacres[41]Multiples entretiens avec le dirigeant régional du Pagar Nusa à Banten, entre 2017 et 2019.. Le Pagar Nusa a multiplié à partir de début 2019 les campagnes de soutien au binôme Jokowi-Amin, sous la tutelle de plusieurs chefs de division locale de l’armée, pourtant censés être neutres. Neutralité toute relative puisque les groupes de soutiens au Président sortant sont, de notoriété publique, coordonnés par le Service national de renseignement (Badan Intelijen Nasional, BIN)[42]Entretiens avec un membre dirigeant de l’équipe de campagne du binôme à Java Ouest, ainsi qu’avec plusieurs spécialistes du politique en Indonésie (mars 2019). Par ailleurs, le Président a … Continue reading – exemple significatif : le chef du BIN, Budi Gunawan, ancien vice-chef de la police, a repeint sa résidence de fonction aux couleurs du parti de Megawati. En outre, on peut souligner la prégnance de réseaux relationnels entre les personnels du BIN, de la police et de l’armée, l’adjoint de Gunawan, le général Teddy Lhaksmana, étant par exemple l’ex-commandant militaire régional de Jakarta.

La persistance contemporaine de la centralité des écoles d’arts martiaux au niveau politique transparaît dans la mainmise de Prabowo sur la Fédération nationale d’arts martiaux (Ikatan Pencak Silat Indonesia, IPSI, qui regroupe des centaines de milliers de membres), qu’il dirige depuis quatre mandats consécutifs, en violation du règlement. L’IPSI est utilisée comme un levier opératoire pour mener des actions de lobbying et de mobilisation électorale, les dirigeants des écoles ayant la plupart du temps des fonctions politiques au sein des gouvernements régionaux ou des assemblées parlementaires. Elle permet également de coordonner, de façon non formelle et localisée, des démonstrations de force dans la rue pour des objectifs divers, incluant des intimidations envers les opposants politiques, syndicats, et groupes de défense des Droits de l’homme contrevenant aux intérêts des cadres de la Fédération. Cette dernière, au demeurant hétérogène, a vu se constituer différentes organisations concurrentes, comme la PPSI de Java Ouest, intimement liée à la division militaire régionale Siliwangi, et qui fut régionalement influente durant l’ère Sukarno. Plus récemment, l’association de pencak silat traditionnaliste MASPI ou la branche IPSI Jabar, toujours à Java Ouest, développent leurs propres alliances politiques et réseaux clientélistes. Ces organes soutiennent le camp sortant et récemment l’IPSI Jabar a entrepris, de pair avec le chef de l’armée stratégique [Kostrad], de renouveler les méthodes d’entraînement au combat à main nue et avec armes blanches des unités terrestres de l’armée[43]Dans le cadre d’un programme intitulé Cakra, le curriculum coréen du Jong Moo Do est remplacé par une synthèse de l’art martial malais, le pencak silat, celui-ci étant purifié pour … Continue reading. À la jonction des milices civiles et de l’armée, profitant d’un label islamique nationaliste, les écoles d’arts martiaux permettent au gouvernement de bénéficier d’un contrepoids face aux réseaux politiques militaires comme islamistes.

En plus de ces écoles, d’autres réseaux civils constituent des leviers politiques importants, à l’instar des groupes communautaires régionalistes : associations culturelles, communautés rituelles, et figures locales de l’autorité traditionnelle, comprenant les chefs coutumiers, les maîtres d’arts martiaux, les dirigeants d’écoles coraniques traditionnalistes, et les chefs de confréries soufies. Outre le projet, en germe depuis 2014, de scinder le ministère de l’Education et de la Culture afin de mieux contrôler ces réseaux régionaux, l’équipe électorale de Jokowi semble s’être entendue avec plusieurs représentants de région et avec des figures locales d’autorité pour coopter les réseaux traditionnalistes régionaux. Cette stratégie s’est appliquée dans les provinces les plus défavorables au ticket Jokowi-Amin, celles où Jokowi a perdu aux élections de 2014 : tout d’abord à Java Ouest (31 millions d’électeurs), à Banten (7,7 millions d’électeurs), à Sumatra Nord (plus de 8 millions d’électeurs), à Aceh (où Jokowi perdit avec 45,61 % contre 54,39 %), à Sumatra Ouest (il perdit avec 23,08 % contre 76,92 %), à Sumatra Sud (environ 48 % contre 52 %), et en Indonésie de l’Est – Poso à Sulawesi Centre et Gorontalo à Sulawesi Nord[44]Ces régions sont essentiellement celles marquées historiquement par des épisodes de militantisme islamique, particulièrement celui de l’organisation Darul Islam..

A Java Ouest, le camp Jokowi s’est rapproché de figures politiques locales, comme Dedi Mulyadi et Deddy Mizwar, candidats aux élections provinciales de 2018. Au sud de Banten, à Lebak, l’équipe de campagne a demandé à la préfète et au clan de son père, les Jayabaya, de coopter les communautés traditionnelles Kasepuhan, afin d’obtenir au moins 75 % de votes dans la région[45]Information transmise par un groupe de recherche local spécialisé sur ces communautés, et par un spécialiste indonésien de la politique régionale (entretiens anonymes, mars 2019). Les … Continue reading. Enfin, les services de renseignements [BIN] ont coordonné, au travers de certains grands organes de presse et d’information en ligne, un audit visant à identifier les figures et réseaux d’influence régionaux et ainsi à élaborer les stratégies électorales les plus adéquates[46]Entretien avec le coordinateur de l’un de ces programmes à Java Ouest (mars 2019)..

Conclusion

Les principales dynamiques ayant marqué les relations militaro-religieuses en Indonésie durant le dernier quinquennat présidentiel se sont déployées autour des mobilisations anti-gouvernementales en 2016-2017, puis des stratégies de riposte engagées par le camp présidentiel. Les mobilisations d’opposition, soutenues par des généraux en exercice et à la retraite, ont été relayées dans la rue et les médias en ligne par des organisations islamistes conservatrices, à l’instar du puritain Front des défenseurs de l’islam [FPI], puis d’organisations d’inspiration salafiste (comme la Wahdah Islamiyah et le MIUMI, précédemment cités). Comme je l’ai montré tout au long de cette note, ces épisodes ne révèlent pas une mobilisation structurelle des groupes islamistes d’opposition par les militaires, mais plutôt des actions individuelles, entreprises par des éléments issus de l’armée et exerçant sur elle une influence limitée et, dans la plupart des cas, régionalisée.

Le gouvernement a réagi à partir de la mi-2017, en soumettant au Parlement des lois et amendements visant à restreindre le poids politique de ces organisations islamistes, en menant une campagne de contre-narration en ligne, en se rapprochant de groupes musulmans nationalistes et en procédant à des remaniements au sein de l’armée. Le camp présidentiel a également mobilisé les milices civiles Ormas, les écoles d’arts martiaux et les réseaux traditionnalistes régionaux, s’efforçant de multiplier les sources de soutien et de restreindre ainsi sa dépendance aux haut-gradés de l’armée les plus influents, ainsi qu’aux organisations musulmanes nationalistes avec lesquelles il est allié. La gestion gouvernementale des relations militaro-religieuses s’est donc adossée à la division de l’opposition et à la multiplication des pôles de soutien.

L’un des défis du gouvernement lors du prochain mandat sera de contenter les deux pôles de pouvoir, islamiste et militaire, tout en contenant leur influence. Comme l’a illustré le poids exercé par les militaires sur les mobilisations antigouvernementales, le contrôle institutionnel sur l’armée n’a pas encore atteint un degré de maturité suffisant pour prémunir le pays contre l’impact potentiel de fluctuations politiques contingentes, contre une crise économique qui affecterait les prébendes sur lesquelles reposent les finances de l’armée, ou face à une atteinte sérieuse à l’intégrité du territoire, par exemple avec la question de la Papouasie[47]Sur ce dernier point, cf. A. D. Wiradikarta, op. cit., 2017.. Le retrait politique de l’armée opéré depuis 1998 n’est pas irréversible et en temps de crise le système militaire de commandement territorial pourrait être utilisé comme support d’intervention politique[48]M. Mietzner, « The political marginalization of the military in Indonesia. Democratic consolidation, leadership and institutional reform », in M. Mietzner (dir.), The political resurgence of the … Continue reading. Pour limiter ce risque, la stratégie de Jokowi semble s’appuyer sur l’influence déstructurante-restructurante des figures religieuses et militaires qui lui ont prêté « allégeance » récemment, tout en s’appuyant sur les rivalités entre les différentes factions.

Les retombées de cette stratégie transparaissent dans l’évolution des coalitions qui se sont formées au cours des campagnes électorales pour les scrutins d’avril 2019, puis après les élections. Autre événement indicateur, le général Nurmantyo, soutien des mobilisations d’opposition lorsqu’il était chef de l’Etat-major, s’est rétracté après son départ à la retraite, fin 2017, vraisemblablement pour des raisons qui relèvent d’une stratégie électorale visant l’horizon 2024[49]Après s’être efforcé durant dix-huit mois de maintenir une position neutre entre les deux binômes candidats à la présidentielle, depuis 2019 il a un avantage certain à se rapprocher de … Continue reading. Par ailleurs, après plusieurs années de polarisation croissante entre les deux blocs antagonistes qui structurent l’arène politique nationale, les tentatives de rapprochement entre Jokowi et Prabowo depuis le mois de juillet pourraient annoncer un profond réaménagement des lignes de fracture. Il ressort que le prix payé par le camp gouvernemental pour que les menaces de déstabilisation issues des champs militaire et islamique soient sous contrôle relève d’une posture de plus en plus autoritaire[50]T. Power, « Jokowi’s Authoritarian Turn and Indonesia’s Democratic Decline », Bulletin of Indonesian Economic Studies, vol. 54, n° 3, 2018, pp. 307-338. et d’accommodements compromettants avec l’opposition.

 

 

 

 

Notes

Notes
1 Il s’agit d’élections législatives et des élections présidentielles, toutes deux à un tour. Les présidentielles ont vu la victoire de Jokowi-Amin, avec 55,5 % des voix exprimées, face à Prabowo Subianto-Sandiaga Uno
2 G. Facal, « L’Indonésie et les élections simultanées de 2019 – La tempête avant le calme ? », Politique Internationale, n° 163, pp. 315-128.
3 Initialement portées par le Front des défenseurs de l’islam [Front Pembela Islam, FPI], promoteur d’un islam puritain d’orientation traditionnaliste, les mobilisations ont finalement contribué à renforcer l’influence d’organisations d’inspiration salafiste, comme la Wahdah Islamiyah, le GNPF-MUI (cf. infra), et le Conseil des jeunes intellectuels et oulémas d’Indonésie [Majelis Intelektual dan Ulama Muda Indonesia, MIUMI], actifs sur les réseaux sociaux et au sein des groupes de prédication [Majelis ta’lim]. Au terme de la campagne électorale, les prédicateurs télévangélistes conservateurs, comme Abdul Somad ou Adi Hidayat, ont également été courtisés par Prabowo.
4 Créée en 1945, elle compte environ 470 000 soldats et 400 000 réservistes. Son budget annuel est d’environ 10 milliards de dollars, et a été accru tout au long du mandat du Président, en particulier les dépenses concernant la marine.
5 Celles-ci sont catégorisées par la loi en fonction de trois critères : religieux, culturel/coutumier (c'est-à-dire un identitarisme régionaliste), et nationaliste.
6 Le Kostrad compte environ 35 000 hommes, basés régionalement dans des bataillons (entre 800 et 1600 soldats par unité). C’est en tant que chef du Kostrad (à l’époque nommé Caduad) que Suharto a gagné en influence au début des années 1960, de même que son assistant au Caduad et son futur bras droit, Ali Murtopo.
7 En premier lieu en restreignant leur portée politique, le régime imposant la création d’un parti politique islamique unique, le Parti pour l’unité et le développement [Partai Persatuan Pembangunan, PPP].
8 M. Mietzner, Military Politics, Islam and the State in Indonesia: From Turbulent Transition to Democratic Consolidation, Singapour, ISEAS, 2009, p. 141. Plus profondément, bien que la structure organisationnelle ait été modifié à sept reprises (la dernière date de 2018) depuis 1998, les politiques de fonctionnement sont restées intactes (E. Laksmana, « Unpacking Indonesia’s civil–military relations under Jokowi », The Strategist, 31 octobre 2017).
9 A. D. Wiradikarta, « Indonésie plurielle Indonésie : le spectre d'un retour de l'armée en politique », Asialyst, 3 novembre 2017 [URL : https://asialyst.com/fr/2017/11/03/indonesie-spectre-retour-armee-politique/].
10 Celle-ci luttait pour la formation d’un État islamique et elle prit le maquis de 1949 jusqu’à 1963, année de sa dissolution.
11 Certaines mannes continuent de profiter aux militaires, par exemple dans le secteur de l’agriculture (à ce titre et de façon significative, Prabowo est président de l’Association nationale des paysans d’Indonésie [Himpunan Kerukunan Tani Indonesia, HKTI]). Dans ce secteur, qui emploie 40 % de la main d’œuvre, les militaires détiennent le monopole de la distribution de fertilisants et garantissent les objectifs productivistes du pays. Ils participent aussi aux travaux de moisson et à la construction des infrastructures agricoles.
12 G. Facal, “Islamic Defenders Front militia (FPI) of Indonesia and its impact on growing religious intolerance since 2014”, Nanyang Technological University, Singapour, Trans-Regional and -National Studies of Southeast Asia, 2019 [http://dx.doi.org/10.1017/trn.2018.15].
13 Par ailleurs, plusieurs épisodes indiquent que des commandants régionaux ont armé des milices locales ou extérieures pour prendre part au « djihad » (entretiens avec les coordinateurs de convois de djihadistes vers Ambon et Poso (Serang 2017). Les violences concernent des rafles antichinoises et exactions commises contre les activistes pro-réformes, particulièrement les étudiants, sur l’île de Java. Elles comprennent aussi des conflits à caractère ethno-religieux dans l’archipel des Moluques, dans les provinces de Kalimantan Est et Centre, et celle de Sulawesi Centre (J. Bertrand, Nationalism and Ethnic conflict in Indonesia, Cambridge, Cambridge University Press, 2004).
14 M. Mietzner, op. cit., 2009, p. 131.
15 Le gouvernement indonésien de la Papouasie occidentale peut être caractérisé comme une occupation militaire/policière en cours, impliquant surveillance, persécution, assassinats ciblés et restriction de l’information destinée à la communauté internationale (P. King, « Anatomy of an Occupation: The Indonesian Military in West Papua », Centre for Peace and Conflict Studies, août 2011, p. 2).
16 Plus tard, en juillet 2016, le ministre indonésien des Affaires politiques, légales et de sécurité, Luhut Pandjaitan, annonça que le gouvernement rejetait le verdict qui venait d’être émis par le tribunal de La Haye. Celui-ci qualifiait les événements de 1965 de crimes contre l’humanité, établissant que 400 000 et 500 000 personnes avaient été assassinées et 600 000 emprisonnées (Marguerite Afra Sapiie, « Indonesia denies foreign involvement, genocide in 1965 communist purge », The Jakarta Post, 21 juillet 2016).
17 « Menteri Pertahanan: LGBT Itu Bagian dari Proxy War » [Le ministre de la Défense : les LGBT font partie d’une guerre par procuration], Tempo.co, mardi 23 février 2016.
18 Mietzner et B. Muhtadi, « Explaining the 2016 Islamist Mobilisation in Indonesia: Religious Intolerance, Militant Groups and the Politics of Accommodation », Asian Studies Review, volume 42, n° 3, 2018.
19 Cette organisation n’est pas reconnue par le NU et vise à le concurrencer sur la base d’une surenchère en termes d’orthodoxie et d’authenticité islamiques.
20 Entretien avec des membres du FPI de Serang (avril 2018).
21 G. Nurmantyo, Berjuang dan Bergotong Royong mewujdkan Indonesia sebagai Bangsa pemenang [Lutter et s’entraider pour faire de l’Indonésie une nation victorieuse], livret collecté lors d’une allocution de Nurmantyo à l’Université islamique d’Etat de Serang en juillet 2017.
22 Le Pancasila établit une doctrine en cinq principes, au fondement de la Constitution et des institutions indonésiennes. Sur les implications du Pancasila dans la gestion gouvernementale de la question religieuse, cf. D. Alles, « Le dialogue interreligieux en Indonésie : de la réinvention d’une tradition à sa projection internationale », Les Champs de Mars, vol. 26, n° 1, 2015, pp. 136-151.
23 https://www.kemhan.go.id/wp-content/uploads/2016/04/BPPI-INDO-2015.pdf.
24 R. Madinier, « Jokowi, un trublion dans la Reformasi des oligarques », Archipel, vol. 91, 2016, pp. 278-280.
25 Secrétaire militaire du Président en 2015-2016, il a ensuite été nommé Inspecteur général au sein du ministère de la Défense en 2016-2017, puis Chef de l’Armée de l’air en janvier 2017. Le précédent commandant issu de l’armée de l’air, le maréchal Djoko Suyanto (2006-2007), occupa le plus court poste de la Reformasi (22 mois) et eut principalement pour fonction de contribuer à la prise en main par le gouvernement des activités financières de l’armée (E. Laksmana, « What can we expect from Indonesia’s new defence chief? », The Strategist, 13 décembre 2017.
26 BBC Indonesia, « Ratusan jenderal dan kolonel TNI menganggur: Antara dwifungsi dan 'anggaran gaji yang hangus sia-sia' » [Des centaines de généraux et colonels au chômage : entre la double fonction et des provisions de salaires qui disparaissent ‘de façon inexplicable’], 7 février 2019.
27 Institute for policy analysis of conflict, « After Ahok: The Islamist Agenda in Indonesia », rapport n° 44, 6 avril 2018.
28 Image qui laisse pourtant dans l’ombre la réalité du parcours de Prabowo, limogé, mais non châtié, en juin 1998, pour avoir reconnu sa participation dans une série d’enlèvements de militants syndicaux et d’activistes étudiants, torturés des semaines durant, alors qu’il était commandant des Forces spéciales.
29 Chef de l’armée stratégique [Kostrad] en 1998-2000, Zein fut le chef de campagne de Prabowo durant la présidentielle de 2014. Pour la campagne de 2019, c’est l’ancien commandant des armées (2007-2010), Djoko Santoso, qui a été désigné par Prabowo à cette fonction.
30 Il fut commandant des Forces spéciales en 1993-1994, puis ministre dans trois ministères entre 1999 et 2001. Il a été nommé en janvier 2018 membre du Conseil consultatif présidentiel.
31 Entraînés par les Etats-Unis et disposant de liens avec d’anciens officiers du Special Action Service (SAS) britannique et avec la firme de mercenaires sud-africaine Executive Outcomes, les Kopassus ont pris part à la majorité des campagnes de répression au Timor-Oriental, en Papouasie et à Aceh, au nord de Sumatra.
32 Ministre coordinateur des affaires politiques, légales et de sécurité depuis 2016, accusé de multiples violations des droits de l’homme commises au Timor oriental en 1999, alors qu’il était ministre de la Défense et de la Sécurité et commandant des forces armées (1998-1999).
33 Hendropriyono fut à la tête du commandement militaire en 1987-1991 et à ce titre fut l’un des responsables du massacre contre les activistes musulmans à Lampung en 1989. Il fut également membre des Forces spéciales, dirigeant des Services de renseignement (Badan Intelijen Negara, BIN, 2001-2004) et le commanditaire présumé en 2004 de l’assassinat de l’activiste des droits de l’homme, Munir Said Thalib (en 2018, le chef de la Police, Tito Karnavian, a donné comme instruction au nouveau chef de la Police Judiciaire, Arief Sulistyanto, de rouvrir ce dossier). En mai 2018, le fils d’Hendropriyono, Diaz Faisal Malik, l’a remplacé à la tête du Parti pour la justice et l’unité de l’Indonésie [Partai Keadilan dan Persatuan Indonesia, PKPI], qui fut autrefois dirigé par des généraux influents, comme Edi Sudrajat et Sutiyoso. Toujours en 2018, Diaz Faisal Malik a intégré le Cabinet présidentiel.
34 « Presiden Jokowi minta Babinsa jelaskan ke publik bahwa dirinya tidak terkait dengan PKI » [Jokowi demande aux sous-officiers de commune de faire savoir au public qu’il n’a pas de lien avec le PKI], BBC Indonesia, 17 juillet 2018.
35 Il s’agit d’une révision de la loi antiterroriste de 2003, projet de révision déjà envisagé depuis plusieurs années. Outre ses impacts formels, cet accroissement du rôle de l’armée dans la lutte contre le terrorisme a des implications potentielles indirectes sur les relations civilo-militaires, du fait que les services de renseignement s’adossent à un vaste réseau d’informateurs au sein de la société civile, à commencer par les oulémas (enquêtes en 2017 et 2018 à Banten et dans la région de Jakarta).
36 Dès mai 2017, des organisations comme Imparsial et la Komnas HAM (Commission nationale des droits de l’Homme) ont dénoncé ce projet comme dangereux pour la démocratie.
37 M. W. Mohamed Osman, « Reviving the Caliphate: Hizbut Tahrir and Its Mobilisation Strategy in Indonesia », Terrorism and Political Violence, 2010, vol. 22, n° 40, pp. 601-622.
38 Cette organisation est au cœur de ce que certains analysent comme une forme de soft power indonésien, visant à mettre en avant l’existence d’un islam modéré et démocratique afin, entre autres, que l’Indonésie bénéficie d’aides extérieures et s’impose comme modèle de gestion du religieux au sein de la communauté internationale (cf. E. Laksmana, « Foreign Policy implications of Jakarta’s election », The Jakarta Post, 7 juin 2017).
39 D. Greenlees, « Jokowi on track for a second term, but can he deliver? », The Strategist, 16 avril 2019.
40 Outre la mobilisation de ces écoles pour éradiquer l’opposition, Suharto les utilisa ensuite pour asseoir son contrôle dans les régions. Son épouse inaugura elle-même le centre national d’arts martiaux Padepokan Pencak Silat Taman Mini Indonesia, à Jakarta en 1997.
41 Multiples entretiens avec le dirigeant régional du Pagar Nusa à Banten, entre 2017 et 2019.
42 Entretiens avec un membre dirigeant de l’équipe de campagne du binôme à Java Ouest, ainsi qu’avec plusieurs spécialistes du politique en Indonésie (mars 2019). Par ailleurs, le Président a publiquement exhorté les forces de police et de l’armée à soutenir les programmes de développement entrepris par son gouvernement (Bimo Wiwoho, « Libatkan TNI/Polri, Jokowi Ingatkan Publik ke Dwi Fungsi ABRI » [En impliquant l’armée et la police, Jokowi semble ressusciter la double fonction de l’armée], CNN Indonesia, 24 août 2018).
43 Dans le cadre d’un programme intitulé Cakra, le curriculum coréen du Jong Moo Do est remplacé par une synthèse de l’art martial malais, le pencak silat, celui-ci étant purifié pour l’occasion de ses éléments islamiques jugés déviants, ce qui inclue les pratiques mystiques et de possession (enquêtes in situ, dans le centre d’entraînement de Karawang, où ce programme a été inauguré le 17 mars 2019).
44 Ces régions sont essentiellement celles marquées historiquement par des épisodes de militantisme islamique, particulièrement celui de l’organisation Darul Islam.
45 Information transmise par un groupe de recherche local spécialisé sur ces communautés, et par un spécialiste indonésien de la politique régionale (entretiens anonymes, mars 2019). Les résultats escomptés sont loin d’avoir été atteints, avec un score de 34 % seulement.
46 Entretien avec le coordinateur de l’un de ces programmes à Java Ouest (mars 2019).
47 Sur ce dernier point, cf. A. D. Wiradikarta, op. cit., 2017.
48 M. Mietzner, « The political marginalization of the military in Indonesia. Democratic consolidation, leadership and institutional reform », in M. Mietzner (dir.), The political resurgence of the military in Southeast Asia: Conflict and Leadership, Londres, Routledge, 2011, p. 144.
49 Après s’être efforcé durant dix-huit mois de maintenir une position neutre entre les deux binômes candidats à la présidentielle, depuis 2019 il a un avantage certain à se rapprocher de Jokowi, le camp de Prabowo disposant déjà de nombreux candidats potentiels pour les prochaines échéances en 2024.
50 T. Power, « Jokowi’s Authoritarian Turn and Indonesia’s Democratic Decline », Bulletin of Indonesian Economic Studies, vol. 54, n° 3, 2018, pp. 307-338.
Pour citer ce document :
Gabriel Facal, "Relation militaro-religieuses en Indonésie en 2019 : mobilisation islamiste par l’opposition et contre-feux gouvernementaux". Notes de l'Observatoire international du religieux N°08 [en ligne], mai 2019. https://obsreligion.cnrs.fr/note/relation-militaro-religieuses-en-indonesie-en-2019-mobilisation-islamiste-par-lopposition-et-contre-feux-gouvernementaux/
Auteur.e.s

Gabriel Facal, chercheur associé au Centre Asie du Sud-Est

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