Note N°06

septembre 2018

Religion et politique en Côte d’Ivoire : un demi-siècle d’intimités ambivalentes

Marie Miran-Guyon et Bony Guiblehon

Introduction : l’ambivalence comme clé de lecture des relations théologico-politiques ivoiriennes

En dépit de sa laïcité constitutionnelle, entérinée à l’indépendance en 1960 et réaffirmée dans la dernière constitution de la IIIe République en 2016, la Côte d’Ivoire se pense comme un « pays béni de Dieu[1]Poncif toujours en service, quoique parfois moqué à force d’être galvaudé. Voir par exemple l’éditorial de Venance Konan, Fraternité Matin, 26 décembre 2017 [URL : … Continue reading ». Les discours à la nation du chef de l’État se terminent par l’invocation propitiatoire « Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire ! » et nombreux sont les guides religieux ivoiriens qui formulent à l’unisson des bénédictions publiques à l’endroit de la nation et du chef de l’État. La séparation du religieux et du politique, formulée sur le papier, est en partie fictive dans la pratique. Si les deux champs se veulent autonomes et ne sont pas, de fait, réductibles l’un à l’autre, ils ont aussi développé, en plus d’un demi-siècle de vie politico-religieuse nationale, une intimité particulière aux contours changeants et parfois ambigus, allant bien au-delà du vernis cérémoniel.

Depuis 2011, pour la première fois de son histoire, la Côte d’Ivoire est dirigée par un président de confession musulmane, dont le mandat a été renouvelé en 2015 pour cinq ans. Alassane Ouattara a succédé au pentecôtiste Laurent Gbagbo, après une décennie de troubles politico-militaires dont l’apogée a été les violences sans précédent de la crise postélectorale de 2010-2011. Gbagbo, élu en 2000, avait rompu avec la lignée des présidents catholiques issue du père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, bâtisseur de la monumentale basilique Notre-Dame-de-la-Paix à Yamoussoukro. Pourtant, malgré les changements de régime et de coloration confessionnelle des hommes au pouvoir, ainsi que les âpres soubresauts aux accents parfois messianiques qui les ont accompagnés, les relations théologico-politiques en Côte d’Ivoire sont restées empreintes d’indéniables continuités, par-delà certains revers et ajustements de circonstance. Les convergences entre acteurs politiques et acteurs religieux semblent même s’accentuer, notamment en termes de gestion de l’autorité, des ressources symboliques ou matérielles et de comportement au sens large.

Cette note d’analyse propose de revisiter les relations entre religion(s) et politique en Côte d’Ivoire au prisme de l’ambivalence de leurs intimités et plus rarement, de leurs inimitiés. La première section rappelle le profil confessionnel du pays. La deuxième présente la laïcité « philocléricale » pratiquée par l’État ivoirien. Suivent des sections privilégiant chacun des grands ensembles religieux au cœur de la diversité confessionnelle ivoirienne : l’Église catholique, le milieu protestant et évangélique, la communauté musulmane, et, en contrechamp — car plus distantes du politique et des autres acteurs religieux, à tout le moins en apparence — les religions africaines traditionnelles.

Données géodémographiques : pluralité religieuse sur tout le territoire

La Côte d’Ivoire est un pays pluriconfessionnel dans lequel aucune religion ne domine. Le dernier recensement officiel (RGPH 2014[2]Poncif toujours en service, quoique parfois moqué à force d’être galvaudé. Voir par exemple l’éditorial de Venance Konan, Fraternité Matin, 26 décembre 2017 [URL : … Continue reading) enregistre 42,9 % de musulmans à l’échelle nationale, 33,9 % de chrétiens toutes Églises confondues (dont 17,2 % de catholiques, 13,5 % de protestants et évangéliques et environ 1 % d’adeptes d’Églises prophétiques africaines), une proportion imprécise[3]Les « animistes » représenteraient 3,6% de la population selon le RGPH 2014, qui relève par ailleurs que 19,1% de résidents se déclarent « sans religion ». Cette dernière donnée est … Continue reading mais non négligeable de dits « animistes », et de nombreuses autres communautés religieuses très minoritaires, dont les bouddhistes de la branche Soka Gakkai (environ 30 000 membres). Les conversions et les cumuls religieux sont fréquents et généralement tolérés. Des pratiquants de diverses religions cohabitent paisiblement dans de nombreuses familles. Ceci concerne tous les grands groupes ethniques du pays — les Akan dont l’implantation historique se situe au Centre, à l’Est et au Sud-Est ; les Krou, à l’Ouest et au Sud-Ouest ; les Gour au Nord et au Nord-Est, et les Mandé au Nord et au Nord-Ouest — et ce, même si certains groupes ethniques sont globalement plus marqués par l’islam (comme les Malinké, un sous-groupe Mandé du Nord) ou plus marqués par le christianisme (comme les Ébriés, un sous-groupe Akan lagunaire dont le foyer est Abidjan et sa région).

À noter que 72 % des non-nationaux, représentant 24,2 % de la population résidente en 2014, pour la plupart Burkinabè, Maliens et Guinéens, sont musulmans. Les statistiques démographiques des seuls nationaux ivoiriens sont sensiblement différentes, en ce que l’ensemble chrétien (39,1 %) l’emporte sur les musulmans (33,7 %) [voir annexe n° 1].

À la fin du XIXe siècle, la présence de l’islam était limitée au nord soudano-sahélien, alors majoritairement animiste. L’économie de plantation coloniale favorisa le développement du sud forestier et un mouvement pérenne de migration nord-sud. De nos jours, 75 % des musulmans résident dans le Sud, contre 25 % dans le Nord. Dans le même temps, des communautés chrétiennes se sont déployées dans le Nord, quoiqu’en moindre proportion. L’image d’une Côte d’Ivoire divisée entre un Sud chrétien et animiste et un Nord musulman est donc un raccourci fallacieux [voir annexe n° 2].

Gestion politique de la diversité religieuse : une laïcité philocléricale à l’ivoirienne

Depuis son arrivée au pouvoir en 2011, Alassane Ouattara, ancien directeur général adjoint du FMI marié à une Française catholique, a nommé, dans le cadre de la réconciliation nationale, deux religieux au sein de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR, 2011-2015) : le cheikh Aboubacar Fofana, président du Conseil supérieur des imams (COSIM), et Mgr Paul-Siméon Ahouana, archevêque métropolitain de Bouaké. Mgr Ahouana servit ensuite comme président de la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (CONARIV, 2015-2017) — faute de réelle volonté politique, ces deux organes n’ont toutefois guère obtenu de résultats. Des représentants de l’Église catholique et du COSIM siègent également à la Commission électorale indépendante (CEI). Le Président Ouattara a effectué des visites officielles en Arabie Saoudite, au Vatican et en Israël. Son gouvernement subventionne généreusement le pèlerinage des musulmans à la Mecque, des catholiques à Lourdes, des protestants et évangéliques en Terre sainte et des fidèles des prophétismes africains en terre africaine. Le gouvernement contribue financièrement à l’organisation des grandes fêtes et des conventions religieuses, ainsi qu’à la construction ou restauration de certains édifices cultuels, sans compter les contributions personnelles de serviteurs de l’État.

Cette politique rappelle l’approche œcuménique promue par le père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, qui avait une conception philocléricale de la laïcité constitutionnelle, plus proche du modèle anglo-saxon que du modèle français. S’affichant président croyant, Houphouët-Boigny tenait pour acquis le fait que les religions doivent jouer un rôle majeur dans le développement du pays, en dialogue avec l’État[4]M. Miran, Islam, histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006..

La mort d’Houphouët-Boigny fin 1993 et l’exacerbation de la crise économique semblèrent sonner le glas d’une Côte d’Ivoire qui aspirait au développement dans une certaine tolérance et hospitalité, et dans laquelle les musulmans, y compris les nombreux migrants de la CEDEAO[5]La CEDEAO est la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Elle compte 15 pays membres dont 8 pays francophones (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, … Continue reading, étaient relativement intégrés. La lutte politique féroce des successeurs d’Houphouët-Boigny généra l’idéologie de la préférence nationale dite de « l’ivoirité ». Pour exclure la candidature d’Alassane Ouattara, ex-Premier ministre d’Houphouët-Boigny, la politique « ethnonationaliste » lancée par Henri Konan Bédié (1994-1999) et poursuivie par le général Robert Gueï (1999-2000), puis Laurent Gbagbo (2000-2010), a repris et amplifié l’assimilation des musulmans — aussi qualifiés du terme générique de « Dioula[6]Dioula signifie littéralement « commerçant ambulant » en malinké. En contexte migratoire depuis les temps coloniaux, le terme a pris une signification exogène (et récemment péjorative), … Continue reading » — à des étrangers voire à des ennemis de la nation, discriminant en bloc une frange importante de la population ivoirienne.

Les violences s’amplifièrent avec l’élection de Laurent Gbagbo en octobre 2000. Le 19 septembre 2002, des mutins originaires du Nord ivoirien et soutenus par le Burkina Faso tentèrent un coup d’État contre le régime en place. Il s’en suivit huit ans de division de la Côte d’Ivoire entre un Sud progouvernemental resté sous contrôle du président Gbagbo, et un Nord rebelle passé dans le giron des Forces Nouvelles dirigées par Guillaume Soro (catholique Sénoufo). Converti au pentecôtisme avec son épouse en 1998, Gbagbo et ses soutiens évangéliques et patriotiques assimilèrent la rébellion et les partis d’opposition soutenant la rébellion à l’œuvre du diable contre le plan de Jésus de faire de la Côte d’Ivoire une nouvelle Jérusalem[7]J.-P. Dozon, L’Afrique à Dieu et à diable : Etats, ethnies et religions, Paris, Ellipses, 2008 ; M. McGovern, Making War in Côte d’Ivoire, Chicago, Chicago University Press, 2011 ; R. … Continue reading. Les violences resurgirent avec force après la contestation par le camp Gbagbo des résultats de la présidentielle de 2010, favorables au candidat Ouattara. Des mosquées et des églises furent attaquées, des imams et des pasteurs assassinés. Tout laisse à croire que les plus belliqueux des proches de l’ancien président voulaient faire basculer le conflit politico-électoral dans la guerre religieuse[8]S. Smith, « The Story of Laurent Gbagbo », London Review of Books, 2011, vol. 33, n°10, p. 10-12, [URL: http://www.lrb.co.uk/v33/n10/stephen-w-smith/the-story-of-laurent-gbagbo]; M. Miran-Guyon, … Continue reading. Dans le même temps, non sans ambivalence, Gbagbo — marié en deuxièmes noces à une nordiste musulmane — continuait à financer, entre autres, le pèlerinage à la Mecque ou la monumentale mosquée du Plateau à Abidjan…

Depuis 2011, la laïcité philocléricale privilégiant la cooptation financière par élites interposées a donc repris les devants avec force visibilité. Les contributions financières se poursuivent. L’école publique ne dispense pas de cours en religion, mais les écoles religieuses qui satisfont aux critères de l’État (viabilité des locaux et enseignement a minima du programme éducatif officiel en français) sont subventionnées par le ministère de l’Éducation.

Le paysage médiatique est un exemple tangible de l’intimité entre religion(s) et État. La Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA, autorité administrative indépendante) a autorisé seize radios confessionnelles, dont trois sont nationales : la Radio (islamique) Al Bayane, la Radio Espoir catholique et la Voix de l’Espérance protestante, les autres étant des radios de proximité [voir annexe n° 3]. Selon deux études réalisées par Médiamétrie et Omédia en 2016, et confirmées par une autre étude en 2017, avec plus de 250 000 auditeurs quotidiens, Al Bayane est la radio la plus écoutée en Côte d’Ivoire au niveau national[9]Voir par exemple La Croix, 3 avril 2017 [URL : https://africa.la-croix.com/al-bayane-media-islamique-trone-tete-radios-ivoiriennes/].. Elle devance ainsi RFI et la radio musicale Nostalgie. Radio Espoir se positionne en quatrième place, loin devant la radio publique, Radio Côte d’Ivoire, et ONUCI-FM, la radio de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire, devenue après son départ en 2017, la Radio de la paix. Dans un séminaire organisé le 11 avril 2018 à l’attention des 16 radios confessionnelles, le président de la HACA rappelait que dans nombre de pays, les radios confessionnelles ne sont pas éligibles à l’octroi de licences. « Bien que l’État de Côte d’Ivoire soit laïc », poursuivait-il, « on ne peut nier qu’il fasse beaucoup pour les religions en général. (…) La Côte d'Ivoire a fait le choix de faire confiance. Il s’agit donc, sinon d’une exception tout au moins, d’une bonne compréhension de la laïcité qui n’a pas vocation à éradiquer le fait religieux, mais bien au contraire, à permettre l’épanouissement équitable de tous les courants[10]Discours d’Ibrahim Sy Savané, président de la HACA, 11 avril 2018, Eden Golf, Abidjan.». La HACA invitait dès lors ces acteurs médiatiques à renforcer, par leurs programmes, la promotion de la « cohésion sociale » (concept ayant de facto pris les devants sur celui de réconciliation dans la sphère publique), cohésion sociale présentée comme consubstantielle de leur mission de radios confessionnelles, tout en étant aussi prioritaire dans la politique gouvernementale. La HACA demandait en outre à ces radios qu’elles s’abstiennent de diffuser des contenus contre les autres religions. Mi-2018, un imam et un pasteur ont été arrêtés et condamnés pour des discours dans les médias sociaux tenus par les autorités comme une incitation à la haine religieuse et ethnique, mais ce sont là des acteurs isolés en marge de leurs communautés.

L’Église catholique face à l’État : une prééminence historique entamée

Au fil de son long règne (1960-1993), Félix Houphouët-Boigny, fervent catholique, a entretenu des relations privilégiées quoique ambiguës avec l’Église catholique. Houphouët-Boigny avait inscrit la religion au cœur de son pouvoir et il privilégia la sienne, en la mettant à son service et à celui de l’État. Toutefois, les rapports d’Houphouët-Boigny avec le Cardinal Bernard Yago (1916-1997), figure charismatique de l’Église romaine d’après l’indépendance, s’avérèrent difficiles. Le prélat resta en effet un homme libre, critique de l’« ingénierie politique particulière[11]F. Akindès, The roots of the military-political crises in Côte d’Ivoire, Uppsala, Nordiska Afrikainstitutet, 2004, n°46. » d’Houphouët-Boigny. Il blâma notamment la gestion paternaliste du pouvoir et la philosophie du « grilleur d’arachides », indulgente face à la corruption, ainsi que les épisodes dits des « faux complots » (1963-71), ayant décapité toute opposition politique.

Malgré ses relations délicates avec le cardinal, Houphouët réussit à nouer des rapports solides avec l’Église catholique et à la faire rayonner dans l’espace politique. En témoigne le financement public d’édifices catholiques imposants dont la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan-Plateau et surtout la basilique de Yamoussoukro, un « don » faramineux[12]40 milliards de francs CFA (environ 61 millions d’euros). qui créa de vives polémiques dans le contexte d’une récession économique sévère et d’une fin de règne tourmentée. Le président contribua aussi, mais bien plus modestement, à la construction d’églises méthodistes et de mosquées. Houphouët-Boigny favorisa par ailleurs « l’intégration nationale »[13]E. Lanoue, « École catholique et décolonisation ecclésiale. Socio-histoire d’une controverse sous la Première République de Côte d’Ivoire », Archives de Sciences sociales des Religions, … Continue reading des écoles catholiques privées dans le système éducatif ivoirien, lesquelles écoles bénéficièrent d’importantes subventions de l’État, qui restent à ce jour plus élevées que celles des autres écoles privées. Quelques écoles au statut ambivalent virent aussi le jour : à la fois publiques (étatiques) et catholiques, quoiqu’ouvertes à tous. Au premier rang de celles-ci figure le collège, devenu lycée d’excellence, Sainte Marie de Cocody, destiné à former aux valeurs de l’État et de l’Église l’élite des jeunes filles de la Côte d’Ivoire. Les catholiques ont ainsi grandement contribué à former et socialiser l’élite du pays, y compris l’élite socio-économique musulmane.

L’influence de l’Église catholique décrut fortement après la mort d’Houphouët-Boigny. L’enlisement de la crise économique contraignit l’État à geler les fonds alloués aux écoles privées, ce qui causa d’énormes pertes financières à l’Église romaine[14]E. Lanoue, « Acteurs, enjeux et tendances des écoles catholiques en Afrique subsaharienne : Le cas de la Côte-d’Ivoire (1960-2000) », Bordeaux, Centre d’études d’Afrique Noire, 2002, n° 72. Dans le même temps, l’Église fut concurrencée par des mouvements pentecôtistes et évangéliques, plus actifs et plus visibles, qui trouvèrent des relais politiques auprès du couple Gbagbo. L’Église catholique s’en trouva divisée, notamment pendant la crise postélectorale de 2010-2011, la hiérarchie, derrière le cardinal Bernard Agré, étant jugée bienveillante à l’égard de Gbagbo, ce qui poussa d’autres acteurs, tels que Mgr Jean Salomon Lézoutié de Yopougon ou Mgr Antoine Koné d’Odienné, à un regard plus distancié, jugé favorable à Ouattara[15]E. Lanoue, « Acteurs, enjeux et tendances des écoles catholiques en Afrique subsaharienne : Le cas de la Côte-d’Ivoire (1960-2000) », Bordeaux, Centre d’études d’Afrique Noire, 2002, … Continue reading.

Forte de sa longue expérience et de ses solides réseaux, l’Église catholique n’en est pas moins restée active dans les médiations des crises sociopolitiques, que ce soit la crise opposant le président Bédié à l’opposition ivoirienne en 1995, ou celle opposant Gbagbo au président Gueï en 2000. Depuis la crise de septembre 2002, la Conférence épiscopale de Côte d’Ivoire a produit plus d’une dizaine de déclarations et ses prises de position, quoique moins pugnaces que par le passé, restent fortes vis-à-vis du pouvoir ou sur des questions de société. L’Église a aussi pris des initiatives en faveur du dialogue interconfessionnel, comme en témoigne la mise sur pied en 1995 du Forum des confessions religieuses de Côte d’Ivoire[16]B. Guiblehon, « Questionnement sur le dialogue interconfessionnel : le forum des confessions religieuses en Côte d’Ivoire », Gabonica, 2011, vol. 5, n° 5, p.165-177.. Ses institutions caritatives — Caritas, Emmaüs, etc. — sont fortement impliquées dans les œuvres sociales et humanitaires du pays, et certaines de ses églises ont servi de centre d’accueil pour les déplacés internes de toutes confessions pendant les crises après 2002 et 2010. Quoique les catholiques soient une communauté démographiquement minoritaire, l’Église catholique demeure in fine une institution forte, en prise sur l’État et la société.

Églises protestantes et évangéliques : montée en puissance d’un milieu divisé

Les Églises protestantes et évangéliques dessinent une architecture mouvante et en grande partie inorganisée : des Églises dites « historiques » côtoient une profusion d’Églises « évangéliques » et autres ministères « boutiques », entraînant une démultiplication de fédérations d’Églises, au leadership disputé, sur fond de divisions ethniques et de crises de (non) renouvellement des mandats électifs de présidents de ces Églises et fédérations. Ce contexte rend complexe la question de la représentativité de ce milieu et perturbe la lisibilité de son influence politique.

Selon la définition adoptée par le ministère ivoirien de l’Intérieur en charge des cultes, les « protestants » relèvent des Églises dites historiques, c’est-à-dire installées en Côte d’Ivoire en contexte missionnaire et colonial. Ainsi l’Église méthodiste unie de Côte d’Ivoire (EMUCI), la plus ancienne, introduite en Basse Côte dès les années 1870 par des méthodistes anglophones de Gold Coast (actuel Ghana), ou l’Union des Églises évangéliques services et œuvres de Côte d’Ivoire (UEESOCI) et l’Alliance chrétienne missionnaire de Côte d’Ivoire (CMACI), fondées au début du XXe siècle par des missions baptistes respectivement européennes et américaines. Pour éviter la concurrence et couvrir au mieux les terres de mission, ces Églises protestantes se sont implantées dans des régions différentes et sont depuis lors marquées par un ancrage géographique et ethnique fort. Chaque Église protestante est le domaine quasi réservé d’un ou de quelques groupes ethniques particuliers : EMUCI-Akan lagunaire ; CMACI-Baoulé (Akan du Centre) ; UEESOCI-Dan et Wè (Mandé du Sud et Krou de l’Ouest), etc.[17]B. Guiblehon, Le pouvoir-faire : religion, politique, ethnicité et guérison divine en Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2010. Cette configuration a favorisé la formation d’une conscience ethnique forgée dans le moule des nations bibliques. Les tentatives de « nationalisation » de ces Églises transposent et reproduisent à chaque nouvelle implantation, le même schéma ethnique et identitaire, à l’instar des partis politiques du pays : ce sont des individus originaires des régions fondatrices qui tendent à monopoliser la gestion de ces Églises dans les diverses régions dans lesquelles ils ont migré. Lors des échéances électorales nationales, les attitudes politiques des fidèles de ces Églises entrent en consonance avec la logique ethnique développée par les partis politiques. Il est donc simpliste de penser que tout le milieu protestant et évangélique a fait bloc derrière Gbagbo aux présidentielles de 2010 : le vote des fidèles baoulé CMACI, par exemple, ne lui a pas été massivement acquis.

Les Églises dites « évangéliques » et les Églises et missions d’initiatives africaines (EMIA) se définissent comme des Églises pentecôtisantes ou pentecôtistes, ou sont des branches dissidentes des Églises historiques, sans véritable leader. Chaque fondateur, leader de sa propre Église, s’attribue le titre qu’il estime le plus valorisant au plan social : évêque, apôtre, prophète, etc. Ces Églises, de tailles variées, ont essaimé sur tout le territoire national, sans ancrage ethnique. Exception faite des Assemblées de Dieu implantées en Côte d’Ivoire dès les années 1950, ces Églises pentecôtistes ont émergé au début des années 1980, avant de connaître un essor extraordinaire à partir des années 1990, dans un contexte de retour au multipartisme. Connues pour leur « identité chrétienne militante[18]S. Fath, Les Baptistes en France (1810-1950), Paris, Excelsis, 2002. » de type congrégationaliste, ces Églises se distinguent par une rhétorique matérialiste dite de la « théologie de la prospérité et de la guérison »[19]B. Guiblehon, « Les jeunes et le marché de la spiritualité pentecôtiste en Côte d’Ivoire », European Scientific Journal, 2012, vol. 8, n° 28, p. 115-135.. Leur approche décomplexée vis-à-vis de l’argent rencontre un franc succès parmi les couches les plus pauvres de la population. Ces mouvements sont dès lors devenus des concurrents, parfois menaçants, des Églises protestantes et des autres groupes religieux, sur lesquels ils exercent parfois une influence indirecte.

De la présidence d’Houphouët-Boigny à celle de Gueï, les Églises protestantes et évangéliques sont demeurées discrètes sur la scène publique. Mais l’accession de Laurent Gbagbo au pouvoir en 2000 a considérablement accru leur visibilité, jusqu’au cœur du pouvoir politique, en crise de légitimité. Des pasteurs furent ainsi nommés « coachs » ou guides spirituels des hommes au pouvoir[20]B. Guiblehon, « Laurent Gbagbo and the evangelical church in Côte d’Ivoire : ambiguous political affinities », International Journal for Religious Freedom, 2011, vol 4, n° 2, p. 37-59.. Les grands rassemblements évangéliques bénéficiaient du parrainage du couple présidentiel. Gbagbo s’est même personnellement impliqué dans la réorganisation du milieu protestant et évangélique et dans la résolution de leurs conflits internes, dans l’idée de pouvoir compter sur une organisation représentative et crédible, mais sans succès. Les organisations fédérales se sont au contraire démultipliées, entraînant un conflit générationnel entre les pasteurs « aînés » des Églises protestantes et les pasteurs plus jeunes des Églises évangéliques qui, cherchant à se positionner, accusent les premiers d’accaparer tous les leviers du pouvoir. Entrés en opposition face au président Gbagbo, ces jeunes pasteurs se sont ralliés à la politique d’Alassane Ouattara avant, pendant et après les élections de 2010. En 2011, ils ont créé une Commission évangélique de Côte d’Ivoire, non reconnue par les pasteurs aînés, mais soutenue financièrement par le nouveau régime.

Le religieux que les pasteurs au cœur du pouvoir ont convoqué dans l’arène politique lors des élections de 2010 était présenté comme source de l’autorité politique : tous les discours visaient à situer les événements et les acteurs politiques en conflit au sein d’une histoire biblique parallèle, L. Gbagbo étant par exemple identifié à David et les forces à lui opposées, à Goliath[21]B. Guiblehon, « Le marché des révélations divines dans le contexte de la crise en Côte d’Ivoire », Journal of the Anthropological society of Oxford-online, New Series, 2014, vol 6, n°1, p. … Continue reading. Cela a contribué à diffuser une puissante religiosité dans les cercles du pouvoir comme dans le corps social. Tel un effet boomerang, la crise postélectorale qui s’est soldée par la chute de Gbagbo, a fortement impacté les Églises protestantes et évangéliques. Elle a mis à nu les connexions, non limitées au champ spirituel stricto sensu, qui s’étaient durablement établies entre acteurs religieux et acteurs politiques ou économiques. La crise a également rapidement précipité la déstructuration et la recomposition de certaines Églises, entraînant des repositionnements à la tête des grandes fédérations. Elle a creusé des fractures au sein de certaines Églises, allant jusqu’à influencer le comportement politique et électoral des fidèles. Parallèlement, des Églises telles que l’Église méthodiste ou l’Église du Réveil, porteuses de crises de gouvernance interne liée au renouvellement des mandats électifs de leurs leaders, n’en finissent pas de se diviser : toutes deux ont formé deux structures, dirigées par deux présidents rivaux.

Communauté musulmane et régime Ouattara : nouvelles intimités et malaise social

Longtemps les musulmans en Côte d’Ivoire furent plus préoccupés de commerce que de politique, s’accommodant des autorités « infidèles » pour mieux se consacrer à l’éducation coranique et aux pratiques de piété. Les élites musulmanes d’aujourd’hui revendiquent cet héritage d’un islam paisible et accommodant, qui aurait pratiqué ce qu’elles définissent comme une forme de laïcité avant la lettre[22]M. Miran-Guyon, « Gloire et déboires de la laïcité en Côte d’Ivoire au prisme de l’imaginaire social musulman », dans G. Holder et M. Sow (dir.), L’Afrique des laïcités. État, … Continue reading. Dans le contexte du retour au multipartisme et de la crise dite de « l’ivoirité » du début des années 1990 [cf. infra], de lentes transformations internes ont catalysé la création de deux fédérations jumelées, le Conseil supérieur des imams (COSIM) l’instance majeure de l’islam ivoirien, sans équivalent ailleurs en Afrique subsaharienne, et le Conseil national islamique (CNI) désormais en perte de vitesse pour des raisons de leadership[23]Aucun différend doctrinal n’a opposé les présidents du COSIM et du CNI : il s’agit d’une simple rivalité personnelle, le président du CNI, Koudouss Idriss Koné, jalousant l’ascendant … Continue reading. Le tandem COSIM-CNI s’est aussi doté d’associations spécialisées à destination des élèves et étudiants, des jeunes travailleurs, des cadres, des femmes, du corps médical, de l’organisation du pèlerinage à la Mecque, etc. COSIM et CNI entendaient coordonner les différentes communautés et associations musulmanes et représenter la position de l’islam dans l’espace public. Le COSIM est présidé depuis 2006 par le cheikh Aboubacar Fofana, élevé au grade de « cheikh al-aïma » [cheikh des imams] un titre inventé pour lui ; il porte la voix « officielle » de l’islam en Côte d’Ivoire.

Cependant, les communautés musulmanes restent diverses, notamment au plan doctrinal. La communauté sunnite ou salafiste est bien structurée, sous l’égide de l’Association des musulmans sunnites de Côte d’Ivoire (AMSCI) et du Conseil des imams sunnites (CODIS) formé sur le modèle du COSIM. Cette communauté est active auprès des siens, conjuguant projets éducatifs, sociaux et prosélytes, y compris en faveur des femmes. Elle bénéficie de financements des pays du Golfe, comme le COSIM, qui en reçoit aussi mais en moindre proportion. Plus arabophone que francophone, longtemps en retrait par rapport à l’État, le leadership du CODIS tente désormais de s’imposer sur la scène publique, en affichant clairement son respect de la légalité constitutionnelle[24]F. Madore, « The New Vitality of Salafism in Côte d'Ivoire: Toward a Radicalization of Ivoirian Islam? », Journal of Religion in Africa, 2016, vol. 46, n° 4, p. 417-452.. Malgré ces tutelles institutionnelles, la mouvance sunnite est plurielle sur le terrain communautaire ; dans la ville de Man à l’Ouest, elle est même violemment divisée en interne.

Basée principalement à Abidjan, une jeune génération de cheikhs et khalifes est organisée en cercles concurrents[25]Le khalife Moustapha Sonta, le cheikh Malick Konaté et le cheikh Abdel-Aziz Oumar Chérif comptent parmi les nouvelles figures de proue du milieu confrérique — principalement tidjani — à … Continue reading. Populaires, ces guides n’ont pas la puissance des cheikhs sénégalais, mais ils disputent le terrain à leurs détracteurs salafistes. La fête du Maouloud célébrant l’anniversaire du prophète Muhammad — condamnée par les salafistes comme innovation blâmable [bid‘a] — prend de l’ampleur depuis une dizaine d’années. Par exemple, le Maouloud de Kélindjan, près de la ville septentrionale d’Odienné, célébré par le vieux cheikh Matié Boiké, réputé pour l’efficacité de sa baraka [grâce], attire désormais les plus grands hommes politiques de la région[26]I. Binaté, « Les célébrations du Maouloud au nord de la Côte-d’Ivoire : entre espace de réislamisation, socialisation et quête de légitimité politique », Cahiers d’études … Continue reading. Soufis et salafistes, par-delà leurs désaccords, collaborent néanmoins avec le COSIM, a minima pour l’annonce des dates des fêtes islamiques.

Depuis 2014, des tensions inédites ont surgi entre le COSIM et la communauté chiite, très minoritaire. La Côte d’Ivoire héberge la plus grande communauté libanaise d’Afrique de l’Ouest, majoritairement chiite. Cette communauté qui domine le commerce de grande distribution dans le pays, est divisée en interne et vit largement repliée sur elle-même, avec l’arabe pour langue de communication, y compris dans ses écoles islamiques et ses mosquées, une langue que peu d’Ivoiriens comprennent. La principale communauté chiite libanaise — autour de l’imposante mosquée Fatima Al Zahra à Marcory (Abidjan) — soutient financièrement le Hezbollah de Hassan Nasrallah, arguant d’un engagement nationaliste pour le Liban n’ayant rien à voir avec la Côte d’Ivoire[27]Institut d’études de sécurité, La Communauté chi’ite libanaise et ses accointances avec le Hezbollah, Rapport final, 2014.. Indépendamment, l’Iran a fondé en 1999 un petit centre chiite devenu hawza [université]. Puis, le COSIM ayant mis en sourdine ses relations en milieu chiite, un petit groupe de chiites africains (ni arabes ni persans) a créé en 2016 son propre Conseil Ahlul Beit de Côte d’Ivoire.

L’arrivée au pouvoir en 2011 d’un président issu d’une famille musulmane originaire du nord du pays (quoique non pratiquant) a ouvert un nouveau chapitre dans les relations antérieurement mouvementées entre islam et État. Les grands imams d’Abidjan, à la tête du COSIM et d’autres organisations islamiques nationales, sont dans une proximité intime du pouvoir et régulièrement sollicités, comme à l’occasion du très officiel pèlerinage du président Ouattara à la Mecque en août 2018. Ils obtiennent en retour diverses largesses. De nombreux cadres issus des associations islamiques se sont élevés dans la hiérarchie du régime. La verve des imams, jadis ardente pour dénoncer les travers des autorités, s’en est trouvée émoussée.

La majorité islamique est convaincue qu’imams, cadres et intellectuels musulmans, notamment ceux basés dans les quartiers huppés d’Abidjan, sont lancés dans une course aux subsides et aux postes lucratifs — et l’opinion s’est renforcée depuis l’arrivée du « grand frère » Ouattara au pouvoir. Ces jugements ne sont peut-être pas sans fondement : une grave affaire de malversation financière a mis un proche du cheikh Fofana en prison[28]Un membre du COSIM co-habilité, avec le cheikh Fofana, à signer des chèques au nom du COSIM a été jugé coupable de malversations financières (à l’insu de Fofana) pour un total d’environ … Continue reading. Les jeunes et les moins favorisés dénoncent le fait que les leaders associatifs musulmans ne redistribuent pas assez, ne veulent pas quitter leurs postes et se coupent des réalités quotidiennes de la population. La situation sociale est pourtant alarmante. Si la pauvreté n’est pas spécifique aux musulmans, elle affecte de manière délétère les familles polygames dioula/malinké et une partie des jeunes issus de ces familles, notamment ceux passés par l’école coranique. Les jeunes délinquants appelés « microbes » ou « enfants en conflit avec la loi[29]Phénomène apparu à Abobo, fief historique du Rassemblement des Républicains (RDR), le parti au pouvoir, après la crise postélectorale. » par les autorités seraient majoritairement issus de milieux dioula musulmans. En 2017, environ 80 % des pensionnaires de la MACA, la prison d’Abidjan, sont issus de milieux musulmans[30]Miran-Guyon, « Le territoire de la prière. Grammaire spatiale des mosquées d’Afrique de l’Ouest », Les Cahiers d’Outre-Mer, 2016, n° 274, p. 41-75.. Les « aventuriers » ou migrants irréguliers qui quittent la Côte d’Ivoire pour l’Europe via la Libye ou pour d’autres destinations, sont majoritairement des Malinké, amèrement déçus des faibles retombées sociales de la croissance, dont s’était pourtant vanté un gouvernement qu’ils estiment avoir collectivement contribué à installer au pouvoir[31]Politique africaine, dossier spécial « La Côte d’Ivoire sous Alassane Ouattara », 2017, n°148 ; Afrique contemporaine, numéro double spécial « Côte d’Ivoire : le retour de … Continue reading. En 2018, ces milieux musulmans défavorisés n’ont pas connu d’entrée en violence de type djihadiste, mais les autorités musulmanes et politiques se sont alarmées du danger. L’État a initié une opération de resocialisation auprès de ces jeunes, qu’il a aussi sensibilisés aux dangers de la migration clandestine, mais ces initiatives sont restées timides. Quant au COSIM, l’institutionnalisation de la solidarité reste sa plus grande faiblesse.

La violence djihadiste a pourtant frappé la Côte d’Ivoire, le 13 mars 2016, lorsqu’un attentat revendiqué par al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) a tué 19 personnes sur une plage de Grand-Bassam. Inédit, l’événement fut condamné par toutes les parties ivoiriennes, et notamment musulmanes, de toutes influences. L’attaque a d’emblée été perçue comme fomentée à l’étranger et l’opinion publique n’a pas blâmé les musulmans ivoiriens pour la survenue de cet attentat. Les enquêtes ont par la suite montré que les trois assaillants étaient des Maliens et qu’ils étaient repartis le jour même de l’attaque par avion à Bamako[32]Rapport d’information n°4481, déposé par la Commission des Affaires étrangères en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 27 avril 2016 sur la Côte d’Ivoire, … Continue reading. Le Nord de la Côte d’Ivoire, avec sa plus grande pauvreté, ses frontières poreuses avec le Burkina et le Mali, la circulation des prédicateurs itinérants et des enfants talibé, pourrait être une zone plus fragile face à la tentation du djihad. Reste que le plus grand danger de déstabilisation armée en 2017 est venu de certains anciens combattants des Forces Nouvelles, mutins ou démobilisés, musulmans septentrionaux en grande majorité[33]Afrique contemporaine, numéro double spécial « Côte d’Ivoire : le retour de l’éléphant ? », op.cit.. Fin avril 2017, cheikh Aboubacar Fofana et une délégation du COSIM sont partis en mission à Bouaké pour négocier avec les mutins : ils ont été sèchement sommés de ne pas se mêler de ces affaires. À l’instar du conflit de septembre 2002, les mutineries de 2017 n’ont strictement rien à voir avec quelque cause islamique que ce soit[34]Ces mutineries ont porté uniquement sur des revendications de prétendues primes et secondairement de grades. De fait, elles ont été satisfaites par le déboursement par le gouvernement de 12 … Continue reading.

En contrechamp : les religions traditionnelles africaines en marge de l’espace public

Autrefois qualifiées de « polythéismes ténébreux » et considérées comme des « isolats résiduels[35]V. Duchesne, « Religions des terroirs et néo-traditionalismes en Afrique », Esprit, 2005, n° 8-9, p. 151-153 ; E. Dorier-Apprill, « Les échelles du pluralisme religieux en Afrique … Continue reading », diabolisées par les monothéismes et toujours vigoureusement dénoncées par les pentecôtismes, les religions traditionnelles africaines n’ont pas bénéficié de la part de l’État des mêmes égards que les autres religions. Non institutionnalisées à l’échelle nationale, cultivant la discrétion voire le secret, leur influence semble très limitée dans l’espace public.

Jadis négatif, le regard porté sur les religions africaines et sur leur contribution sociopolitique a néanmoins évolué ces dernières décennies. Des plumes savantes et des intellectuels ivoiriens engagés ont fait valoir la primauté de la gouvernance rituelle dans les sociétés traditionnelles. La religion africaine traditionnelle structurait non seulement la relation à l’invisible, ainsi qu’à son reflet, la nature, mais aussi, de manière tout à fait centrale, l’organisation du pouvoir politique (tout spécialement dans les sociétés dites sans État), des lois, de la justice, des forces armées, etc. Le religieux structurait également l’interprétation du monde et des changements survenant dans la vie des hommes. Des institutions cultuelles et/ou des cercles initiatiques de sociabilité permettaient la communication avec les forces de l’invisible et la transmission intergénérationnelle de l’ordre politico-religieux, toutes deux vitales au bien-être des hommes et des femmes à titre individuel et à la survie de leurs communautés à titre collectif. L’Etat laïque colonial, puis ivoirien, ne s’est qu’imparfaitement substitué à cet ordre existentiel totalisant, qualifié de traditionnel, mais adaptable au fil de l’histoire et donc évolutif.

Les religions traditionnelles continuent de fait, pour partie, à gouverner le quotidien concret et l’imaginaire social de nombreuses communautés locales — davantage sans doute que ne sont prêts à l’admettre les fidèles eux-mêmes, qui pour certains vont aussi à l’église ou à la mosquée. Ces réalités sont communes aux quatre grands groupes culturels de la Côte d’Ivoire — Akan, Krou Gour et Mandé — et les exemples pourraient être multipliés. Ainsi chez certains Baoulé du Centre ivoirien, des cultes individuels (appelés Brolo-Bla, Brolo-Biâ, etc.), familiaux (Kra, Nzüé, Asyé-Usu) et collectifs (Tété-Kpa, Tigari et do — société initiatique féminine) ainsi que la « fête des ignames[36]Cérémonie annuelle organisée dans chaque royaume akan selon un calendrier rituel propre, avant la récolte des nouvelles ignames qui sont des aliments de base en Côte d’Ivoire. Ces fêtes, … Continue reading », permettent la communion des vivants et des morts, fournissent des puissances protectrices, permettent le contrôle social et la résolution des conflits sociopolitiques, en générant, de surcroît, des activités économiques. La société traditionnelle sénoufo, dans le Nord, est structurée par divers cultes initiatiques au premier rang desquels le poro qui permet aux jeunes garçons d’intégrer le cercle des hommes des matrilignages alliés et de parachever leur identité sénoufo. Chez les Wè de l’Ouest, les trois institutions de régulation de l’ordre social sont le kwi [« génie »], le gla [« société des masques »] et le dji [« fraternité des hommes-panthères »]. Elles interviennent quand la communauté wè est en crise. Primus inter pares, le gla intervient dans le règlement des conflits, l’administration de la justice et la vie politique et économique locale.

Dans les années 1980, à une époque où les jeunes de plus en plus urbains rejetaient les religions traditionnelles perçues comme déphasées par la modernité, le philosophe et écrivain Jean-Marie Adiaffi, d’origine agni, a conceptualisé le « bossonisme », en référence au culte dans lequel des devins-possédés sont liés aux bosson ou puissances de la nature. Adiaffi prônait un retour aux traditions africaines et proposa d’institutionnaliser le bossonisme en tant que religion africaine moderne, mondialisée et urbaine, qui aurait pour fidèles des Africains et des Européens vivant dans le pays, adeptes d’ésotérisme ou de yoga[37]V. Duchesne, « Religions des terroirs et néo-traditionalismes en Afrique », Esprit, 2005, n° 8-9, p. 151-153.. Dans les années 1990, dans le contexte de l’idéologie de l’ivoirité, donc de l’autochtonie, Adiaffi embrassa la politique d’Henri Konan Bédié, établissant un lien implicite entre « religions du terroir » et autochtonie. Après sa mort en 1999, le projet bossoniste s’essouffla. D’autres intellectuels publics ont poursuivi la réflexion sur le « mal-être spirituel des Noirs », qui serait lié à leur aliénation spirituelle à des religions qualifiées d’étrangères (islam et christianisme), en cherchant à revaloriser et à légitimer les religions africaines, à l’instar des religions asiatiques traditionnelles[38]T. Koffi, Le mal-être spirituel des Noir : une contribution à la recherche des sources métaphysiques du mal africain, préface du Père Norbert Abékan, Abidjan, NEI-CEDA , 2011 ; V. Konan, Si … Continue reading.

Dans le contexte de crises militaro-politiques des années 1999-2011, des jeunes hommes et des hommes politiques se sont tournés vers des cultes ou sociétés initiatiques traditionnelles en quête de protection et de puissance. Le Président-général Robert Gueï tenta de se faire initier dans la fraternité wè des hommes-panthères, tout comme Maho Glofiéhi, chef wè d’une milice d’autodéfense pro-Gbagbo à Guiglo dans l’Ouest. Dans le Nord, les dozos ou chasseurs traditionnels malinké-sénoufo ont combattu aux côtés des forces rebelles, lesquelles ont aussi reçu d’eux diverses protections et armes mystiques. En situation de violence, posséder ces pouvoirs mystiques renforcerait l’influence sociopolitique et assurerait la survie[39]B. Guiblehon, « Ressources anthropologiques en temps de guerre : violence dans la fraternité des hommes-panthères », Revue de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (RUCAO), … Continue reading.

En temps de paix, dji, gla ou poro sont mis à contribution lors de meetings politiques ou de festivals culturels, organisés et financés par des leaders politiques aspirant au patronage de leurs régions. Dans les périodes post-conflit, masques et autres dispositifs cultuels traditionnels ont été convoqués lors de cérémonies dites de purification de la terre, au nom de la réconciliation nationale. En 2012, Alassane Ouattara a financé la réhabilitation des « enclos » des kwi, gla et dji détruits à l’Ouest par la descente de son armée sur Abidjan. L’article 175 de la nouvelle Constitution de 2016 entérine l’institutionnalisation d’une Chambre nationale des rois et chefs traditionnels, garante des traditions politico-religieuses de leurs peuples et habilitée à exercer une gouvernance locale selon les us et coutumes.

Ces évolutions sont pleines d’ambivalences. Les nouveaux usages des cultes anciens consacrent un processus d’individualisation du pouvoir, là où jadis l’objectif primordial était le bien-être de toute la communauté. Ils sont portés sur la scène publique par des élites urbaines occidentalisées qui en font un projet culturel presque désacralisé. Ils réaffirment l’importance de l’ethnicité et de l’ancrage territorial jusque dans une Constitution laïque promue par un régime qui cherche pourtant à se démarquer de l’idéologie de l’autochtonie.

Conclusion

La Côte d’Ivoire et par-delà l’Afrique subsaharienne n’ont pas connu de désenchantement du monde. Dire que la Côte d’Ivoire est un pays laïc béni de Dieu n’est un oxymore qu’en apparence. Le politique est intimement lié au religieux, quoique de manière ambivalente, souvent constructive, parfois plus nocive. La sphère publique légale-rationnelle et laïque, accessible aux Occidentaux, est enchâssée dans une deuxième sphère publique, moins affichée à l’international, mais très familière des Ivoiriens, dans laquelle les imaginaires sociaux-politiques sont coextensifs des imaginaires religieux. Quel que soit le sérieux des nombreuses études que des organisations internationales produisent sur l’actualité de la Côte d’Ivoire, ces études minorent ou ignorent le fait que l’immense majorité des Ivoiriens considère que le devenir sociopolitique et économique de leur pays est lié, de manière invisible, mais intangible, à son destin religieux. Ces convictions pèsent de fait sur la vie des Ivoiriens, en temps de crise comme en temps de paix, et sur la manière dont ils se projettent dans le futur[40]Un exemple frappant est le dernier rapport de la Banque Mondiale publié en février 2018 et intitulé : Situation économique en Côte d’Ivoire. Aux portes du paradis, [URL : … Continue reading.

Annexes

 Annexe 1. Tableau des religions en Côte d’Ivoire (en pourcentage), d’après le RGPH 2014

Annexe 2. Répartition des groupes religieux (ivoiriens et étrangers confondus) sur le territoire, par région administrative, en chiffres absolus, établie par l’Institut National de la Statistique sur la base des données du recensement de 2014  (noter que la répartition de ces mêmes groupes religieux selon leur pourcentage par région donnerait des cartes sensiblement différentes)

 

1.Répartition des catholiques :

Source INS 2014

 

2. Répartition des chrétiens évangéliques

Source INS 2014

 

3. Répartition des musulmans

Source INS 2014

 

Annexe 3. Tableau des 16 radios confessionnelles (nationales et locales) reconnues par la HACA en 2018

Source : HACA, 2018

Annexe 4. L’audimat des principales radios ivoiriennes (confessionnelles ou non)

Source : HACA 2018, d’après des sondages de 2016 et 2017

Notes

Notes
1 Poncif toujours en service, quoique parfois moqué à force d’être galvaudé. Voir par exemple l’éditorial de Venance Konan, Fraternité Matin, 26 décembre 2017 [URL : https://www.fratmat.info/index.php/editos/la-cote-d-ivoire-pays-beni-de-dieu].
2 Poncif toujours en service, quoique parfois moqué à force d’être galvaudé. Voir par exemple l’éditorial de Venance Konan, Fraternité Matin, 26 décembre 2017 [URL : https://www.fratmat.info/index.php/editos/la-cote-d-ivoire-pays-beni-de-dieu].
3 Les « animistes » représenteraient 3,6% de la population selon le RGPH 2014, qui relève par ailleurs que 19,1% de résidents se déclarent « sans religion ». Cette dernière donnée est aberrante au vu des réalités de terrain et correspond sans doute pour partie à des « animistes » pour qui seuls les monothéismes seraient qualifiés de « religion » à proprement parler.
4 M. Miran, Islam, histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006.
5 La CEDEAO est la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Elle compte 15 pays membres dont 8 pays francophones (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Sénégal et Togo), 5 pays anglophones (Gambie, Ghana, Liberia, Nigeria et Sierra Leone), et 2 pays lusophones (Cap-Vert et Guinée-Bissau). Le Maroc qui a formulé une demande d’adhésion en 2017, attend la réponse.
6 Dioula signifie littéralement « commerçant ambulant » en malinké. En contexte migratoire depuis les temps coloniaux, le terme a pris une signification exogène (et récemment péjorative), désignant pêle-mêle tous les nordistes musulmans non-originaires de la zone forestière, qu’ils soient Malinké ou non.
7 J.-P. Dozon, L’Afrique à Dieu et à diable : Etats, ethnies et religions, Paris, Ellipses, 2008 ; M. McGovern, Making War in Côte d’Ivoire, Chicago, Chicago University Press, 2011 ; R. Launay, « The roots of Islamophobia in Côte d’Ivoire », Cultural Anthropology, 2012 [URL : http://www.culanth.org/fieldsights/200-the-roots-of-islamophobia-in-cote-d-ivoire].
8 S. Smith, « The Story of Laurent Gbagbo », London Review of Books, 2011, vol. 33, n°10, p. 10-12, [URL: http://www.lrb.co.uk/v33/n10/stephen-w-smith/the-story-of-laurent-gbagbo]; M. Miran-Guyon, Guerres mystiques en Côte d’Ivoire. Religion, patriotisme, violence (2002-2013), Paris, Karthala, 2015 ; M. Miran-Guyon, « Apocalypse patriotique : le pentecôtisme de la démesure en Côte d’Ivoire », Afrique contemporaine, 2015, n°252, p. 73-90.
9 Voir par exemple La Croix, 3 avril 2017 [URL : https://africa.la-croix.com/al-bayane-media-islamique-trone-tete-radios-ivoiriennes/].
10 Discours d’Ibrahim Sy Savané, président de la HACA, 11 avril 2018, Eden Golf, Abidjan.
11 F. Akindès, The roots of the military-political crises in Côte d’Ivoire, Uppsala, Nordiska Afrikainstitutet, 2004, n°46.
12 40 milliards de francs CFA (environ 61 millions d’euros).
13 E. Lanoue, « École catholique et décolonisation ecclésiale. Socio-histoire d’une controverse sous la Première République de Côte d’Ivoire », Archives de Sciences sociales des Religions, 2004, n° 128, p. 5-24.
14 E. Lanoue, « Acteurs, enjeux et tendances des écoles catholiques en Afrique subsaharienne : Le cas de la Côte-d’Ivoire (1960-2000) », Bordeaux, Centre d’études d’Afrique Noire, 2002, n° 72
15 E. Lanoue, « Acteurs, enjeux et tendances des écoles catholiques en Afrique subsaharienne : Le cas de la Côte-d’Ivoire (1960-2000) », Bordeaux, Centre d’études d’Afrique Noire, 2002, n° 72
16 B. Guiblehon, « Questionnement sur le dialogue interconfessionnel : le forum des confessions religieuses en Côte d’Ivoire », Gabonica, 2011, vol. 5, n° 5, p.165-177.
17 B. Guiblehon, Le pouvoir-faire : religion, politique, ethnicité et guérison divine en Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2010.
18 S. Fath, Les Baptistes en France (1810-1950), Paris, Excelsis, 2002.
19 B. Guiblehon, « Les jeunes et le marché de la spiritualité pentecôtiste en Côte d’Ivoire », European Scientific Journal, 2012, vol. 8, n° 28, p. 115-135.
20 B. Guiblehon, « Laurent Gbagbo and the evangelical church in Côte d’Ivoire : ambiguous political affinities », International Journal for Religious Freedom, 2011, vol 4, n° 2, p. 37-59.
21 B. Guiblehon, « Le marché des révélations divines dans le contexte de la crise en Côte d’Ivoire », Journal of the Anthropological society of Oxford-online, New Series, 2014, vol 6, n°1, p. 79-98 ; M. Miran-Guyon, Guerres mystiques en Côte d’Ivoire. Religion, patriotisme, violence (2002-2013), Paris, Karthala, 2015.
22 M. Miran-Guyon, « Gloire et déboires de la laïcité en Côte d’Ivoire au prisme de l’imaginaire social musulman », dans G. Holder et M. Sow (dir.), L’Afrique des laïcités. État, religion et pouvoirs au sud du Sahara, IRD et éditions Tombouctou, 2014, p. 315-328.
23 Aucun différend doctrinal n’a opposé les présidents du COSIM et du CNI : il s’agit d’une simple rivalité personnelle, le président du CNI, Koudouss Idriss Koné, jalousant l’ascendant du président du COSIM, Aboubacar Fofana. Au cours de la crise postélectorale, Koudouss se rangea publiquement derrière Gbagbo, Fofana discrètement derrière Ouattara : K. Koné en fut durablement décrédibilisé, puis affaibli par la maladie.
24 F. Madore, « The New Vitality of Salafism in Côte d'Ivoire: Toward a Radicalization of Ivoirian Islam? », Journal of Religion in Africa, 2016, vol. 46, n° 4, p. 417-452.
25 Le khalife Moustapha Sonta, le cheikh Malick Konaté et le cheikh Abdel-Aziz Oumar Chérif comptent parmi les nouvelles figures de proue du milieu confrérique — principalement tidjani — à Abidjan
26 I. Binaté, « Les célébrations du Maouloud au nord de la Côte-d’Ivoire : entre espace de réislamisation, socialisation et quête de légitimité politique », Cahiers d’études africaines, 2017, n° 225, p. 39-58.
27 Institut d’études de sécurité, La Communauté chi’ite libanaise et ses accointances avec le Hezbollah, Rapport final, 2014.
28 Un membre du COSIM co-habilité, avec le cheikh Fofana, à signer des chèques au nom du COSIM a été jugé coupable de malversations financières (à l’insu de Fofana) pour un total d’environ 90 millions de francs CFA, relevant de fonds propres du COSIM. Il purge une peine de 20 ans de prison à la prison civile d’Abidjan. De nombreux musulmans se sont émus de cette affaire et se sont dit très surpris que le COSIM ait possédé de telles sommes, dont il n’avait jamais fait état.
29 Phénomène apparu à Abobo, fief historique du Rassemblement des Républicains (RDR), le parti au pouvoir, après la crise postélectorale.
30 Miran-Guyon, « Le territoire de la prière. Grammaire spatiale des mosquées d’Afrique de l’Ouest », Les Cahiers d’Outre-Mer, 2016, n° 274, p. 41-75.
31 Politique africaine, dossier spécial « La Côte d’Ivoire sous Alassane Ouattara », 2017, n°148 ; Afrique contemporaine, numéro double spécial « Côte d’Ivoire : le retour de l’éléphant ? », 2017, n° 263-264.
32 Rapport d’information n°4481, déposé par la Commission des Affaires étrangères en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 27 avril 2016 sur la Côte d’Ivoire, Président P. Cochet, Rapporteure S. Dagom, 2016, Paris, Assemblée nationale, p.119-122.
33 Afrique contemporaine, numéro double spécial « Côte d’Ivoire : le retour de l’éléphant ? », op.cit.
34 Ces mutineries ont porté uniquement sur des revendications de prétendues primes et secondairement de grades. De fait, elles ont été satisfaites par le déboursement par le gouvernement de 12 millions de francs CFA [environ 18 000 €] à chacun des 8 400 mutins issus des Forces Nouvelles, qui avaient intégré l’armée nationale après 2011. L’opinion publique ivoirienne s’en est indignée, en se demandant si les anciens rebelles, ayant contribué à porter Alassane Ouattara au pouvoir, n’étaient pas des mercenaires plutôt que des soldats.
35 V. Duchesne, « Religions des terroirs et néo-traditionalismes en Afrique », Esprit, 2005, n° 8-9, p. 151-153 ; E. Dorier-Apprill, « Les échelles du pluralisme religieux en Afrique subsaharienne », L’information géographique, 2006, n° 4, p. 46-65.
36 Cérémonie annuelle organisée dans chaque royaume akan selon un calendrier rituel propre, avant la récolte des nouvelles ignames qui sont des aliments de base en Côte d’Ivoire. Ces fêtes, désormais perçues comme folkloriques, attirent hommes politiques et touristes et font l’objet de nombreux reportages journalistiques.
37 V. Duchesne, « Religions des terroirs et néo-traditionalismes en Afrique », Esprit, 2005, n° 8-9, p. 151-153.
38 T. Koffi, Le mal-être spirituel des Noir : une contribution à la recherche des sources métaphysiques du mal africain, préface du Père Norbert Abékan, Abidjan, NEI-CEDA , 2011 ; V. Konan, Si le noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas l’empêcher de se tenir debout, Paris, Michel Laffont, 2018.
39 B. Guiblehon, « Ressources anthropologiques en temps de guerre : violence dans la fraternité des hommes-panthères », Revue de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (RUCAO), 2007, n° 29, p. 25-65 ; M. Miran-Guyon, Guerres mystiques en Côte d’Ivoire. Religion, patriotisme, violence (2002-2013), Paris, Karthala, 2015.
40 Un exemple frappant est le dernier rapport de la Banque Mondiale publié en février 2018 et intitulé : Situation économique en Côte d’Ivoire. Aux portes du paradis, [URL : http://documents.banquemondiale.org/curated/fr/610761516612734143/pdf/121663-WP-P165646-FRENCH-Final-ECONOMIC-UPDATE-6%C3%A9-EDITION-imprimable-PUBLIC.pdf]. Ce rapport vante la macroéconomie et l’émergence néolibérale de la Côte d’Ivoire, à même de faire entrer le pays au paradis — — avec un enthousiasme presque religieux. Pourtant, 46% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Nombreux sont les Ivoiriens qui ne croient guère à la « religion » de la Banque mondiale et ne survivent que par un autre genre de foi religieuse en l’avenir, qu’ignorent superbement les experts de la finance et de l’économie (l’économie du religieux, à tout le moins, mériterait d’être davantage prise en compte).
Pour citer ce document :
Marie Miran-Guyon et Bony Guiblehon, "Religion et politique en Côte d’Ivoire : un demi-siècle d’intimités ambivalentes". Notes de l'Observatoire international du religieux N°06 [en ligne], septembre 2018. https://obsreligion.cnrs.fr/note/religion-et-politique-en-cote-divoire-un-demi-siecle-dintimites-ambivalentes/
Auteur.e.s

Marie Miran-Guyon, EHESS, Institut des mondes africains (IMAF) – Paris
Bony Guiblehon, Université Alassane Ouattara de Bouaké – Côte d’Ivoire

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