Bulletin N°44

Chères Lectrices, chers Lecteurs,

L’Asie du Sud-Est est devenue le cœur d’une concurrence géopolitique internationale particulièrement intense. La multiplication des exercices militaires et des coalitions dans la région en constitue l’illustration : accord de coopération militaire entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni signé en 2021 (AUJUS) ; manœuvres communes des États-Unis et de la Thaïlande en février 2023, puis de Washington et Manille en avril 2023 ; exercices militaires conjoints menés par la France et l’Australie le même mois ; manœuvres sino-russes au nord de la région peu avant le sommet de l’OTAN réuni début juillet 2023, en réponse au souhait de l’organisation de renforcer sa présence dans l’Indopacifique ; premiers exercices militaires conjoints des pays de l’Asie du Sud-Est prévus en septembre prochain.

Consciente du poids géopolitique croissant de cette région, la France souhaite y renforcer sa présence. Une stratégie indopacifique a ainsi été définie en 2019 et le pays vient d’être admis en tant qu’observateur dans l’instance qui rassemble les ministres de la Défense de dix pays d’Asie du Sud-Est (ADMM+). La prochaine réunion des ministres de la Défense du Pacifique Sud (SPDMM), prévue à l’automne, se déroulera à Nouméa.

L’Asie du Sud-Est s’impose donc comme thématique d’un nouveau Bulletin de l’Observatoire international du religieux. La perspective qui est la nôtre permet d’ouvrir ces considérations géopolitiques aux enjeux religieux qui les sous-tendent, en s’intéressant plus particulièrement à l’Indonésie et à la Malaisie. La première souhaite devenir la référence internationale d’un islam modéré, incarnation de la possible conciliation entre islam, pluralisme et démocratie. Ce discours vise à obtenir le soutien de l’Occident et à favoriser un rapprochement avec les États du Golfe. C’est ainsi pour redorer leur image en matière de droits religieux que l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes souhaitent renforcer leur coopération avec cet État. La Malaisie constitue pour sa part un partenaire privilégié de la Chine, sur le plan diplomatique et stratégique. Mais, de façon un peu surprenante au regard de la répression religieuse exercée par Pékin, l’islam lie également les deux États. La présence de sino-musulmans dans la péninsule est ancienne, la Malaise a formé au début des années 2000 une trentaine d’imams chinois, elle a coopéré avec la Chine dans la lutte contre les Ouïghours en poursuivant les réfugiés présents sur son sol. Le « business halal » se développe également entre les deux États.

Le dossier de ce nouveau Bulletin est ainsi consacré au religieux en Indonésie et en Malaisie. L’objectif est de mieux connaître le paysage confessionnel de ces deux États. David Delfolie, politologue à Sciences po Lille, décrypte dans un premier article le cas malaisien, en insistant sur les ambivalences communautaires et religieuses du pays, à partir de l’exemple de la population chinoise musulmane. Le principe de « modération », central au discours diplomatique indonésien, est analysé dans une deuxième étude réalisée par Chris Chaplin, chercheur à la LSE. Le troisième article de ce dossier s’intéresse à l’exemple balinais. L’anthropologue Michel Picard propose une analyse de l’hindouisation contemporaine de la religion balinaise.

Nous avons souhaité questionner dans l’Éclairage(S) le discours de pluralisme religieux défendu par Jakarta, en proposant une analyse de trois cas d’étude sur le blasphème. Daniel Peterson, chercheur à l’Institut royal néerlandais d'études sur l'Asie du Sud-Est et les Caraïbes, montre ainsi l’influence exercée par des responsables religieux sur la répression qui s’opère à l’égard des religions minoritaires.

Enfin, la Ressource(S) de ce nouvel opus quitte l’Asie du Sud-Est pour revenir dans la sphère hexagonale. Elle s’intéresse à l’exposition actuellement présentée au musée de l’Armée : « La haine des clans. Guerre de religions, 1559-1610 ». L’un des membres du conseil scientifique de l’exposition, Nicolas le Roux, historien spécialiste de l’époque moderne, revient pour nous sur les principaux acteurs de ces luttes et leur positionnement dans ce conflit majeur de l’histoire de France qui oppose catholiques et protestants. Il nous présente cette « première guerre médiatique » vécue par le pays et nous décrit quelques-unes des œuvres incontournables de l’exposition qui s’achève à la fin du mois.

Bonne lecture à toutes et à tous !