Bulletin N°44

juillet 2023

L’hindouisation contemporaine de la religion balinaise et ses implications

Michel Picard

Après la proclamation d’indépendance de l’Indonésie, en 1945, la question du fondement du nouvel État s’est rapidement posée, opposant les partis musulmans qui voulaient instaurer un État islamique aux nationalistes séculiers qui préconisaient la séparation du religieux et du politique. Cette confrontation a débouché sur un compromis – au nombre de ses principes fondateurs (Pancasila), la Constitution de la République d’Indonésie a placé en premier lieu la foi en un Dieu unique (Ketuhanan Yang Maha Esa), sans pour autant faire de l’islam une religion officielle ou même privilégiée. En revanche, à titre de concession aux partis musulmans, un ministère de la Religion (Kementerian Agama) fut institué en 1946. Initialement dédié à l’islam il fut peu après ouvert au christianisme, légitimé en tant que religion abrahamique.

Alors que la Constitution garantissait la liberté de culte aux citoyens indonésiens, le ministère de la Religion s’est efforcé de restreindre la définition légale des religions officiellement agréées, en conformité à l’acception islamique de ce qui constitue une vraie « religion » (agama). En 1952, le ministère devait stipuler les conditions pour qu’une religion soit reconnue par l’État – à savoir, professer une conception strictement monothéiste du divin, avoir été révélée par un prophète dont la parole est consignée dans un livre saint, faire état de congrégations organisées de fidèles, disposer d’une reconnaissance internationale et ne pas être limitée à un groupe ethnique particulier.

Au regard de ces conditions, les Balinais ne professaient pas une véritable « religion » (agama) mais n’avaient que des « croyances » (kepercayaan), qui présentaient le double défaut de leur être particulières et de ne pas former un ensemble cohérent et unifié pour l’ensemble de l’île. À l’instar des groupes ethniques pratiquant toujours leur religion traditionnelle, ils étaient relégués dans la catégorie résiduelle des peuples « n’ayant pas encore de religion » (belum beragama), une désignation infamante associée à l’arriération sociale et aux superstitions. En conséquence, s’ils voulaient éviter d’avoir à se convertir à l’islam ou au christianisme, les Balinais devaient réformer leurs pratiques religieuses de manière à les rendre éligibles au statut d’agama.

Confrontés à la rebuffade du ministère de la Religion, les dirigeants balinais se sont battus pour obtenir la reconnaissance de leur religion. Après une campagne de lobbying réussie, la religion balinaise a été officiellement reconnue comme « hindouisme » (agama Hindu). Telle est en tout cas l’histoire que l’on raconte aujourd’hui à Bali[1]Frederik Lambertus Bakker,The Struggle of the Hindu Balinese Intellectuals. Developments in Modern Hindu Thinking in Independent Indonesia, VU University Press : Amsterdam, 1993.. Ce que cette histoire ne dit pas, c’est qu’avant de pouvoir faire reconnaître leur religion, les Balinais ont dû inventer l’idée même d’une religion balinaise. En effet, ils n’avaient auparavant aucune notion d’un système de croyances et de pratiques susceptible d’être distingué d’autres aspects de leur vie pour être qualifié de religion – sans même parler du fait que cette religion serait l’hindouisme. Il leur a fallu pour cela construire l’existence distincte de la religion comme cadre de référence pour l’interprétation de pratiques qui ont ensuite été formulées comme des manifestations de l’hindouisme. Ce processus est le résultat de la colonisation néerlandaise, qui a introduit à Bali les catégories étrangères de religion et d’hindouisme.

Il ne s’agit évidemment pas de contester que la société balinaise ait été indianisée, en ce sens qu’elle est imprégnée de références hindou-bouddhiques et qu’elle est structurée par la hiérarchie des warna, qui différencie la noblesse – les triwangsa (brahmana, satria et wesia) – par opposition aux roturiers, les jaba, qui composent le gros de la population. Pour autant, les Balinais attribuent leur ordre social et leurs traditions religieuses non à une origine indienne mais à la conquête de leur île au XIVe siècle par le royaume javanais de Majapahit. C’est sur ce mythe d’origine que l’aristocratie balinaise fonde la légitimité de son statut, en alléguant descendre des nobles javanais qui se seraient établis à Bali après la conquête. Et c’est également de Majapahit qu’est originaire la prêtrise initiée des padanda, qui demeure la prérogative exclusive des brahmana[2]La question de la prêtrise à Bali est complexe, et ce d’autant plus qu’elle est controversée en raison de son lien avec la hiérarchie des groupes titrés. On peut distinguer deux catégories … Continue reading. Selon l’historiographie balinaise, lorsque Majapahit succomba à la pression de l’islam au début du XVIe siècle, les nobles, les prêtres et les lettrés qui refusaient de se convertir à la nouvelle religion auraient trouvé refuge à Bali, où ils auraient soigneusement préservé leur héritage indo-javanais.

En accord avec cette vision balinaise, les orientalistes européens ont fait de Bali un « musée vivant » de la civilisation indo-javanaise, le dépositaire de l’héritage hindou de Majapahit balayé de Java par l’irruption de l’islam. Il serait cependant erroné d’en inférer que la religion de Bali est demeurée celle de Java à l’époque de Majapahit. Il faut insister au contraire sur la propension des Balinais à s’approprier les apports indiens et javanais en les réinterprétant selon leurs références propres. C’est dire qu’en dépit de la présence de mots sanskrits et d’une cosmologie d’origine indo-javanaise, l’univers religieux des Balinais est foncièrement autochtone et localisé[3] Jean-François Guermonprez, « La religion balinaise dans le miroir de l’hindouisme », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, 88, 2001, pp. 271-293.. Leurs rites ont pour objet d’entretenir un ensemble de liens, d’ordre à la fois généalogique (avec les ancêtres divinisés), social (entre différents groupes humains) et territorial (avec les lieux d’origine et de résidence). La participation à ces rites fait partie des obligations qui incombent à tout Balinais en tant que membre d’un groupe de descendance, d’une communauté locale et d’un réseau de temples. C’est dire que les Balinais sont davantage préoccupés d’orthopraxie que d’orthodoxie. Pour eux l’important n’est pas ce que l’on croit mais ce que l’on fait[4]Clifford Geertz, “Internal Conversion’ in Contemporary Bali”, in Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, New York : Basicc Books, 1973, pp. 170-189..

L’incorporation forcée de Bali dans l’empire des Indes néerlandaises, débutée en 1846 et achevée en 1908, s’est avérée cruciale pour faire advenir une identité balinaise réflexive. En particulier, les nécessités de l’administration coloniale ont entraîné l’émergence d’une intelligentsia balinaise qui devait jouer un rôle médiateur entre la population et le gouvernement.

Dans les années 1920, des Balinais éduqués dans les écoles coloniales ont fondé des organisations modernes et lancé des publications périodiques en malais, qui traitaient pour l’essentiel de questions sociales et religieuses. Dans ces publications, les Balinais se définissaient conjointement comme une minorité religieuse menacée par l’islam et le christianisme, et comme un groupe ethnique caractérisé par des coutumes qui lui sont propres. Plus précisément, ils concevaient leur identité – ce qu’ils appelaient la « balinité » (Kebalian)[5]Michel Picard, Kebalian. La construction dialogique de l’identité balinaise, Paris : Cahiers d’Archipel, 2017. – comme étant fondée à la fois sur l’agama et sur l’adat. Le fait même de recourir à cette terminologie atteste la mutation conceptuelle entraînée par la confrontation coloniale.

Dérivé de l’arabe, le mot adat a été adopté par les populations islamisées de l’archipel insulindien pour désigner les coutumes qui n’étaient pas explicitement légitimées par l’islam. Introduit à Bali par les Néerlandais, ce terme en est venu à subsumer une terminologie complexe de coutumes particulières qui régissaient les relations entre groupes et infusaient le sens de la solidarité communautaire dans les villages[6]Carol Warren, Adat and Dinas. Balinese Communities in the Indonesian State, Kuala Lumpur : Oxford University Press, 1993.. La fusion de termes spécifiques et localisés dans une catégorie générique a modifié le sens de leurs coutumes aux yeux des Balinais : ce qui était jusqu’alors un jeu de différences significatives délibérément marquées entre les villages devenait le lieu de l’identité ethnique balinaise, au sens d’un ensemble de normes et d’institutions dont ils ont hérité en commun de leurs ancêtres.

D’origine sanskrite, le mot agama n’a pas toujours signifié « religion » en Indonésie[7]Michel Picard, Balinese religion in the making: An enquiry about the interpretation of Balinese religion as ‘Hinduism’, in Michel Picard (dir.), Local Traditions and World Religions. The … Continue reading. Dans les traditions textuelles javanaises et balinaises, à partir du XIIe siècle, agama référait aux codes dérivés des Dharmaśāstra indiens, les traités sur le dharma, dans lesquels les composantes juridiques et religieuses ne sont pas distinguées[8]Helen Creese, “Old Javanese legal traditions in pre-colonial Bali”, Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde, 165 (2-3), 2019, pp. 241-290.. Par ailleurs, depuis le XIVe siècle, dans les chroniques malaises agama est associé à l’islam et utilisé dans un sens équivalent à celui de dīn. Il faut donc en conclure que pendant des siècles le mot agama a eu en Indonésie deux dénotations distinctes, celle de dharma comme celle de dīn, selon le contexte et la langue de son occurrence. En s’appropriant ce terme, les musulmans indonésiens ont opposé leur doctrine exclusive aux pratiques prévalentes, dénoncées comme reposant sur de fausses croyances. Plus tard, avec son adoption par les missionnaires chrétiens, agama a été associé à un idéal de progrès social, tandis que les pratiques « païennes » étaient rejetées en tant que superstitions révolues.

Si dans les années 1920 nobles et roturiers partageaient une commune référence à l’agama et à l’adat en tant que fondements de l’identité balinaise, ils divergeaient sur la façon de concevoir leurs domaines respectifs : pour les triwangsa la religion balinaise était fondée sur la tradition, dont elle était indissociable, tandis que pour les jaba la religion devait être dissociée d’un ordre social héréditaire perçu comme un obstacle au progrès[9]Michel Picard, « La polémique entre Surya Kanta (1925-1927) et Bali Adnjana (1924-1930), ou comment être balinais à l’ère du progrès », Archipel, 58, 1993, pp. 3-38.. Mais il est significatif que les réformateurs se sont avérés incapables de différencier ce qui est censé appartenir à l’agama de ce qui relève de l’adat. C’est que pour les Balinais l’adat est une réalité proprement religieuse, en ce qu’elle renvoie conjointement à un ordre cosmique immuable et à un ordre social institué en conformité à celui-ci par les ancêtres divinisés.

Par ailleurs, à la différence des sociétés islamisées ou christianisées de l’archipel, à Bali le mot agama a conservé le sens de dharma durant la période coloniale. Ce n’est qu’à partir du moment où les Balinais ont commencé à appréhender l’islam et le christianisme comme une menace, qu’ils ont utilisé le mot agama dans le sens de religion[10]Michel Picard, « Le christianisme à Bali : visées missionnaires, objections orientalistes et appropriation balinaise », Archipel,  81, 2011, pp. 11-46.. Dès lors en effet qu’ils étaient confrontés à des prédicateurs musulmans et à des missionnaires chrétiens, les Balinais étaient mis au défi de formuler explicitement ce qu’il en est de leur propre religion, afin qu’elle soit en mesure de résister à leur prosélytisme. À leurs yeux, l’islam et le christianisme représentaient non seulement une menace mais également un modèle de ce que doit être une vraie religion[11]Michel Picard, 2008, En quête de l’identité balinaise à la fin de l’époque coloniale, Archipel, 75: 27-62..

Après le rattachement de leur île à la République d’Indonésie, en 1950, les Balinais ont été contraints de discriminer explicitement entre ce qui appartient à l’agama et ce qui relève de l’adat, afin de faire reconnaître la légitimité de leur religion par l’État. La première question à régler était pour eux de s’accorder sur le nom de leur religion. Ce n’est qu’après de longs débats que le nom agama Hindu Bali fut choisi en 1952 pour désigner la religion balinaise. Auparavant, les Balinais n’avaient pas de terme pour désigner ce qui devait par la suite devenir leur religion. Une fois emprunté le mot agama pour ce faire, ils ont commencé à appeler leur religion simplement agama Bali. Ce n’est qu’à partir du moment où des Balinais se sont convertis à l’islam ou au christianisme que le nom Hindu Bali devint populaire, afin de distinguer les Balinais hindous des Balinais musulmans et chrétiens. Mais avant d’être agréé comme nom officiel de la religion balinaise, Hindu Bali n’était qu’une appellation parmi bien d’autres[12]On mentionnera notamment les appellations suivantes : agama Tirta, en référence à l’eau lustrale nécessaire à la plupart des rites ; agama Siwa et agama Buda, renvoyant aux deux catégories … Continue reading.

S’ils étaient parvenus non sans mal à s’accorder entre eux, les Balinais n’avaient pas pour autant réussi à convaincre le ministère de la Religion de la légitimité de l’agama Hindu Bali. Pour ce faire, les réformateurs ont mis l’accent sur le contenu théologique et sur les implications éthiques de la religion, en même temps qu’ils s’efforçaient d’endiguer la propension ritualiste de leurs coreligionnaires, tout en réinterprétant leur héritage indo-javanais en référence aux dogmes et aux modes d’organisation de l’islam et du christianisme. Cherchant leur salut dans l’hindouisme, ils estimaient que les Balinais devaient retourner à la source de leur religion en renouant les liens trop longtemps rompus avec l’Inde. À leur initiative, des écoles religieuses furent ouvertes, des textes canoniques de l’hindouisme étaient traduits en indonésien, tandis que des bourses permettaient à une poignée d’étudiants balinais d’aller se former en Inde. Mais il leur fallut encore attendre jusqu’à 1958 pour que, après une mobilisation vigoureuse de toutes les organisations religieuses de l’île, une section Hindu Bali soit finalement établie au sein du ministère de la Religion.

Cette reconnaissance officielle de l’agama Hindu Bali a été obtenue à la faveur d’un double coup de force – à savoir, non seulement l’assimilation de la religion balinaise à l’hindouisme, mais encore l’acception de l’hindouisme comme un monothéisme, conforme à une conception théologique propre aux religions abrahamiques.

En 1959, un concile de l’hindouisme balinais – le Parisada Dharma Hindu Bali – était fondé dans le but de coordonner l’ensemble des activités afférentes à l’agama Hindu Bali. Au fil des années, le Parisada allait unifier les rites, normaliser la prêtrise, élaborer un canon théologique, rédiger un catéchisme et promouvoir l’éducation religieuse de la population – oeuvrant ce faisant à une scripturalisation de la religion balinaise, censée conformer le rite au texte, l’orthopraxie à l’orthodoxie.

Si le nom agama Hindu Bali était encore marqué par son origine ethnique, il allait bientôt être remplacé par le nom agama Hindu tout court. Le fait est que la présence croissante de Balinais en quête de travail ou d’éducation en dehors de leur île devait permettre au Parisada d’étendre son influence en ouvrant des branches dans différentes provinces du pays. Coupés de leurs réseaux de temples et de leurs ancêtres divinisés, ces émigrés balinais avaient besoin d’une religion délocalisée, susceptible d’être transportée avec eux dans des manuels. Dans le but de renforcer la position de leur religion vis-à-vis de l’islam et du christianisme, les dirigeants du Parisada qui avaient étudié en Inde ont récusé le particularisme du nom agama Hindu Bali et préconisé le nom agama Hindu dans une perspective universaliste. À leur instigation, lors de son 1er congrès, en 1964, le Parisada Dharma Hindu Bali abandonnait toute référence à ses origines balinaises en s’intitulant désormais Parisada Hindu Dharma.

C’est ainsi qu’en luttant pour la reconnaissance de leur religion, les Balinais en sont venus à définir leur identité ethnique en termes d’agama Hindu[13]Michel Picard, “Balinese Religion in Search of Recognition: From Agama Hindu Bali to Agama Hindu (1945-1965)”, Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde, 167(4), 2011, pp. 482-510.. Mais c’est précisément du moment où ils se sont identifiés le plus explicitement comme un îlot d’hindouisme dans un archipel islamique que l’on peut dater les prémisses d’une disjonction entre l’affiliation religieuse des Balinais et leur appartenance ethnique. Car cette identification entre ethnicité et religion allait se voir dissociée par un double mouvement d’indonésianisation et d’indianisation.

Une fois débarrassé de toute référence ethnique, l’agama Hindu n’était plus la propriété des seuls Balinais. De fait, sa reconnaissance lui a amené de nouvelles recrues dans le sillage des massacres de 1965-66 instaurant le régime de l’Ordre nouveau du Président Suharto, qui ont provoqué l’affiliation de musulmans nominaux javanais (abangan)[14]Les abangan (littéralement « les rouges ») – par opposition aux santri ou putihan (littéralement « les blancs ») – sont des musulmans dits « nominaux », qui constituaient autrefois … Continue reading, soucieux d’échapper au soupçon d’athéisme qui les stigmatisait. Par la suite, ces derniers ont été rejoints par diverses minorités ethniques qui ont cherché refuge dans l’agama Hindu, réputé plus accommodant à l’égard des coutumes indigènes que le christianisme ou l’islam[15]Je fais ici allusion à divers groupes ethniques qui ont réussi à faire reconnaître leur religion traditionnelle en tant que branche de l’agama Hindu : les Tengger (agama Buda) à Java ; les … Continue reading. Cette diffusion de l’agama Hindu en dehors de Bali a pris de telles proportions que les Balinais ont pu craindre de perdre le contrôle de la religion qu’ils avaient instituée[16]Il est assez difficile de se faire une idée du nombre d’adhérents à l’agama Hindu en Indonésie, dans la mesure où la composition religieuse de la population est une question politiquement … Continue reading. Mais ce qui apparaissait à certains Balinais comme une dépossession de leur religion était vécu par nombre d’hindous indonésiens comme une colonisation balinaise. De sorte qu’on note l’apparition d’une tension entre la balinisation des pratiques religieuses de divers groupes ethniques affiliés à l’agama Hindu et la dé-balinisation de l’agama Hindu dans le but de le détacher de ses origines ethniques.

Cette tension n’allait pas tarder à se faire sentir au sein du Parisada. En 1986, après avoir ouvert des branches dans toutes les provinces du pays, le Parisada Hindu Dharma est devenu, lors de son 5e congrès, le Parisada Hindu Dharma Indonesia. Cette indonésianisation s’est caractérisée par l’ascension de non-Balinais ainsi que de jaba dans les instances dirigeantes du Parisada, jusqu’alors dominées par des triwangsa. Et lorsqu’en 1996, lors de son 7e congrès, le siège du Parisada sera transféré à Jakarta afin de mettre l’agama Hindu sur le même pied que les autres religions reconnues, il ne subsistera plus à Bali qu’une branche régionale du Parisada.

Par ailleurs, l’hindouisation de la religion balinaise n’a pas seulement entraîné son extension à d’autres populations indonésiennes, mais elle a également débouché sur des relations renouvelées avec l’Inde. À partir des années 1990, les hindous indonésiens issus des classes moyennes urbanisées ont commencé à se percevoir comme partie prenante d’une communauté religieuse transnationale et ils se sont tournés vers l’Inde en quête d’inspiration tout autant que de validation. Cette indianisation s’est manifestée par l’organisation de pèlerinages aux lieux saints de l’Inde, par la promotion de rites védiques et de pratiques telles que le végétarisme, et surtout par la diffusion de mouvements dévotionnels néo-hindous (sampradaya), tels que Sri Sathya Sai Baba[17]Établi à Jakarta depuis les années 1970, le mouvement Sai Baba a commencé à ouvrir des centres dans le pays à partir des années 1980. Il gère aujourd’hui une centaine de centres en … Continue reading et Hare Krishna (International Society for Krishna Consciousness, ISKCON)[18]Bhaktivedanta Swami, le fondateur de l’ISKCON, est venu en 1973 à Jakarta, où il a rencontré des dirigeants du Parisada. Son mouvement ayant été jugé trop sectaire, il fut interdit en 1984 … Continue reading. La propagation de ces mouvements en Indonésie a suscité des résistances au sein du Parisada, dont la crainte était de voir apparaître des scissions entre sectes concurrentes, qui viendraient affaiblir une communauté hindoue déjà fragilisée par sa position minoritaire et fragmentée qui plus est de par la diversité de ses origines ethniques.

Avec cette avancée de l’indianisation, tout s’est passé comme si ni la religion traditionnelle, axée sur l’exécution correcte des rites, ni même sa version officielle, soucieuse d’éthique et de théologie, ne satisfaisaient plus une portion croissante de Balinais, en quête de dévotion religieuse tout autant que de conviction personnelle. Cette minorité active ne se contente plus d’une religion reconnue au niveau national mais veut universaliser son identité religieuse en détachant complètement l’agama Hindu de l’adat Bali et en modelant ses pratiques religieuses sur le néo-hindouisme indien.

La chute du Président Suharto en 1998 a débloqué le jeu politique et libéré les forces centrifuges dans les régions, en ouvrant une ère de réformes caractérisée par une réaffirmation des identités culturelles, ethniques et religieuses. Mais la fin de l’Ordre nouveau n’a pas seulement débouché sur des réformes démocratiques, elle a également stimulé la radicalisation de l’islam politique. Cette menace – qui devait prendre un tour fatal avec les attentats islamistes de 2002 et 2005 à Bali[19]Le 12 octobre 2002, une bombe a explosé dans un café à la mode de la station balnéaire de Kuta, suivie par l’explosion d’un véhicule garé devant une boite de nuit voisine. On a dénombré … Continue reading – a ravivé les tensions entre la vieille garde du Parisada et les réformateurs aspirant à sa régénération, mettant aux prises une faction traditionaliste ancrée dans les communautés rurales et les milieux nobiliaires, repliée sur Bali, et une faction moderniste portée par les classes moyennes urbaines et l’intelligentsia, tournée vers l’Inde.

Ces dissensions ont précipité une crise au sein du Parisada, qui a éclaté lors de son 8e congrès en 2001. La branche balinaise du Parisada, dominée par des brahmana, a refusé certaines des décisions adoptées par le congrès, en particulier la nomination d’un laïc à la présidence du Parisada, jusqu’alors réservée aux padanda, et plus généralement la montée en force dans ses instances dirigeantes de non-Balinais et d’adeptes des sampradaya. Peu après, le Parisada balinais réunissait son propre congrès, qui accusait les instances nationales de trahir les valeurs culturelles balinaises en voulant abusivement indianiser l’agama Hindu, refusait l’admission des sampradaya au sein du Parisada et exigeait la nomination d’un padanda à sa présidence.

Le Parisada national désavouait sans tarder le Parisada balinais dissident et suscitait la convocation d’un congrès concurrent du Parisada balinais, qui était dès lors reconnu comme la branche balinaise officielle du Parisada. De son côté, le Parisada balinais dissident déclarait qu’il ne reconnaissait plus le Parisada national, tandis que plusieurs de ses fondateurs historiques s’en retiraient. La scission du Parisada balinais était consommée.

Durant les années qui ont suivi, chacun des deux Parisada balinais s’est présenté comme le représentant légitime de la communauté hindoue balinaise, tout en s’efforçant de rallier l’adhésion des Balinais sur ses positions. Si le Parisada officiel avait l’appui de la classe moyenne urbaine, le Parisada dissident était nettement plus en phase avec la population villageoise. La situation est demeurée en l’état jusqu’à la réunion du 9e congrès national du Parisada en 2006, qui a entériné le désaveu du Parisada balinais dissident. En 2007, ses dirigeants convoquaient leur propre congrès, qui préconisait d’en revenir à la vraie nature de la religion balinaise – à savoir, l’agama Hindu Bali. Et à cette même occasion, ils décidaient de reprendre à leur compte l’intitulé initial du Parisada Dharma Hindu Bali, mettant ainsi un terme au dualisme du Parisada balinais.

Le Parisada balinais officiel a aussitôt dénoncé le Parisada Dharma Hindu Bali comme une manifestation du caractère féodal de la noblesse balinaise, tout particulièrement des brahmana, qui s’efforcent de préserver leur monopole sur la prêtrise initiée. Il accusait ses dirigeants de promouvoir une religion ethnique, confinée dans les limites du particularisme balinais, au lieu d’embrasser pleinement l’agama Hindu en tant que religion universaliste.

Cela étant, même s’il s’avère effectivement une façon de légitimer certaines pratiques religieuses traditionnelles, le retour à l’agama Hindu Bali est bien davantage qu’un repli sur le particularisme balinais de la part d’une poignée d’irréductibles réactionnaires. Il est à cet égard significatif que les dirigeants du Parisada Dharma Hindu Bali affirment que l’agama Hindu Bali n’est pas limité aux seuls Balinais mais est en fait la véritable religion ancestrale des hindous indonésiens. Et à ce titre, il est appelé selon eux à devenir le modèle de l’agama Hindu en Indonésie.

Pour autant, la scission du Parisada balinais ne saurait se réduire à un différend théologique. Elle procède tout d’abord de tensions récurrentes entre nobles et roturiers, et plus particulièrement de la volonté des jaba d’abolir le monopole des brahmana sur la prêtrise initiée. Elle renvoie également à la tentative de certaines élites nobiliaires de se réapproprier leur mainmise sur la vie religieuse des Balinais pour mettre fin à la fois à son indonésianisation et à son indianisation, en reprenant possession de la direction du Parisada qui leur échappait depuis que son siège est installé à Jakarta. Le point crucial est en effet le déplacement du centre de gravité du Parisada en dehors de Bali, avec l’emprise croissante de non-Balinais ainsi que de jaba sur sa direction et l’ascendance des sampradaya affairés à expurger les pratiques religieuses balinaises traditionnelles.

À cet égard, le retour à l’agama Hindu Bali peut être interprété comme une volonté d’en revenir à une acception originelle de l’agama, non affectée par les accrétions islamiques et chrétiennes, lorsque l’agama n’avait pas encore été dissocié de l’adat. On pourrait avancer que le Parisada Dharma Hindu Bali tente de recouvrer le pouvoir de qualifier d’agama ce qui relève de l’adat aux yeux du Parisada Hindu Dharma Indonesia, tout comme ce dernier avait revendiqué en son temps le pouvoir de désigner comme agama ce que le ministère de la Religion avait classifié comme adat. Dans cette perspective, les promoteurs de l’agama Hindu Bali s’opposent ouvertement au processus d’universalisation de la religion balinaise en cherchant à la relocaliser[20]Michel Picard, “From Agama Hindu Bali to Agama Hindu and back. Toward a relocalization of the Balinese religion?”, in Michel Picard & Rémy Madinier, eds, The Politics of Religion in … Continue reading.

À l’encontre de ce primordialisme balinais, le 10e congrès du Parisada, tenu en 2011, s’est efforcé de rasssembler la communauté hindoue, non seulement indonésienne mais universelle, en faisant de Bali le centre mondial de l’hindouisme. Pour ce faire, ses dirigeants ont relancé la World Hindu Federation, qui périclitait depuis la chute de la royauté népalaise en 2008. Un World Hindu Summit était convoqué à cette intention en 2012 à Bali, qui décidait la fondation d’un World Hindu Centre, chargé d’instaurer sous la direction du Parisada un World Hindu Parisad, dont la mission n’est rien moins que d’unifier les hindous, de coordonner leurs activités et de promouvoir l’hindouisme dans le monde.

Les initiateurs de cet ambitieux projet y ont vu l’opportunité de dépasser les divisions qui affaiblissent la communauté hindoue, tant à Bali que dans le reste de l’Indonésie. Et surtout, ils attendent de cette mobilisation internationale des hindous un renforcement de l’agama Hindu contre la pression grandissante de l’islam et du christianisme. Cela étant, il est assez douteux que le Parisada soit à la hauteur de la mission qui lui est confiée. Il est clair en effet que la ferveur initiale qui a accueilli le World Hindu Parisad est rapidement retombée, tandis que la plupart des Balinais apparaissent indifférents à cette entreprise, quand ils n’en sont pas tout bonnement ignorants. Et il ne manque pas de critiques pour observer que si le Parisada n’est même pas capable de régir l’agama Hindu dans les villages balinais, comment pourrait-il prétendre se faire le chantre de l’hindouisme dans le monde ?

Toujours est-il qu’avec la fondation du World Hindu Parisad, le clivage s’est encore creusé entre les Balinais désireux de préserver la spécificité de leurs traditions religieuses et ceux qui aspirent à réformer les pratiques locales en les conformant à un néo-hindouisme universaliste.

Rétrospectivement, il apparaît que si elle a bien permis aux Balinais de se soustraire au prosélytisme islamique et chrétien, l’hindouisation de leur religion s’est faite au prix d’une dénégation. Loin de restaurer leur héritage indien comme ils le prétendent, au prix d’une rationalisation interne et d’un alignement sur le néo-hindouisme, les réformateurs balinais se sont en réalité coupés de leurs racines religieuses. En renonçant à leurs pratiques ancestrales, fussent-elles d’origine indienne, pour embrasser une orthodoxie néo-hindoue qui leur était parfaitement étrangère, ils croyaient pouvoir combattre les religions abrahamiques sur leur propre terrain. Ce faisant, ils en sont venus à faire leurs les critères islamiques de ce que doit être une vraie religion, et ce bien avant que le ministère de la Religion n’impose ses exigences pour la reconnaissance officielle de la religion balinaise.

Loin donc de rassembler les Balinais, le recours à l’hindouisme, grâce auquel ils ont pu obtenir la légitimation d’une version réformée de leur religion, a débouché sur un fractionnement conflictuel de leur identité religieuse. La religion n’est plus aujourd’hui à Bali un champ unifié de pratiques et de croyances, mais elle est devenue une arène contestée où se jouent des enjeux de nature à la fois politique, sociale, ethnique et religieuse. Cet éclatement du champ religieux a engendré une controverse sur la conception même de la balinité, qui a fini par dissocier l’affiliation religieuse des Balinais de leur appartenance ethnique.

Notes

Notes
1 Frederik Lambertus Bakker,The Struggle of the Hindu Balinese Intellectuals. Developments in Modern Hindu Thinking in Independent Indonesia, VU University Press : Amsterdam, 1993.
2 La question de la prêtrise à Bali est complexe, et ce d’autant plus qu’elle est controversée en raison de son lien avec la hiérarchie des groupes titrés. On peut distinguer deux catégories de prêtrise en fonction des conditions mises à leur accès. La première, qui requiert une simple cérémonie de purification (pawintenan), comprend principalement les prêtres attachés au service d’un temple particulier (pamangku). La seconde, dont l’accès est réservé à ceux qui ont reçu une initiation (padiksan), est monopolisée par les prêtres brahmana (padanda).
3 Jean-François Guermonprez, « La religion balinaise dans le miroir de l’hindouisme », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, 88, 2001, pp. 271-293.
4 Clifford Geertz, “Internal Conversion’ in Contemporary Bali”, in Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, New York : Basicc Books, 1973, pp. 170-189.
5 Michel Picard, Kebalian. La construction dialogique de l’identité balinaise, Paris : Cahiers d’Archipel, 2017.
6 Carol Warren, Adat and Dinas. Balinese Communities in the Indonesian State, Kuala Lumpur : Oxford University Press, 1993.
7 Michel Picard, Balinese religion in the making: An enquiry about the interpretation of Balinese religion as ‘Hinduism’, in Michel Picard (dir.), Local Traditions and World Religions. The Appropriation of ‘Religion’ in Southeast Asia and Beyond, New York : Palgrave Macmillan, 2017, pp. 123-152.
8 Helen Creese, “Old Javanese legal traditions in pre-colonial Bali”, Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde, 165 (2-3), 2019, pp. 241-290.
9 Michel Picard, « La polémique entre Surya Kanta (1925-1927) et Bali Adnjana (1924-1930), ou comment être balinais à l’ère du progrès », Archipel, 58, 1993, pp. 3-38.
10 Michel Picard, « Le christianisme à Bali : visées missionnaires, objections orientalistes et appropriation balinaise », Archipel,  81, 2011, pp. 11-46.
11 Michel Picard, 2008, En quête de l’identité balinaise à la fin de l’époque coloniale, Archipel, 75: 27-62.
12 On mentionnera notamment les appellations suivantes : agama Tirta, en référence à l’eau lustrale nécessaire à la plupart des rites ; agama Siwa et agama Buda, renvoyant aux deux catégories de prêtres brahmana, les padanda Siwa et les padanda Buda ; et agama Siwa-Buda, qui remonte à la convergence tantrique du Shivaïsme et du Bouddhisme à Java Est au XIIIe siècle, d’où elle s’est diffusée à Bali.
13 Michel Picard, “Balinese Religion in Search of Recognition: From Agama Hindu Bali to Agama Hindu (1945-1965)”, Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde, 167(4), 2011, pp. 482-510.
14 Les abangan (littéralement « les rouges ») – par opposition aux santri ou putihan (littéralement « les blancs ») – sont des musulmans dits « nominaux », qui constituaient autrefois la majorité du peuple javanais.
15 Je fais ici allusion à divers groupes ethniques qui ont réussi à faire reconnaître leur religion traditionnelle en tant que branche de l’agama Hindu : les Tengger (agama Buda) à Java ; les Sa’dan-Toraja (Aluk To Dolo), les Mamasa-Toraja (Ada’ Mappurondo) et les Bugis To Wani To Lotang à Sulawesi ; les Karo-Batak (Pemena) à Sumatra ; ainsi que les Ngaju et les Luangan (Kaharingan) à Kalimantan.
16 Il est assez difficile de se faire une idée du nombre d’adhérents à l’agama Hindu en Indonésie, dans la mesure où la composition religieuse de la population est une question politiquement controversée. Selon le recensement de 2010, il y aurait quelque 4 millions d’hindous en Indonésie, un chiffre contesté par la direction de l’Hindouisme au ministère de la Religion, qui évalue les hindous à environ 10 millions, tandis que le Parisada affirme qu’ils sont en fait 18 millions. Selon ce recensement, les hindous composaient 1,69 % de la population indonésienne et 83,5 % de la population de Bali. Il faut préciser cependant que les dirigeants balinais estiment que la proportion des hindous est délibérément minorée à l’échelle nationale tandis qu’elle serait majorée pour ce qui est de Bali, ceci afin de ne pas donner prise à la crainte des Balinais de se voir débordés par l’islam.
17 Établi à Jakarta depuis les années 1970, le mouvement Sai Baba a commencé à ouvrir des centres dans le pays à partir des années 1980. Il gère aujourd’hui une centaine de centres en Indonésie, dont plus d’une trentaine à Bali. Après avoir été accusé de « déviationisme » par la direction de l’Hindouisme au ministère de la Religion, ce mouvement a finalement été placé sous l’égide du Parisada en 1994 en tant que groupe d’étude spirituelle basé sur les Vedas.
18 Bhaktivedanta Swami, le fondateur de l’ISKCON, est venu en 1973 à Jakarta, où il a rencontré des dirigeants du Parisada. Son mouvement ayant été jugé trop sectaire, il fut interdit en 1984 par le procureur général à la demande du ministère de la Religion en raison de l’incompatibilité alléguée de ses enseignements avec l’agama Hindu. Néanmoins, lors du congrès du Parisada en 1996, Hare Krishna a été officiellement déclaré Hindu, ce qui lui a permis de s’implanter en Indonésie, où il gère une vingtaine de centres, dont cinq à Bali. Mais il demeure très controversé et ses activités sont de fait entravées, sans compter qu’il fait face à des tentatives répétées visant à obtenir son interdiction en Indonésie
19 Le 12 octobre 2002, une bombe a explosé dans un café à la mode de la station balnéaire de Kuta, suivie par l’explosion d’un véhicule garé devant une boite de nuit voisine. On a dénombré plus de 200 morts – des touristes, Australiens pour la plupart, mais aussi des Indonésiens – et des centaines de blessés, sans compter d’importants dégâts matériels. Après un effondrement brutal, le tourisme a repris à partir de 2004, jusqu’à ce que Bali soit frappée à nouveau par un attentat islamiste, de moindre gravité, le 1er octobre 2005.
20 Michel Picard, “From Agama Hindu Bali to Agama Hindu and back. Toward a relocalization of the Balinese religion?”, in Michel Picard & Rémy Madinier, eds, The Politics of Religion in Indonesia. Syncretism, Orthodoxy, and Religious Contention in Java and Bali, Londres : Routledge, 2011, pp. 117-141.
Pour citer ce document :
Michel Picard, "L’hindouisation contemporaine de la religion balinaise et ses implications". Bulletin de l'Observatoire international du religieux N°44 [en ligne], juillet 2023. https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/lhindouisation-contemporaine-de-la-religion-balinaise-et-ses-implications/
Bulletin
Numéro : 44
juillet 2023

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Auteur.e.s

Michel Picard, Centre Asie du Sud-Est (CNRS-EHESS-INALCO)

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